L'âge optimal de la retraite
David de la Croix
Au cours des années 1980-1995 l'âge effectif de la retraite a baissé de façon significative. Cette baisse est en grande partie due à la politique de pré-retraite qui est menée en Belgique depuis 1977:
Tableau 1: Age moyen de la cessation d'activité - Belgique
1950 |
1960 |
1970 |
1980 |
1990 |
1995 |
|
femmes |
62.9 |
60.8 |
59.1 |
57.5 |
54.7 |
54.1 |
hommes |
64.8 |
63.3 |
62.6 |
61.1 |
58.3 |
57.6 |
source: Blöndal et Scarpetta (1998)
Au delà de la critique habituellement adressée à l'égard de cette politique mettant en cause son inefficacité comme outil de lutte contre le chômage (voir par exemple Van der Linden, 1997, p298), on peut se demander si la baisse organisée de l'âge de la retraite est une politique désirable du point de vue des individus. La question que nous proposons d'aborder dans cette note peut s'exprimer de la façon suivante: "Si un individu pouvait déterminer librement l'âge auquel il quitterait le marché du travail, quel moment choisirait-il ?" Afin de répondre à cette question il convient d'élaborer un raisonnement selon lequel l'individu détermine l'âge optimal de sa retraite en fonction de son intérêt propre. Notons que cet âge optimal peut être a priori différent de l'âge optimal d'un point de vue social, dans la mesure où l'individu ne prend pas en compte toutes les interactions existantes au niveau de la société.
Remarquons tout d'abord que le cycle de vie d'un individu représentatif comporte essentiellement trois parties: une première partie de la vie est consacrée à la formation et à l'acquisition de capital humain; la deuxième partie est consacrée au travail et à la perception d'un revenu; la troisième partie est celle de la retraite. Les revenus collectés pendant la vie active servent fondamentalement à financer la consommation dans les trois parties de la vie. Dans un système de sécurité sociale, l'enseignement est financé dans la mesure où la société s'attend à ce que le futur actif paie des impôts qui financeront la génération suivante. En outre la période d'activité donne droit à une pension, en partie proportionnelle aux salaires perçus. Dans un système de marché, l'individu emprunte pour financer ses études, rembourse son emprunt quand il travaille et se constitue un capital qu'il utilise quand il est retraité. En conséquence, la question de l'âge de la retraite est clairement dépendante de celle de la durée optimale de la vie active et, donc de l'âge d'entrée dans cette vie active. Cet âge est lui-même intimement lié à la question de la durée optimale de scolarisation.
La personne qui pourrait choisir librement son âge d'entrée et de sortie du marché du travail fait face aux arbitrages suivants:
Un paramètre fondamental qui détermine les choix de l'individu est son espérance de vie. En effet, plus l'espérance de vie augmente, plus l'individu donne de la valeur au futur (son taux d'actualisation psychologique diminue). Lorsque l'espérance de vie est très basse, l'individu aura intérêt à ne pas rester trop longtemps en période de formation de manière à avoir une bonne probabilité de travailler le temps nécessaire pour financer sa consommation (et celle de son ménage). Dans un pays où l'espérance de vie est de 51 ans (la Belgique de 1890), l'individu ne sera en moyenne pas particulièrement désireux d'aller à l'université. Au contraire, si l'espérance de vie est très élevée, la probabilité d'être vivant à la fin de sa vie active est forte et les gains espérés en termes de salaires d'un accroissement de sa qualification sont grands. Il sera donc optimal de se former longtemps, puisque la période de rendement de l'investissement en capital humain est longue. En outre, au plus l'espérance de vie augmente, au plus l'individu a une bonne chance de vivre vieux, et a donc besoin d'accumuler davantage de ressources pour financer sa consommation de retraité. Une accroissement de l'espérance de vie a donc pour effet non ambigu d'accroître la période de formation optimale et de relever l'âge optimal de la retraite.
Nous avons développé un cadre quantitatif dans la ligne des arbitrages expliqués ci-dessus (Boucekkine et al., 1998). Dans ce modèle (une version étendue de celui présenté par de la Croix et Licandro, 1998), les individus, dont la durée de vie est incertaine, choisissent leur période de formation et de retraite en fonction de paramètres démographiques et technologiques. Leur salaire futur dépend de la durée de leur formation ainsi que du capital humain moyen dans l'économie au moment de cette formation. Une fois entrés sur le marché du travail, leur productivité reste constante au cours du temps (on pourrait aisément généraliser cela à une productivité qui augmente puis diminue en fonction de l'âge). Toutefois, la préférence pour le loisir augmente avec l'âge. Le capital humain de la société est obtenu en agrégeant le capital des différentes générations de travailleurs ("vintage human capital"). Les paramètres du modèles sont choisi pour reproduire une courbe de survie et un taux de croissance de l'économie réaliste. Le tableau ci-dessous reprend les choix optimaux en question pour deux configurations démographiques différentes.
Tableau 2: Espérance de vie et âge optimal de la retraite
Espérance de vie |
Durée optimale des études |
Age optimal de la retraite |
65 |
19 |
63 |
76 |
20½ |
68 |
Ce tableau illustre qu'un accroissement de l'espérance de vie tel que nous connaissons est compatible avec un allongement modéré de la scolarité ainsi qu'un relèvement significatif de l'âge optimal de la retraite. Bien que cet exercice numérique repose, comme tout modèle économique, sur une série d'hypothèses restrictives (absence d'héritages, attentes rationnelles, etc ...), les résultats qualitatifs semblent robustes à un grand nombre d'objections et d'hypothèses alternatives. Par exemple, le modèle est développé pour des agents neutres au risque; supposer des agents adverses au risque complique considérablement l'analyse mais devrait renforcer le lien positif entre espérance de vie et durée optimale des études.
Il est vraisemblable que le retrait de la population active d'un grand nombre de travailleurs âgés ne soit pas la manière la plus directe de lutter contre le chômage. En outre, les développements démographiques de la fin du vingtième siècle et le raisonnement économique nous poussent à croire qu'il serait opportun d'ouvrir le débat du relèvement de l'âge de la retraite afin d'entendre et d'évaluer les différents arguments en présence. En effet, on peut parier que l'âge optimal d'un point de vue individuel soit supérieur aux 56 ans actuels.
Remerciements
L'auteur remercie Etienne de Callataÿ, Pierre Pestieau et Henri Sneessens pour leurs commentaires sur une version précédente.
Références
Blöndal S. et S. Scarpetta (1998), The retirement decision in OECD countries, OECD working paper n°202.
Boucekkine R., de la Croix D. et O. Licandro (1998), Vintage human capital, IRES, work in progress.
de la Croix D. et O. Licandro (1998), Life expectancy and endogenous growth, IRES Discussion Paper n° 9729.
INS (1998), Table de mortalité 1997 et 1995-1997, Statistiques démographiques.
Van der Linden B. (1997) eds, Chômage - Réduire la fracture, De Boeck.