Bush, Gore, le partage des fruits de la croissance et les générations futures

 

 

Nous venons de vivre l’élection présidentielle américaine la plus serrée de ce siècle, et à l’heure où l’on recompte manuellement les bulletins de vote de Palm Beach, les jeux ne sont pas encore faits. L’observateur extérieur, en particulier européen, peut se demander comment est-il possible qu'après une période de prospérité inégalée, le candidat du parti au pouvoir n’ait pu écraser son adversaire avec aisance. L’étonnement est d’autant plus grand que beaucoup d’observateurs estiment que le candidat républicain ne semble même pas disposer des qualités des présidents républicains précédents, tels Nixon ou Reagan.


Durant les huit années de la présidence Clinton, les Etats-Unis ont connu une période de croissance extrêmement soutenue. Le produit intérieur brut, qui mesure la valeur ajoutée générée par le pays, a cru à un rythme annuel moyen proche de quatre pourcents au cours des huit dernières années. Le ralentissement que nos conjoncturistes prédisaient déjà il y a quatre ans ne s’est pas encore matérialisé. Cette croissance a permi de faire baisser le taux de chômage vers des planchers que l’on pensait ne jamais pouvoir atteindre. Pendant ce temps, l’inflation est restée sous contrôle et une partie des ménages américains a pu engranger des gains substantiels via les marchés boursiers et les fonds de pension. Imaginez un tel scénario en Europe. Une économie d’au moins quinze pourcents plus riche qu’elle ne l’est aujourd’hui, un chômage nettement plus bas, des finances publiques beaucoup plus saines ... Dans de telles conditions, ne maintiendrait-on pas les équipes en place ?


Depuis longtemps les politologues américains essaient de prédir l’issue des éléctions à l’aide d’indicateurs quantitatifs. Par exemple, on pourrait s’attendre à ce qu’un taux de chômage bas favorise l’élection du candidat du parti au pouvoir. Les études montrent toutefois que le taux de chômage n’est pas la bonne variable à considérer. Le meilleur prédicteur de l’issue des élections est la croissance du revenu réel disponible des ménages au cours des quinze mois qui précèdent l’élection. On peut même affirmer que cette variable est un très bon prédicteur et que les autres éléments (caractéristiques personnelles des candidats, issue des débats télévisés etc...) jouent un rôle assez mineur. Sur base de cet indicateur - une croissance du revenu des ménages entre 1997 et 2000 de l’ordre de deux pourcents par an - on pouvait prédire il y a plus d’un mois une répartition du vote proche des 50/50. Le résultat que nous observons n’est donc pas si étonnant que cela et est tout à fait conforme aux modèles quantitatifs utilisés en sciences politiques. Mais comment se fait-il que le revenu disponible est crû si modérément alors que le produit intérieur brut augmentait si vite ?






Une inspection plus précise des comptes nationaux montre que le grand bénéficiaire de la croissance, c’est le gouvernement fédéral. Le solde budgétaire s’est considérablement amélioré, et les années 1999 et 2000 dégagent un surplus important. Plutôt que d’orchestrer une baisse des impôts pour partager les fruits de la croissance avec les générations présentes, la politique fédérale à consisté à accumuler des surplus budgétaires de manière à réduire la dette nationale à un rythme accéléré. Cette politique est en accord avec la vision d’Alan Greenspan qui déclarait devant la commission du congrès sur le vieillissement qu’utiliser les surplus budgétaires pour rembourser la dette était le meilleur choix pour l’économie américaine et une bonne manière de préparer la retraite des générations issues du baby boom. Je dirais même que cette politique préserve les générations de devoir supporter de façon excessive le poids de la pension de leurs aînés.


De tout ceci nous pouvons conclure que si Clinton avait réduit les impôts (ce que Bush se propose de faire) plutôt que de rembourser la dette, son dauphin Gore aurait eu plus de chances d’être élu. J’avancerais même l’idée que si les générations futures pouvaient voter, on ne devrait pas aujourd’hui recompter les bulletins de vote de Palm Beach.