L'avenir de la sécurité sociale au siècle prochain:

Réflexions sur différents outils d'analyse

David de la Croix

 

 

 

 

1. Introduction

 

 

Les projections démographiques posent depuis quelques années déjà la question de la viabilité du système de sécurité sociale des pays développés. De nombreuses études ont été publiées, dans le but d'estimer les effets du vieillissement démographique à l'horizon 2050 et de proposer une grille d'évaluation des différentes politiques possibles. Le but de cet article n'est pas de fournir une projection de plus au débat politique, mais bien d'attirer l'attention sur les qualités respectives des différents outils mis en oeuvre pour étudier l'avenir de la sécurité sociale au siècle prochain.

 

 

L'article est organisé comme suit: la section 2 présente notre typologie des différents outils d'analyse en mettant l'accent sur les hypothèses qui y sont faites et sur les conclusions de politiques économiques qui en découlent. Sont successivement analysés: les modèles comptables, les modèles de croissance, les modèles de croissance néo-classique et les modèles de croissance endogène. Pour conclure, la section 3 développe l'idée selon laquelle les projections actuelles du Bureau Fédéral du Plan sont exagérément optimistes en raison du type de modèle qui est utilisé, et qu'il est impératif de viser une réforme du régime de sécurité sociale.

 

 

 

2. Typologie des outils d'analyse

 

 

Les différents outils utilisés par les analystes peuvent se classer en quatre catégories, en fonction de ce qui est ou n'est pas endogène au modèle. Le tableau 1 présente cette classification en indiquant pour chaque type de modélisation ce qui est exogène (è ¢ ), c'est à dire non expliqué par le modèle, et ce qui est endogène (¤ ), c'est à dire calculé par le modèle lui-même.

 

Tableau 1. Typologie des outils d'analyse

 

 

Démographie

 

- Natalité

- Mortalité

- Migrations

Recherche et Education

- Progrès

technique

- Accumulation

des connaissances

Préférences

(des ménages)

- Taux d'épargne

- Offre de travail

Technologie

 

- Production

- Accumulation

du capital

- Taux d'intérêt

Etat

 

- Déficit primaire

- Recettes fiscales

- Transferts aux

ménages

Modèle comptable

è ¢

è ¢

è ¢

è ¢

¤

Modèle de croissance

è ¢

è ¢

è ¢

¤

¤

Modèle de croissance néo-classique

 

è ¢

 

è ¢

 

¤

 

¤

 

¤

Modèle de croissance endogène

 

è ¢

 

¤

 

¤

 

¤

 

¤

 

 

 

2.1 Les modèles comptables

 

 

Les modèles comptables sont essentiellement développés par les institutions d'aide à la décision (en Belgique, par le Bureau Fédéral du Plan) afin de prévoir et simuler l'évolution des comptes de la sécurité sociale en fonction d'une série de scénarii. Docquier (1997) qualifie ce type d'approche de mécanique, car elle consiste essentiellement à extrapoler une comptabilité sophistiquée sur base d'hypothèses démographique et économique. Le comportement des agents économiques n'y joue aucun rôle. Un exemple récent de ce type d'approche pour la Belgique se trouve dans Fasquelle et Weemaes (1997). Pour bien comprendre la nature de ces modèles, il est essentiel de souligner l'ensemble des hypothèses qui y sont faites:

 

 

 

 

L'hypothèse portant sur la croissance de la productivité du travail couplée à celle portant sur la population active (et donc de l'emploi) implique une hypothèse en terme de croissance de la production. Pour Fasquelle et Weemaes (1997), comme la productivité augmente de 2,25 % et l'emploi de 0 %, la production augmente en conséquence de 2,25% par an.

 

 

 

 

En résumé, les modèles comptables permettent d'analyser l'effet des évolutions démographiques sur les comptes de la sécurité sociale dans un assez grand détail; l'analyse est toutefois fortement conditionnée, d'une part, par les hypothèses relatives au taux de croissance de l'économie et au taux d'intérêt, et d'autre part, par l'hypothèse d'absence de réaction des agents économiques aux différentes politiques possibles.

 

 

La conclusion de politique économique des projections réalisées à partir de cette approche est relativement optimiste. En ce qui concerne la Belgique, Fasquelle et Weemaes (1997, p51) indiquent notamment que «le coût budgétaire du vieillissement peut-être absorbé par la réduction des charges d'intérêt; celle-ci se réalisera à condition que l'assainissement budgétaire aboutisse dans le courant de la première décennie du XXIe siècle.»

Nous nous proposons à présent d'étudier des modèles progressivement plus complexes en soulignant chaque fois les différences avec le modèle de base et de montrer comment la conclusion de politique économique pourrait, en réalité, être nettement plus pessimiste que celle proposée par le Bureau Fédéral du Plan.

 

 

 

2.2 Les modèles de croissance

 

 

Le modèle de croissance de base, attribué à Solow (1956), comporte les ingrédients suivants: la production de l'économie est réalisée au travers d'une fonction de production à rendements d'échelle constants combinant les facteurs travail et capital; une fraction constante de cette production est consommée par les agents, le reste étant épargné sous forme de capital productif. Ainsi, le stock de capital de l'économie s'accumule au cours du temps. Lorsque l'on suppose qu'il y a un progrès technique exogène qui augmente la productivité du travail d'année en année, le taux de croissance de la production est égal à long terme à la somme du taux de croissance de la population active et du taux de croissance du progrès technique.

 

 

Comme la fonction de production est explicite, on peut calculer dans ces modèles le rendement du capital. Si on ajoute au modèle de croissance un marché financier concurrentiel, ce rendement du capital est alors égal au taux d'intérêt. Apparaît ici un premier avantage par rapport au modèle comptable: le modèle de croissance génère de façon endogène un taux d'intérêt compatible avec le processus de croissance de l'économie. Comme nous l'avons souligné plus haut, le niveau du taux d'intérêt est particulièrement important lorsqu'il s'agit d'étudier la dynamique de la dette.

 

 

L'autre intérêt de l'approche à la Solow (1956) est de pouvoir étudier les réactions du modèle en modifiant de manière exogène le taux d'épargne. Une telle modification est analysée par Blanchet (1992) et Blanchet et Monfort (1994) pour la France, et Pirson (1997) pour la Belgique. L'accroissement de l'épargne est simulé en introduisant explicitement un système de retraite par capitalisation; i.e. on suppose que les ménages commencent à épargner davantage sous la forme d'un système de capitalisation en prévision de leurs vieux jours. Cette modification du taux d'épargne ne provient pas à proprement parler d'un quelconque calcul optimisateur, elle doit être vue comme étant la résultante d'une mesure de politique économique. L'accroissement de l'épargne liée à la capitalisation a pour effet principal d'accroître le stock de capital productif, et donc la productivité du travail et les salaires des générations futures.

 

 

La conclusion politique de l'étude de Pirson (1997) ne peut être comparée à celle du Bureau Fédéral du Plan dans la mesure où la dynamique de la dette n'y a pas été modélisée. On peut toutefois tirer deux éléments intéressants qui proviennent d'une comparaison des niveaux de ressources des différentes générations au cours de leur cycle de vie. Dans le scénario de base de Pirson (1997), c'est-à-dire en maintenant les taux de cotisation constants et en redistribuant le produit aux retraités, les générations nées dans les années 1920 peuvent être considérées comme des «welfare generations», car elles bénéficient pour tout âge d'un niveau de vie relatif supérieur aux autres générations pour les mêmes âges. Le développement de la capitalisation d'une part et le relèvement de l'âge de la retraite d'autre part permettent aux jeunes générations d'accroître leur niveau de vie relatif pour la fin de leur vie; dans les deux variantes considérées, les niveaux de vie relatifs sont nettement mieux répartis entre les générations et la distribution inter-générationnelle des richesses est ainsi rendue plus équitable.

 

 

2.3 Les modèles de croissance néo-classique

 

 

Dans le modèle de croissance néo-classique avec générations imbriquées, le consommateur représentatif de chaque génération maximise un objectif, modélisé par une fonction d'utilité, et choisit de façon optimale son niveau d'épargne et son offre de travail. Ce choix dépendra logiquement du niveau des différents prix (salaire, taux d'intérêt et prix des biens de consommation), des anticipations vis-à-vis du futur, mais aussi des différentes taxes, de l'âge de retraite, etc … Toute modification de politique économique modifie donc les comportements optimaux des consommateurs de chaque génération et affecte l'épargne et l'offre de travail.

 

 

Par rapport aux deux approches précédentes, la modélisation avec agent optimisateur permet de ne plus traiter les taux d'activité comme immuables face aux changements de politique. En outre, le fait que l'épargne soit maintenant endogène ajoute un élément supplémentaire à la détermination du taux d'intérêt sur les marchés financiers.

 

 

Un autre avantage de l'approche avec agent optimisateur est de disposer d'un critère de bien-être cohérent avec le modèle lui-même: la fonction d'utilité des agents. Ce critère est meilleur qu'un simple critère de niveau de vie (comme ceux que l'on pourrait utiliser dans les deux approches précédentes), car il prend en compte, d'une part, un comportement d'aversion au risque (le consommateur préfère une consommation lisse au cours du temps plutôt qu'une suite de consommations fortes et faibles) et il donne un poids, d'autre part, à la désutilité du travail. Ce dernier élément peut être important lorsque l'on analyse les effets du relèvement de l'âge de la retraite, car il faut alors mettre en balance les avantages financiers en terme de salaire et le coût en terme de désutilité du travail.

 

 

Les applications de ce modèle d'équilibre général à générations imbriquées ont été initialement développées par Auerbach et Kotlikoff (1987), et ensuite raffinées et transposées à de nombreux pays (voir par exemple Broer and Lassika (1997), Chauveau et Loufir (1994) et (1996), et en particulier Docquier (1995) pour la Belgique).

 

 

Les conclusions de politique économique issues de la modélisation dans un cadre d'équilibre général sont nettement plus pessimistes que celles issues de l'approche mécanique pour deux raisons essentielles. En premier lieu, le vieillissement de la population induit, en raison du comportement d'épargne optimal au cours du cycle de vie, une augmentation progressive de la propension moyenne à consommer et donc un ralentissement de l'épargne et de l'investissement. Ceci a un effet néfaste sur la croissance, et donc sur les salaires et les recettes fiscales. Deuxièmement, l'accroissement présent et anticipé des taux de taxation sur le travail introduit une distorsion dans les choix des agents, notamment en matière d'offre de travail, ce qui est également néfaste pour la croissance. Ces deux effets conjugués qui ne sont présents que dans l'approche d'équilibre général rendent les conclusions très différentes. A titre d'exemple, Docquier, Liégeois et Stijns (1997) comparent le taux de taxation sur les salaires qui sera nécessaire pour maintenir en état le système de pension et garantir une certaine équité inter-générationnelle. Une simple extrapolation mécanique fait passer le taux de 47 % en 1995 à 57 % au maximum en 2035, tandis que l'approche d'équilibre général fait monter ce taux jusque 68 % en 2035: la prise en compte de la réaction des agents à la pression fiscale accrue réduit la base fiscale et force une augmentation des taxes nettement plus importante. En outre, si l'on souhaite financer la sécurité sociale sur base d'une réduction anticipée de la dette, il y a lieu d'accélérer le rythme actuel d'assainissement de manière à annuler la dette en 2014. Ceci montre que l'argumentation basée sur le modèle mécanique ne résiste pas au modèle d'équilibre général.

 

La limite la plus importante du modèle de croissance néo-classique reste que le taux de croissance est en partie exogène, car toujours déterminé à long terme par un progrès technique constant. C'est cette contrainte que les modèles de croissance endogène s'emploient à lever.

 

 

 

2.4 Les modèles de croissance endogène

 

 

Dans la nouvelle théorie de la croissance, le taux de croissance de l'économie est pleinement endogène. La modélisation de la croissance illimitée est rendue possible par une hypothèse de rendement constant dans la production du facteur reproductible générateur de croissance.

 

 

Si l'on suppose que l'accumulation du capital humain est le moteur de la croissance, le capital humain d'une génération sera fonction des efforts propres à la génération (le temps passé à la formation, les dépenses d'enseignement), ainsi que du capital humain de la génération précédente, représentant l'idée que le capital humain s'accumule d'une génération à l'autre. Dans ce cadre, toute politique affectant la production de capital humain, telle que les dépenses d'enseignement ou les bourses d'études, peut avoir un effet permanent sur le taux de croissance.

 

 

Tableau 2. Variables endogènes

 

 

Modèle comptable

Déficit public

ou

Niveau des contributions

ou

Niveau des pensions

Modèle de croissance

En plus:

Salaire,

Taux d'intérêt.

Modèle de croissance néo-classique

En plus:

Taux d'épargne,

Population active,

Mesure de bien-être.

Modèle de croissance endogène

En plus:

Taux de croissance de l'économie,

Part du secteur éducatif.

 

 

Le gros avantage de ce type de modélisation est donc d'obtenir des résultats endogènes sur deux variables importantes, le taux de croissance de l'économie et la part du secteur éducatif, en sus des variables déjà endogènes dans les trois approches précédentes (voir Tableau 2).

D'autre part, l'approche de croissance endogène permet de rendre compte du fait qu'en longue période, le taux de croissance est loin d'être constant. Ceci est très important au regard de l'hypothèse faite dans les approches précédentes concernant une croissance future de l'ordre de 2% par an. Si l'on considère la réalité historique en Belgique en utilisant les données longues de PNB par tête calculées par Maddison (1995), on obtient une évolution décrite à la Figure 1. La ligne pointillée représente le PNB réel par tête (échelle logarithmique) et la courbe continue représente la tendance de long terme calculée à l'aide du filtre de Hodrick-Prescott. On observe clairement qu'il y a de très longues périodes avec une croissance relativement faible (1820 à 1850 et 1870 à 1950) par rapport à celle que l'on connaît sur la période suivant la seconde guerre mondiale. La croissance, même de très longue période, est donc loin d'être représentable par une droite.

 

Figure 1: Le PNB belge sur très longue période

 

Il n'existe pas à l'heure actuelle de modèle de croissance endogène calibré pour simuler des données belges. Au regard des travaux existants on peut toutefois soulever un problème et tenter une conjecture.

 

Le problème est le suivant: dans un modèle de croissance endogène avec production de capital humain, il existe des externalités entre les agents, au sens où le capital humain d'un agent dépend à la fois du niveau de connaissances de la génération passée, mais aussi du capital humain moyen dans l'économie (dans sa région et aussi dans le monde). Lorsque chaque agent prend sa décision de formation, il ne prend pas en compte l'effet de celle-ci sur l'ensemble du monde et des générations futures. Il aura donc tendance à ne pas se former suffisamment, rendant optimales des politiques d'incitation à l'éducation. Il est donc intéressant de discuter des politiques d'éducation au sein de ces modèles. Toutefois, des travaux récents (Docquier et Michel (1997), Medeiros (1997)) montrent que le taux de croissance endogène de ces modèles est extrêmement sensible aux changements de politique économique. En particulier, la mise en place d'une politique adéquate permet, dans ces modèles, d'augmenter le taux de croissance de façon considérable. Lorsque l'on cumule ces taux de croissance, on obtient des effets positifs démesurés sur le niveau du PNB dans l'avenir. Ceci provient sans doute du fait que la fonction de production de capital humain est encore méconnue (au contraire des fonctions de production de bien matériel, le modélisateur ne peut bénéficier d'une longue expérience de travail économétrique pour spécifier sa fonction de production de capital humain), rendant ainsi les choix de modélisation hasardeux.

 

 

La conjecture est la suivante: étant donné que, dans un modèle de croissance endogène avec éducation, une taxation du revenu du travail a pour effet de réduire l'incitant à acquérir des qualifications, toute augmentation des cotisations sociales en vue de financer les pensions se traduira par une baisse du taux de croissance de long terme de l'économie. Il en va de même pour un accroissement de la pression fiscale qui aurait des effets distortionnaires. Si tel est le cas, on peut conjecturer qu'un modèle de croissance endogène serait encore plus pessimiste qu'un modèle néo-classique quant à l'avenir du financement de la sécurité sociale.

 

 

Notons finalement que notre pessimisme quant à la capacité des modèles de croissance endogène à générer des taux de croissance raisonnables face à des chocs exogènes peut être modéré par la constatation suivante. Les modèles évolués des types néo-classique et croissance endogène peuvent être classés selon le nombre de générations imbriquées qu'ils considèrent.

Par exemple, chez Docquier et Michel (1997), trois générations co-existent en tout point du temps: les jeunes qui sont à l'école, les adultes qui travaillent et les vieux qui sont pensionnés. Un modèle avec un grand nombre de générations pourrait produire des résultats quantitativement plus raisonnables et être moins sujet à notre critique d'extrême sensibilité du taux de croissance.

 

 

 

2.5 L'avenir des modèles d'équilibre général calculables

 

 

Outre l'amélioration des outils existants, que peut-on rêver de voir se développer de nouveau au sein des modèles d'équilibre général calculables? Une série de développements récents pourraient faciliter l'émergence d'une cinquième catégorie de modèles rendant endogènes certains choix démographiques et/ou politiques. D'autre part, le développement de modèles multi-pays ou multi-régionaux est prioritaire pour répondre de façon plus convaincante aux questions actuelles.

 

 

Démographie endogène

 

Il est connu depuis longtemps que la démographie n'est pas insensible aux conditions économiques (Easterlin (1971)). Il serait donc utile d'introduire des éléments de choix démographique (choix de fertilité, choix d'immigration) dans le modèle économique, rendant ainsi les prévisions démographiques et économiques interdépendantes.

 

 

Choix politiques endogènes

 

Le système fiscal est jusqu'à présent considéré comme exogène dans les modèles d'équilibre général calculable. Les développements récents en «political economy» ainsi qu'en science politique quantitative nous permettent d'imaginer un modèle calculable où un processus de vote serait modélisé, ce qui rendrait endogène le niveau de différents instruments de politique économique (taxes, dépenses, ...).

 

 

Modèles multi-pays

 

Le caractère ouvert de l'économie est un élément crucial à prendre en compte de façon satisfaisante. L'hypothèse parfois soutenue de petite économie ouverte est très insatisfaisante sur un horizon lointain: en effet, elle revient à supposer que le taux d'intérêt est donné par celui du reste du monde; les capitaux internationaux se localiseront alors de manière à égaliser la productivité marginale du capital de chaque pays; comme l'économie domestique peut s'endetter infiniment vis-à-vis du reste du monde au taux mondial en vigueur, les conditions intérieures (épargne, …) n'ont pas d'effet sur la dynamique de l'accumulation du capital, ce qui est une propriété regrettable du modèle sur un horizon de 50 ans. Une alternative intéressante est celle proposée par Docquier, Liégeois et Stijns (1997). Ils simulent dans un premier temps un modèle représentant l'environnement du pays que l'on étudie et obtiennent ainsi des valeurs pour le taux d'intérêt mondial qui sont cohérentes avec les développements démographiques dans cet environnement. Concrètement, la plupart des pays industrialisés connaîtront une évolution démographique du même type que la nôtre et cette méthode permet de le prendre en compte. Ensuite, le modèle de l'économie domestique est simulé en prenant comme input les résultats du premier modèle pour les variables internationales. Ceci revient à supposer que les politiques économiques domestiques n'ont pas d'effet sur les variables internationales, ce qui est réaliste. Dans l'avenir, on pourrait imaginer un véritable modèle multi-pays qui prenne explicitement en compte les relations qui existent entre ceux-ci.

 

 

Modèles régionaux

 

Un aspect central de la dynamique de croissance est lié à la dimension régionale. La question essentielle concernant l'avenir de la sécurité sociale est celle de l'évaluation des transferts inter-régionaux dans le futur, ainsi que l'évaluation des externalités (positives) inter-régionales.

 

Si l'aspect «transfert» est évalué à l'aide d'un modèle comptable, l'analyse sera biaisée par les hypothèses faites quant à la croissance respective des économies régionales. Par exemple, Delwart (1994) propose une analyse prospective du niveau des pensions sur base régionale, en supposant une régionalisation des dépenses sur base du PNB. L'analyse montre bien la sensibilité des résultats à différentes variantes démographiques, et extrapole le niveau de vie des pensionnés sur base d'un maintien des cotisations à leur niveau actuel. L'aspect de la réduction de la dette n'est pas traité. Sous ces hypothèses, les pensionnés de la région flamande connaîtraient une augmentation réelle de leur revenu de 0,26 % par an tandis que les pensionnés de la région wallonne pourraient bénéficier quant à eux d'une croissance annuelle des pensions de 0.47 %. La situation se dégrade donc moins en Wallonie qu'en Flandre. Cette vision optimiste pour les Wallons repose toutefois sur un taux de croissance supposé du PNB de 1,92 % par an, identique dans les deux régions; un modèle plus élaboré dans lequel le différentiel de croissance serait endogène pourrait mener à des conclusions moins optimistes.

 

Par rapport à la modélisation des externalités, l'utilisation de modèles de croissance endogène s'impose d'autant plus que l'accumulation de capital humain dans une région d'une entité fédérée est clairement affectée par l'accumulation de ce capital humain dans les autres régions de cette même entité. Il semble que, tant du point de vue des outils théoriques que des modèles appliqués à l'évaluation des politiques, on soit encore très loin de disposer des outils adéquats pour étudier cette question.

 

 

3. Conclusion de politique économique

 

 

L'argument principal évoqué par le Bureau Fédéral du Plan à propos du futur de la sécurité sociale consiste à encourager l'assainissement des finances publiques de manière à pouvoir financer le choc démographique qui s'annonce. D'après les simulations sur lesquelles repose cet argument, un assainissement sérieux (comme celui pratiqué actuellement) serait suffisant pour financer les dépenses supplémentaires de sécurité sociale au siècle prochain.

 

 

Remarquons tout d'abord que cette proposition suppose que tout le bénéfice de la réduction de la dette doive être alloué au financement de la sécurité sociale.

 

 

Laissant cet aspect de côté, l'argument principal est basé sur des simulations de longue période où le taux de croissance de l'économie est constant et de l'ordre de 2,25 %, où le taux d'intérêt est aussi constant, et où les agents économiques ne sont pas supposés réagir aux changements de politique économique. Une première critique a été apportée par Docquier, Liégeois et Stijns (1997). Les auteurs soulignent qu'une simulation effectuée dans le cadre d'un modèle plus riche est nettement moins optimiste que celle basée sur le modèle mécanique du Bureau Fédéral du Plan. La raison est essentiellement que le modèle mécanique ignore les effets néfastes sur la croissance du vieillissement de la population et de l'augmentation des taxes distortionnaires. Nous avons argumenté que, si l'on traitait la question à l'aide d'un modèle de croissance endogène, il est très vraisemblable que la conclusion soit encore plus pessimiste.

 

 

Nous pensons donc qu'il n'est pas sage de s'en tenir à l'optimisme des modèles mécaniques et qu'il y a lieu d'étudier l'effet de politiques qui réforment le système de sécurité sociale en lui-même. En outre, cette réforme du système de sécurité sociale pourrait être l'occasion de promouvoir davantage de justice inter-générationnelle.

 

 

Plusieurs pistes sont évoquées dans différents travaux en vue d'une telle réforme. Certaines pistent visent à accroître l'équité entre pensionnés d'une même génération (par exemple en réformant le système des pensions des fonctionnaires, voir de Callataÿ et Turtelboom (1997)), d'autres à développer un système parallèle de pensions privées, d'autres encore à financer le système sur base de taxes moins défavorables pour la croissance.

 

 

Deux études (Pirson (1997) et Cazes, Chauveau, Le Cacheux et Loufir (1994)) montrent qu'un relèvement de l'âge de la retraite permettrait non seulement de résoudre la question du financement des pensions en diminuant significativement le taux de dépendance, mais pourrait aussi avoir des propriétés désirables en terme d'équité inter-générationelle. Un tel relèvement semble aussi se révéler optimal du point de vue de l'individu au regard de l'accroissement de l'espérance de vie et de l'allongement de la période de formation (de la Croix et Licandro (1998)). Cette problématique est actuellement tabou en Belgique (il est par ailleurs clair qu'une telle politique va à l'encontre de la politique actuelle en matière de pré retraites). Lever le tabou et mener un débat qui prenne en compte l'accroissement des revenus provoqué par une telle mesure, ainsi que les aspects liés à la désutilité du travail pourrait s'avérer salutaire.

 

 

 

 

Références

 

Auerback A. et L. Kotlikoff (1987), Dynamic Fiscal Policies, Cambridge University Press.

 

Blanchet D. (1992), Retraites et croissance long terme: un essai de simulation, Economie et Prévision, 105, 1-16.

 

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Cazes S., T. Chauveau, J. Le Cacheux et R. Loufir (1994), Public pensions in an overlapping generations model of the French economy, Keio Economic Studies, 31, 1-19.

 

Chauveau T. et R. Loufir (1994), L'avenir du regime de retraite français:

 

Chauveau T. et R. Loufir (1996), The future of public pensions in Japan, Keio Economic Studies, 33, 71-92.

 

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Docquier F., P. Liégeois et J.P. Stijns (1997), Comptabilité générationnelle et vieillissement démographique: les enseignements d'un modèle d'équilibre général calculable calibré pour la Belgique, Discussion paper 9706, SES.

 

Easterlin R. (1971), Does human fertility adjust to the environment?, American Economic Review Papers and Proceedings, 61, 399-407.

 

Fasquelle N. et S. Weemaes (1997), Perspectives financières de la sécurité sociale à

 

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Maddison A. (1995), L'économie mondiale 1820-1992, OCDE.

 

Medeiros J. (1997), Optimal age profiles for human capital and financial wealth in a general equilibrium OLG model, IRES, mimeo.

 

Pirson C. (1997), Une évolution à long terme du système des retraites en Belgique,

Mémoire de licence, Université catholique de Louvain.

 

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