Les caractéristiques du développement précoce de l’œuf Humain, par Mylène Baum

 

Le rapport Warnock a offert dès 1984 des directives limitant l’expérimentation sur embryon au quatorzième jour après la fertilisation. Sans que cette classification arbitraire ne soit suffisamment argumentée, précisément parce que les données biologiques exigeaient un choix qui se situe plus ou moins autour du 14e jour.
Anne Mc Laren avait proposé à l’époque de parler à propos du conceptus de pré-embryon de "product of the fertilised egg up to the end of the implantation stage" et distinguait l'embryon comme la petite partie du pré-embryon qui se développe pour devenir le fœtus.

L’œuf fertilisé est une cellule unique, totipotente, qui conduit éventuellement à l’émergence du fœtus et du placenta.. Lorsque la cellule unique se divise en 8 cellules, les blastomères individuels peuvent individuellement se séparer en adultes complets s’ils sont distingués des autres blastomères. Ces blastomères retiennent donc leur caractère de totipotence et pourraient par clonage devenir des "personnes". Elles sont le matériau de base pour tout tissu humain et donc pour des embryons humains. La technique est utilisée en fécondation in vitro ou pour pallier les techniques de transplantation d'organes.
Cela pose une question sérieuse de terminologie qui consiste à savoir quand nous parlons sérieusement d’une personne irréductiblement unique même si elle est potentielle.

Le terme "pré-embryon" avait donc été adopté à l'époque par la communauté scientifique.
Ce qui permis à Mc Laren de dire " The embryo does not exist for the first two weeks after fertilisation " (Nature, 1986, "embryo research ").

Deux ans plus tard, Clifford Grobstein déclarait dans un livre intitulé " Science and the unborn ":
" Preembryos are best regarded scientifically as a transitional stage between two major developmental landmarks: fertilisation that establishes genetic individuality, and the initial organization of a developmentally unitary individual " (p. 81).
Cette définition permettait par un twist sémantique de mettre entre parenthèses la question du statut ontologique de ces cellules du quatrième au cinquième jour de gestation, destinées à devenir une personne.
 

Le terme "pré-embryon" implique que l’embryon n’est pas nécessairement l’antécédent causal du fœtus et n’est donc pas une entité cohérente en soi puisqu'il se divise, pour parler vite, en placenta et embryon.
Quelle signification donner alors aux tissus extra-embryonniques ?
Selon cette hypothèse, Le pré-embryon devient dès la deuxième semaine un tissu et le placenta peut-être considéré comme du tissu humain plutôt que comme une personne humaine. Il aurait le même statut qu’un respirateur artificiel car il est séparé mais indispensable à la vie qu’il soutient.
Mais cela ne suffit –il pas à étendre notre respect au tissu placentaire tant qu’il est nécessaire à l’embryon ? Il ne peut y avoir de fœtus ni d’embryon sans ces tissus séparés ; les séparer pour justifier de manière utilitariste l’expérimentation sur cellules pluripotentes doit donc se faire selon d’autres critères. Si le pré-embryon n’est pas encore devenu quelque chose d’organisé, il est la condition de cette organisation. Ce qui laisse ouverte la question du statut ontologique du pré-embryon et ne nous permet pas aussi facilement que nous le voudrions peut-être de le qualifier de matériel utilisable à des fins thérapeutiques.

C’est à ce moment que se défont les barrières entre épistémologie scientifique et épistémologie morale. La valeur a accorder aux embryons n’est pas uniquement liée à leur stade de développement mais aussi à un moment dévelopemental, celui de la différenciation primitive. Cela permet de faire un lien entre la signification scientifique de l’embryogenèse et l’impact éthique d’une telle différenciation qui engagera des procédures d'action informées. Il serait de mauvaise foi de dire alors que la différenciation pré-embryon / embryon n’a qu’une signification biologique. Elle engage la réflexion bioéthique à prendre au sérieux la nouvelle interface entre embryogénétique et " sémiobiologie ", en créant une nouvelle interface entre génétique et embryologie. Potentiel morphogénétique et différenciation cellulaire apparaissent alors comme inversément proportionnelles (Self-organizing potential et Morphogenetic potential, Acta biotheorética, 1986, 35).

La transformation d’un œuf fertilisé en un organisme complexe se fait en deux temps, l’un quasi-instantané, l’autre requérant un processus temporel complexe de différenciation cellulaire, ce qui rend difficile la distinction temporelle entre embryon et préembryon. Car les deux stades sont interdépendants. Le brevet de la firme "Géron" dont nous allons parler dans la deuxième partie de ce travail, permet précisément de séparer temporellement ces deux moments et défait la dépendance entre les deux états. Mais le choix éthique de vouloir identifier les deux moments comme formant une même personne n’est pas contraire à la description scientifique. Il est une intention éthique. Ce choix éthique oriente autrement la réponse à la question de la légitimation de l’expérimentation sur embryon et pré embryon. Mais le statut ontologique de l’une ou l’autre phase de l’embryogenèse est donné par l'intention de respect ou d'utilisation comme moyen en vue d'une fin de l’observateur et non par la chose elle même.

Élargir un statut de respect au pré-embryon ne peut donc être qualifié d'attitude contraire à la logique du chercheur , elle ne fait qu’ajouter de la signification à une catégorie de vie qui, pour certains, reste pré-signifiante. La deuxième étape est de passer d'une reflexion spéculative sur le statut de l'embryon aux choix thérapeutiques que permettent les expérimentations sur pré-embryon.