ACHARNEMENT THERAPEUTIQUE ET EUTHANASIE

Définition

Selon le dictionnaire permanent de bioéthique « C’est une attitude qui consiste à poursuivre une thérapie lourde à visée curative alors même qu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état du malade et qui a pour résultat de prolonger simplement la vie » (Office parlementaire d’évolution des choix scientifiques. Rapport sur les sciences de la vie et les droits de l’homme, Fasc. N° 7).

Le mot même d’acharnement indique une certaine violence faite au patient. Il est pourtant très rare d’entendre les médecins admettre qu’ils ont fait de l’acharnement thérapeutique, ou dire que s’acharner à sauver la vie d’un patient est précisément leur métier. Ils brandiront contre cette accusation un spectre, qui à leurs yeux est bien plus grave, et qui est celui de l’abandon de patient. Mais souvent le pronostic d’une maladie est très incertain, et rend la valeur du don de soins et du refus de soins très difficile à évaluer.

C’est pourtant la réalité de ce qui était perçu par la famille de patients ou par les aides-soignants comme étant de l’acharnement qui a donné sa crédibilité et son utilité publique aux mouvements pour « Le droit de mourir dans la dignité » dont le but premier était de maintenir l’autonomie de décision de traitement même aux mourants à qui selon eux, on imposait des traitements futiles, alors que leurs souffrances ne leur donnait que l’envie de mourir. L’acharnement thérapeutique est un terme négatif qui est venu fustiger ce qui était de plus en plus perçu comme une technique médicale qui donnait priorité à une perception abstraite de la valeur de la vie en-soi plutôt qu’aux intérêts du patient lui-même et à sa perception individuelle de la bonne-vie.

Il n’est plus si clair aujourd’hui dans le public que le médecin soit le mieux placé, ou ait toute autorité pour prendre des décisions de fin de vie lorsque sa capacité curative rencontre sa limite. La dénonciation de l’acharnement thérapeutique est une invitation que des patients adressent à leurs médecins pour qu’ils admettent les limites de leur pouvoir thérapeutique. Au stade d’incertitude face à l’impact positif que pourrait avoir le fait de repenser le contrat médical afin de décider en colloque singulier avec le patient s’il désire prendre les risques d’un traitement qui risque de prolonger autant la souffrance que la vie, ou s’il préfère renoncer à l’acharnement thérapeutique du médecin et choisir un traitement alternatif au curatif agressif comme les soins palliatifs (qui doit néanmoins garder une perspective de soins sans souffrances inutiles). Mais ne nous méprenons pas, l’on a pendant des années opposé les tenants de l’idéologie du droit de mourir qui valorisait l’autonomie du patient contre le pouvoir médical aux tenants tout aussi idéologiques des soins palliatifs qui ont eu tendance à diaboliser la médecine technicienne pour offrir un accompagnement moins triomphaliste dans l’acceptation, voire la valorisation spirituelle de la mort.

Ces deux attitudes sont basées sur des attitudes principalistes contradictoires les premiers étant des vitalistes individualistes sacralisant l’autonomie, les autres du moins à leur début, dans le même refus de la souffrance inutile refusant tout traitement futile jusqu’à diaboliser le triomphalisme scientifique.

La réflexion éthique a montré les limites de ces deux perspectives idéologiques et paradoxalement leur complémentarité. Aujourd’hui les cellules d’aide à la décision en fin de vie aussi bien en néonatalogie ou en gériatrie ont montré les limites d’attitude principalistes qui ne mettaient pas le patient lui-même avec les spécificités propres à son histoire vis à vis de la tolérance face à la souffrance, au centre du processus de décision. La tentative d’élaborer une éthique casuistique qui dénonce la négativité de l’acharnement thérapeutique si et seulement ces techniques sont refusées de manière éclairée par un médecin qui est lui-même amené à prendre conscience de la futilité des traitements qu’il propose, dans une perspective globale de respect des personnes commence à faire son chemin et à permettre de dépasser les clivages idéologiques.

Le refus de l’acharnement thérapeutique ainsi défini recueille théoriquement un large consensus. Mais un problème secondaire qui est l’effet de l’ambiguïté de la notion même d’acharnement et à l’intention qui se cache derrière la technique à mener à un glissement entre refus de l’acharnement thérapeutique et la légitimité d’une euthanasie par toujours volontaire.

    1. Refus d’acharnement thérapeutique à l’abandon de patient

    2. Banalisation de l’euthanasie au nom du refus de l’acharnement thérapeutique

La littérature insiste sur la difficulté à séparer ces deux moments, il est alors utile de rappeler que les notions de traitements utiles ou de traitements futiles ne sont pas des notions contradictoires, mais plutôt des notions complémentaires.

Il me semble que le récit de ce cas vécus montre combien la notion d’acharnement thérapeutique est une notion limite dont la complexité peut amener aussi bien à la légitimité de l’assistance au suicide qu’à des effets néfastes de méfiance envers la techno-médecine qui si elles sont reprises par des gestionnaires d’hôpitaux risquerait d’amplifier la médecine à deux vitesses faisant de l’autonomie de la décision un privilège lié à l’éducation et à la capacité économique de s’offrir des assurances complémentaires. En effet, il nous semble, à une époque ou l’Etat providence n’est plus le fantôme de lui-même, que la sécurité sociale réduit ses avantages aux bénéficiaires comme une peau de chagrin que les retraites sont de moins en moins suffisantes et les années de retraites de plus en plus longues, entraînant une recrudescence des maladies dégénératives, on choisira de plus en plus les sujets de soins et l’on considérera comme dans la plupart des pays anglo-saxons à la philosophie utilitariste que tout soin de personne de plus de 65 ans est une forme d’acharnement thérapeutique. Cet élargissement de la notion permet déjà de justifier de les exclure de ce que la médecine a de meilleur à offrir car : « il serait irrationnel de s’acharner ». L’on évoque pour justifier cette rationalité la compassion envers des vies ne valant pas la peine d’être vécues et nous nous trouvons devant le même problème d’incohérence politique qui consiste au nom d’une autorité quelconque de décider pour les autres ce qui est bon pour eux. Il est alors essentiel de souligner comment l’évaluation d’un acharnement thérapeutique est subjective et ne peut être normalisée.

C’est pourquoi le consentement éclairé au soin bien qu’utopique reste la seule mesure éthique fiable de ce genre de dilemme surtout lorsqu’il amène à ce que nous pouvons considérer souvent comme une question subsidiaire la question de l’euthanasie.

    Quel est le lien entre euthanasie et acharnement thérapeutique ?

Dans des situations de fin de vie, il arrive pour un nombre de plus en plus visible de personnes qu’une demande d’euthanasie accompagne une renonciation aux soins considérés comme futiles. Copiant le modèle anglo-saxon dont les références politico-philosophiques sont ouvertement utilitaristes et conséquentialistes alors que nous européens sommes par tradition culturelle, plutôt kantiens ou personnalistes, les défenseurs du droit de mourir se sont prononcés pour un texte juridique dont la fonction serait préventive d’acharnement refusé par des patients compétents quand ceux-ci seraient en situation d’incompétence ou de coma plus ou moins avancé.

La notion d’espoir et de solidarité collective amène l’Europe occidentale à refuser une attitude d’autonomie et de maîtrise de son existence dont l’impact socio-politique dépasse largement la question qui nous rassemble aujourd’hui et à avoir entre le clivage individualisme et communautarisme, solidarité ou rationalité. Il nous suffit de dire qu’il n’y a pas de bonne solution générale et principaliste à ces drames singuliers mais des réponses contextualisées par la culture ambiante le niveau économique, la structure étatique, le genre de maladies auxquelles le médecin est confronté et que nous ne pouvons que préconiser une méfiance envers toute attitude moraliste pour proposer une élaboration collective de la décision, qui tienne compte de la volonté du patient autant que faire se peut. Si la responsabilité de la décision retombe pour des questions d’incapacité au monde médical, il est impératif de faire en sorte que celui-ci ne soit pas trop aliéné par des impératifs économiques et qu’il ait toujours à l’esprit le respect de la personne au-delà de son état purement biologique (qui n’existe pas) et l’incertitude nécessaire qui prévient l’abus de pouvoir qui consiste à décider pour autrui de ce qui est bien pour lui.

Nous devrons également être vigilants à ne pas glisser par opportunisme, de l’arrêt thérapeutique qui en cas de traitements futiles à une grande valeur éthique, à son instrumentalisation à justifier une forme ou l’autre d’eugénisme social au nom d’une définition priori de la qualité de la vie qui serait défini non par les intéressés eux-mêmes, mais par de pseudo-experts dont il serait naïf de supposer le désintéressement.

Les cellules d’aide à la décision permettent d’aborder ces ambiguïtés. Ainsi, dans une société dont la richesse est précisément la coexistence de valeurs conflictuelles, les patients doivent être rendus co-responsables d’une décision d’acharnement thérapeutique aux soins définis comme futiles par le patient lui-même afin d’éviter l’écueil d’élargir cette catégorie à des groupes vulnérables de nos sociétés au nom de leur autonomie de décision défaillante.

Nous devons trouver un équilibre chaque fois repensé, entre la protection de la vulnérabilité du patient et la protection de son autonomie de décision. Aucun schéma n’échappe aux cas limites qui seuls posent les véritables problèmes de repères éthiques. Nous devons donc nous concentrer sur la justification de nos décisions empiriques et analyser les présupposés qui nous mènent à une décision plutôt que de décider arbitrairement si un consensus nous permettrait d’arbitrer entre nos dilemmes éthiques.

Nous devons garder présent la ligne de crête qui exige le respect de l’autonomie du patient, la responsabilité médicale et le consensus social.

La conférence internationale de l’ordre des médecins a admis dès 1976 qu’à partir du moment où l’état d’un malade est vraiment désespéré, il est licite de mettre fin à des traitements qui ne feraient que prolonger l’agonie ou entretenir un coma dépassé.

    Conclusion

Les soins palliatifs doivent à la fois intégrer cette idée afin de ne pas risquer de sombrer dans « l’acharnement palliatif » mais rester vigilant que l’interprétation intéressée de termes aussi subjectifs que « désespéré »soit l’état du patient lui-même et non un prétexte à un arrêt de soins pour certaines catégories de patients. La responsabilité médicale doit rester garante de la liberté du patient dont la vulnérabilité physique ne réduit en rien les droits de la personne.

Il nous faut rester vigilants à l’asepsie verbale qui frappe les termes d’acharnement thérapeutique et d’euthanasie. Ils ne doivent jamais servir l’un à l’autre à justifier des pratiques au nom d’une décision objective ou purement médicale de la qualité de la vie. Nous devons nous rappeler que ce sont des termes aussi complexes qu’ambivalents qui doivent être repensés en situation à partir de principes de base qui doivent orienter sans figer nos choix éthiques.

Mylène Baum (mars 1998)

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