Audition du docteur Mylène Baum

Professeur de philosophie à la faculté de médecine de l'UCL

Hoorzitting met dokter Mylène Baum

22.02.2000

Présidence de M. Josy Dubié  - Voorzitter: de heer Josy Dubié

Mme Mylène Baum. – Je vous remercie tout d’abord de m’avoir invitée afin de me permettre de m’exprimer sur une question qui est pour moi aussi bien une question éthique que biopolitique et une question de sociologie politique. C’est sous ce biais, que je vais essayer de présenter mon exposé.

L’actuel débat d’opinions en Belgique sur l’euthanasie indique pour moi la fragilité des fondements aussi bien éthiques que juridiques indispensables à une contribution réussie entre l’éthique biomédicale et les institutions médicales et juridiques qui sont encore en conflit d’intérêts et de repères normatifs.

Le constat du nombre très inquiétant d’euthanasies non volontaires mentionnées par le Professeur Vermeersch mène certainement à conclure à l’évidente nécessité de légaliser l’euthanasie, nous dit-on, en régulant les abus par le biais d’une régularisation a posteriori. Je voudrais remettre cette affirmation en question parce qu’elle me semble avaliser un fait condamnable et cela met l’euthanasie non volontaire en valeur. Cela ne correspond pas au projet de la majorité arc-en-ciel que j’ai lu et qui ne porte que sur la légalisation de l’euthanasie volontaire.

Ce constat démontre pourtant la nécessité de réguler les pratiques et de trouver les moyens juridiques de réguler les abus de l’euthanasie. Je trouverais donc plus cohérent, pour ma part, de réguler cette pratique a priori en ayant comme garde-fou une Charte des droits du patient qui permettrait d’exprimer un projet thérapeutique et l’organisation de la fin de vie du patient.

Le point du débat le plus important selon moi se trouve dans la  nécessité d’évaluer la capacité du droit à réguler les abus et les incohérences de certaines pratiques hospitalières, tout en légitimant – et là, nous sommes devant un fait social incontournable – certaines euthanasies volontaires qui seraient l’expression d’un droit subjectif exprimant une conviction personnelle. Nous nous trouvons depuis les années cinquante dans un conflit entre droit subjectif et droit public et la question de la légalisation de l’euthanasie me semble en être un de ses symptômes les plus flagrants.

Pour pouvoir légitimer une légalisation ou une dépénalisation à la hollandaise de l’euthanasie, il nous faudrait pouvoir parvenir à un consensus sur la meilleure manière de prévenir des abus ce qu’aucun État démocratique n’a, à mon sens, réussi à faire jusqu’à présent, en termes de légalisation. Je ne parle pas de la dépénalisation hollandaise.

L’Afrique du Sud est sur le point d’aboutir à une légalisation mais j’ai parlé avec certains juristes d’Afrique du Sud et ils ne semblent pas eux-mêmes convaincus que leur modèle de démocratie en cette matière soit un modèle à suivre. La banalisation de l’euthanasie involontaire doit donc être contenue et comprise comme un phénomène de société avant de pouvoir, de manière responsable, régulariser le droit subjectif de mourir demandé par un nombre croissant de patients en phase terminale ou en situation de maladie dégénérative irréversible. Je crois qu’on vous entretiendra de la situation des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Il s’agit d’une des questions les plus urgentes, dans le cadre de ce débat.

Si le projet de loi actuellement en discussion paraît représenter un compromis acceptable pour certains, il ne me semble pas assez rassurant en termes de dérives économiques notamment. En outre, il semble plus soucieux de protéger le pouvoir médical que l’ensemble des patients concernés.           

Et j’aimerais qu’on parle des patients au pluriel parce que les euthanasies ne se pensent pas de la même façon dans les divers services hospitaliers.

Face au projet de loi proposé par la majorité arc-en-ciel, j’insisterai tout d’abord sur la nécessité d’une procédure a priori et de l’élaboration d’une Charte des droits du patient reconnue légalement afin que le patient en fin de vie soit donc au moins aussi protégé que son médecin. Je proposerai également une description de l’éthique clinique telle qu’elle s’élabore dans nos cellules d’aide à la décision afin de remettre en question l’accusation de tribunal dont ces cellules d’aide font l’objet.

Je proposerais, à partir de ces amendements, que soit introduite dans le projet de loi, la notion de projet thérapeutique notamment sur les instructions NTBR (not to be ressucitated) et DNR (do not ressucitate) qui sont souvent utilisées dans les hôpitaux et qui font partie de la problématique de l’euthanasie, cela afin d’optimiser de façon concrète l’autonomie de décision du patient en fin de vie.

Je voudrais partir de quelques faits. Une vaste enquête a été entreprise en France par un médecin réanimateur, Édouard Ferrant, en 1997. Elle porte sur 200 centres de réanimation. Cette étude est citée par la sociologue Anita Hocquard, dont je vais beaucoup vous parler. L’étude s’intitule « Réalité du consentement du patient en réanimation en France lors des décisions d’abstention thérapeutiques ». L’auteur a prouvé que l’acharnement thérapeutique, loin de provenir des excès de rationalité dont on accuse la technoscience et la biomédecine aujourd’hui, était consécutif à une absence de rationalité des soins. On y apprend que la décision la plus souvent discutée par l’ensemble de l’équipe soignante consiste à échapper à l’arbitraire d’une décision individuelle, donc d’un médecin unique. Ce type de mesure concerne les patients de plus en plus nombreux en service de réanimation, accueillis avec des critères discutables, c’est-à-dire incertains. Et les interruptions de traitement sont motivées par un jugement subjectif du médecin sur l’absence de qualité de vie future. Viennent ensuite comme critères, l’inutilité des soins et l’âge du patient, ce qui est plus problématique. La demande de la famille n’arrive qu’en troisième position, mais il mentionne un élément important, à savoir que les considérations économiques apparaissent entre 4 et 8% des cas et mènent à provoquer la mort de patients n’ayant pas fait de demande.

Pour le biostatisticien, il ne s’agit pas de donner la mort mais d’agir essentiellement de manière cohérente en termes de moyens techniques disponibles pour le médecin. Contrairement à ce qui a été dit dans certaines interventions précédentes, ce score de défaillance est de plus en plus prédictif. Il n’est pas absolu, mais il est de plus en plus prédictif. On sait par exemple que lorsque quatre organes majeurs sont défaillants, il y a pour le patient 98% de chances de décès. Donc, la réanimation peut être évaluée par le médecin comme étant un soin futile. Il me semble important de ne pas prendre en compte que des positions idéologiques ou des convictions morales, mais de s’appuyer aussi sur les données techniques disponibles. On s’attend aussi dans les années à venir, nous dit la sociologue Anita Hocquard, à un triplement des 75 ans et à un quadruplement des 85 ans et plus dans les unités de soins. Le poids économique du vieillissement est donc bien une donnée tangible en termes de santé publique. Le fait absolu du vieillissement de la population de notre vieux continent a amené à une diminution de la médicalisation du quatrième âge et, par contre, à une augmentation de la dépendance de cette même population. On s’attend à une augmentation d’au moins 30% des coûts liés au vieillissement d’ici 2040. C’est dans ce contexte précis que nous devons penser la légitimité d’une dépénalisation de l’euthanasie.

Contrairement à ce que mon éminent collègue le Professeur Englert a affirmé lors de son intervention, la dérive économique n’est pas un fantasme, mais une menace réelle pour la majorité des patients âgés. Il est de notre responsabilité éthique d’en prévenir les effets liberticides. Je renforcerai mes intuitions par une enquête – la première du genre – conduite auprès des membres de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, par Anita Hocquard dans ce livre « L’Euthanasie volontaire».

Cela me permettra d’insister sur l’importance de la sociologie de la santé dans ce débat. Je dois dire l’importance de mon échange avec Madeleine Moulin, sociologue à l’ULB, ainsi que Guy Lebeer, sociologue de la santé.

Je poserai donc la question de l’autonomie du patient en termes de parallèle entre autonomie et économie. Dans les systèmes institutionnalisés de soins de santé, le mourir tend à devenir un phénomène de moins en moins culturel et de plus en plus socio-économique. Tout se passe comme si la dépendance de la personne mourante et l’idéal d’autonomie vénéré par l’homme occidental en bonne santé étaient inconciliables. L’autonomie est néanmoins revendiquée par la plupart des consommateurs de soins de santé. Nous voudrions examiner comment, dans le domaine biomédical, le principe d’autonomie n’entre pas nécessairement en conflit avec la notion de consensus juridique.

S’agirait-il d’un consensus européen sur la légalisation ou même la libéralisation de l’euthanasie ? La Hollande devrait-elle nous servir de modèle ? Cette question est pragmatique à mon sens mais n’est pas encore une question éthique.

Soyons clairs. Lorsque l’euthanasie, employée par euphémisme, est évoquée dans le cadre général de la politique, elle n’a pas grand-chose à voir avec la compassion d’un médecin pour un patient qui souffre. En tout cas, il faut s’imaginer que l’institution et la gestion hospitalières sont une donnée extrêmement importante qui fait parfois du médecin un agent double vis-à-vis de son patient.

La question fondamentale est dès lors celle-ci : a-t-on besoin d’un consensus comme médiation entre notre désir d’autonomie subjectif et nos besoins sociaux d’émancipation envers la dépendance qu’entraîne le mourir ?

Depuis 20 ans, dans une Europe pluraliste et démocratique, les problèmes bioéthiques liés à l’expansion de l’articulation de la médecine et des biotechnologies sont de plus en plus importants. Les comités d’éthique ont pour premier objectif d’harmoniser les différentes convictions morales propres à notre société post-religieuse et une intentionnalité éthique réelle tentant d’élaborer une universalité de principe qui avait disparu après la seconde guerre.

Mais pour quelle raison le consensus ne peut-il se manifester que sur le terrain de l’éthique procédurale, c’est-à-dire la manière pragmatique de répondre aux questions ?

Je voulais souligner que les positions extrêmes, qu’elles défendent le principe absolu de l’autonomie ou le principe absolu de la sacralité de la vie sont par nature totalitaires. Elles refusent la délibération et ne peuvent être défendues que par des arguments d’autorité ou la revendication d’un droit. Mais la question du comment nous voulons mourir concerne chaque citoyen privé et exige un débat public qui ne devra pas chercher la bonne solution mais la moins mauvaise pour chacun, une solution qui ne serait pas radicalement bonne mais justement bonne. La revendication de la liberté devait dès lors être celle d’une liberté coresponsable entre médecin et patient, ce qui est pour moi le contraire d’une dilution de la responsabilité, accusation que l’on a faite aux cellules d’aide à la décision, car nous passerions, avec une charte des droits du patient, à un modèle contractuel et nous échapperions à la fois au modèle paternaliste et au modèle arbitraire de décision. Nous ne pouvons argumenter nos convictions morales qu’au niveau d’une expérience existentielle qui nous est propre mais néanmoins contextualisée. Des normes minimales devront tenir compte de la spécificité des patients vulnérables sous peine de les exclure du débat public, parce que leur vie « ne vaut rien ». Le conflit qui oppose le droit subjectif au droit public doit donc se résoudre par une troisième voie.

On ne peut prétendre être pluraliste et mépriser la relativisation de l’autonomie par d’autres valeurs, la vulnérabilité du patient par exemple. Il ne s’agit pas d’un débat entre individualisme et communautarisme, car comme le disait Sartre « On ne peut être libre seul ».

La notion d’autonomie est immédiatement confrontée à la notion de dignité ainsi qu’à celle de justice. Nous savons que les dépenses de santé devraient toujours être contrôlées par une justice distributive. Or, lorsque le rationnement provoque la disparition de la dignité irréductible de chaque personne, ne sommes-nous pas en face d’un comportement irrationnel ? La contradiction réside en ce qu’au nom de la dignité, on retire aux personnes leur nom, leur visage, c’est-à-dire la plus fondamentale des libertés. Le patient devient dans l’institution un individu anonyme, voire un outil statistique. Si l’épistémologie scientifique est par nature déterministe, les personnes quant à elles sont libres de lutter contre le déterminisme de leur condition, jusqu’à accepter ou refuser la mort.

Lorsque le projet de loi a été présenté en Australie, Peter Singer, bioéthicien célèbre, a posé la question suivante : le territoire nord-australien est-il le premier domino d’une longue série ? De manière signifiante, l’auteur utilise non pas la métaphore courante de la pente glissante, mais une plus ludique, qui dissout les notions de chute et de culpabilité présentes dans l’idée de pente glissante. Il remplace cette métaphore par un mouvement horizontal – historique et aussi inévitable, nous dit-il, que le temps qui passe – et présente la légalisation de l’euthanasie comme un déterminisme social, un nouveau fatum. C’est contre ce nouveau fatum que je m’élève pour insister sur la nécessité d’une procédure a priori.

Nous savons que la médecine n’est plus une affaire privée entre le praticien et son patient, qui devient de plus en plus un client. Le contrat qu’ils établissent doit donc trouver des manières de devenir équitable. D’où ma proposition d’une charte légalisée des droits du patient en fin de vie. La mort idéale, idéal positif ou négatif, ce n’est pas à nous d’en juger, étant aujourd’hui une mort médicalisée, l’euthanasie peut constituer une position idéologique d’une façon de mourir « logique et cohérente pour tous ». C’est ceci que tout projet de loi doit éviter.

On entend souvent dire que la légalisation de l’euthanasie représente les autonomes qui ont le courage de maîtriser leur propre mort. Mais derrière cette revendication d’autonomie, et là réside le problème, se cachent des déterminismes socio-économiques qui font que ce désir n’est pas un désir libre mais un désir induit. La sociologue Anita Hocquard a montré dans son étude conduite auprès des membres de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité que la honte provoquée par la dégradation provoquait la demande d’une « citoyenneté létale ». Pouvons-nous parler dans ce contexte de revendication autonome ? Ne devons-nous pas tenir compte de la vulnérabilité de fait des demandeurs d’euthanasie volontaires sans tomber dans le paternalisme qui consisterait à juger leur actes ?

Qu’est-ce alors que la revendication du droit de mourir ? « Une simple liberté ou une créance ?», nous demande-t-elle. Nous devons nous interroger sur le pouvoir auquel s’adresse cette revendication. Il ne faut pas oublier que l’association en question s’est créée contre le pouvoir médical d’une certaine médecine qui, à l’époque, était une médecine réductionniste et qu’elle s’adresse à la revendication citoyenne du droit de mourir, celle qui polarise tous les reproches étant la réanimation. Le droit de mourir devient alors une extension du droit de propriété sur soi, sur son corps et sur sa mort. Soulignons que l’ADMD en France a environ 25.000 adhérents.

Ce chiffre est analysé comme corrélatif de la montée de l’individualisme qui caractérise notre modernité : valorisation de la vie privée, intensité des rapports à soi qui définit l’individualisme comme un ethos.

L’individualisme est aujourd’hui, dans les sociétés développées, un individualisme de légitimation. Il a évolué vers une pluralité d’individualismes conflictuels. Ces conflits invitent à penser les limites de l’individualisme dans une démocratie pluraliste. Nous sommes passés d’un individualisme universalisant qui a donné naissance aux droits de l’homme à un individualisme narcissique.

Selon l’étude sociologique précitée : « Les déclarations des adhérents affirment la souveraineté du moi ... Le profil sociologique et économique est celui de surdiplômés, ils sont 26 % à avoir un diplôme au-dessus de la licence ... Le religare » – qui est la notion de lien social – «  fait nettement défaut à cette population ».

L’enquête conclut sur un parfait profil d’individualiste visant à utiliser le contrôle de sa mort pour éviter la souffrance. Bien sûr, cette description n’implique de sa part, ni de la mienne d’ailleurs, aucun jugement de valeur, mais elle nous donne des éléments de réflexion en termes de légitimation politique de l’euthanasie par une certaine classe sociale peu consciente peut-être de ses conséquences pour des patients économiquement plus faibles et moins privilégiés en termes d’éducation.

C’est donc une question politique car elle interroge les élus sur la cohérence d’un droit de créance qui implique l’intervention d’un  tiers. Il faut rappeler que, pour cette raison, dans la plupart des pays européens, le suicide ne constitue pas une infraction mais que, néanmoins, on n’a pas le droit de le commettre. Peut-on envisager l’euthanasie comme « un délit autonome »  régi par des droits idéaux, une troisième voie du droit ? Je laisserai aux juristes la responsabilité de répondre à cette question.

En légalisant l’euthanasie, nous entrerions dans l’ère affirmée d’un biopouvoir reconnu en droit, alors que tout le discours bioéthique auquel je participe dénonce l’existence de ce biopouvoir, un pouvoir qui peut instaurer un droit à la mort volontaire si, et seulement si, il n’a pas le pouvoir de vie et de mort. Il me semble donc extrêmement important qu’il n’y ait pas de collaboration entre le pouvoir médical et le pouvoir juridique sur cette question, mais un pouvoir critique du pouvoir juridique. 

Le biopouvoir ne légitimerait la légalisation que contre un autre pouvoir, le pouvoir biomédical. Le motif juridiquement admissible étant la dignité qui deviendrait un concept juridique, comme c’est déjà le cas en France après l’histoire du lancer de nains.

La légalisation se fait peut-être au nom du principe d’une autonomie privilège. Ma question est de savoir comment faire pour que celle-ci soit partagée par tous. C’est pourquoi il me semble essentiel qu’une régulation a priori permette de vérifier que la perception de la dignité humaine par le patient vient bien d’une conception de la dignité personnelle afin qu’elle ne soit pas vécue par certains patients, représentant d’autres convictions sur la dignité humaine, comme une violence faite à leur vulnérabilité physique et socio-économique.

J’expliquerai à présent pourquoi je défends une position a priori. Tout simplement parce qu’en travaillant avec une équipe volante de soins palliatifs, il m’a semblé que c’était la position la plus démocratique pour le patient. Mais cette position a priori doit être renforcée par une charte des droits du patient. En effet, il ne me semble pas possible, en droit positif ni en éthique, de définir une position éthique ou juridique consensuelle. Il faut simplement que l’État assure la convivialité de convictions conflictuelles.

Si les questions d’éthique se posent en milieu hospitalier, nous pouvons penser le comité d’éthique hospitalier comme ayant une fonction symbolique très forte, celle d’élaborer des consensus qui ne rabotent pas les convictions au plus petit dénominateur commun mais qui mettent en scène une culture où le projet individualiste et le droit subjectif par excellence restent un droit privé, protégé par les institutions publiques.

La légitimation du droit privé à la revendication du droit de mourir ne peut donc dispenser d’un débat public sur l’organisation sociale de la fin de vie. Nous ne retrouvons dans les propositions de loi que des formes des positions deux et trois de contrôle a posteriori ou a priori. La régulation a posteriori s’aligne, selon moi, sur le modèle du compromis hollandais entre pouvoir médical et pouvoir législatif, en proposant un maintien symbolique de l’interdit du meurtre, tout en permettant le suicide assisté. Il me semble d’ailleurs très important, au niveau sémantique, de ne pas parler d’euthanasie, car c’est un terme extrêmement complexe ; on a pu déterminer neuf définitions différentes de l’euthanasie. Dans un projet de loi, il me semble beaucoup plus précis de parler de suicide médicalement assisté.

La proposition a priori que nous avons défendue au sein du comité d’éthique récuse les deux approches principalistes en conflit et invite à tenir compte de l’avancée de l’éthique clinique permise par la culture «soins palliatifs» en Belgique et par les diverses cellules d’aide à la décision qui se sont développées dans les comités d’éthique hospitalière. Leur rareté à ce stade souligne que la méthodologie de la régulation a priori consiste à ne pas adopter de position principaliste ou institutionnelle, mais à mettre le patient au centre du processus de décision afin que son désir puisse peser aussi lourd que son dossier médical, dont l’interprétation reste souvent incertaine, comme nous l’avons vu. Cette éthique clinique interne à chaque service aurait pour avantage de protéger à la fois l’autonomie et la vulnérabilité du patient.

La proposition de régulation a priori permet également selon moi de postposer une régulation juridique en invitant d’abord à s’interroger sur la clandestinité des pratiques banalisées d’euthanasie en milieu hospitalier. Cette première étape devrait permettre au droit de se mettre en phase avec la réalité de terrain dont les aspects singuliers ne pourraient qu’être masqués par une approche juridique trop positiviste. Les sondages ont bien montré que l’euthanasie volontaire était devenue un fait de société et que l’on ne pouvait plus ranger cette pratique dans la catégorie de l’exception ou même de l’état de nécessité. Cette prise de conscience de l’ambiguïté de la liberté médicale face à la liberté «vulnérabilisée» du patient ou du mourant pose la responsabilité en un principe ouvert de l’éthique clinique, dans la complexité des conflits d’intérêts entre protagonistes. Quand je parle de protagoniste, je ne parle pas d’un médecin face à un patient mais d’une équipe soignante face à un patient. Je trouve qu’il y a déjà là un déséquilibre assez profond.

Cette éthique clinique à travers laquelle s’élabore le jugement à plusieurs réinvente un espace politique horizontal à l’hôpital alors que ceux qui connaissent la structure politique de l’hôpital savent qu’une structure hospitalière est une micro-société extrêmement hiérarchisée et autoritaire. Le passage de l’éthique clinique à la légitimation juridique est un processus lent qui devrait être encouragé par une éventuelle dépénalisation mais non remplacé par une dépénalisation. Je réitère donc auprès de vous ma demande d’une légalisation d’une charte des droits du patient qui aurait pour fonction d’assurer à ce dernier l’établissement d’un contrat thérapeutique cohérent avec son équipe soignante en faisant de lui un partenaire de la décision.

M. Philippe Monfils (PRL-FDF-MCC). – Je voudrais poser assez rapidement quelques questions à madame. La première concerne les définitions. Elle a dit que, pour elle, l'euthanasie n'est qu'un suicide médicalement assisté. Elle sait donc sans doute qu'elle est en désaccord avec le Comité de bioéthique qui, unanimement, a donné une définition claire de l'euthanasie. Elle est aussi parfaitement en désaccord avec M. Englert qui, il y a quelques jours, a bien marqué la différence entre euthanasie et suicide médicalement assisté, non seulement au niveau du geste mais aussi au niveau d'une certaine "convivialité" dans la manière dont les choses se font. J'aimerais entendre son sentiment à cet égard.

Ma deuxième question porte sur les explications intéressantes de madame sur les risques de dérives économiques. Croyez-vous aujourd'hui, madame, que les dérives économiques ne constituent pas un risque évident puisqu'il n'y a aucun contrôle. Tout se fait en dehors d'une certaine transparence. En quoi, grands dieux, une législation réglementant au contraire la procédure de décision d'euthanasie serait-elle actuellement plus dangereuse que les dérives économiques? Que je sache, ce n'est pas l'existence de l'euthanasie qui aboutirait à des dérives économiques, c'est la volonté d'un État de considérer éventuellement que, pour des raisons financières, il n'assure plus la qualité et l'efficacité des soins aux personnes du troisième, du quatrième et du cinquième âges. Il s'agit donc d'un débat politique qu'il n'est pas question de faire peser sur ceux qui proposent l'euthanasie. C'est un autre problème. Croyez-moi, il y a un certain nombre de choses à dire à cet égard. Nous voulons que le patient soit soigné jusqu'au bout, quels que soient son état physique et son mode de vie. Je réfute donc complètement cette liaison entre euthanasie et dérives économiques. La situation économique peut varier en fonction des décisions d'un pays.

Ma troisième question concerne la charge des droits du patient. Ne croyez-vous pas que le premier droit du patient est précisément celui de décider de sa propre vie et de sa propre mort? Vous avez affirmé que le désir libre est un désir induit par des conditions économiques. Ce n'est toutefois qu'un postulat. Bien entendu, on n'est pas fils de personne. Tout le monde appartient à une catégorie sociale, a des antécédents, des parents, une société autour de lui, que sais-je? Mais je crois quand même qu'indépendamment de ce qui n'est qu'un postulat pour moi, le premier droit du patient est de dire qu'il souhaite éventuellement en finir, d'une façon ou d'une autre, avec son existence.

Par ailleurs, vous avez dit que le Comité d'éthique avait pour finalité d'harmoniser. Croyez-vous qu'il a été possible d'harmoniser, à l'époque de la loi sur l'avortement? Croyez-vous qu'il sera possible d'harmoniser en ce qui concerne l'utilisation des embryons surnuméraires? Croyez-vous qu'il sera possible d'harmoniser au niveau de la vision de la thérapie génique germinale ou somatique? Ce sont des débats qui existent dans une société démocratique. Ne peut-on pas, grands dieux, mener un débat sain, clair, approfondi? C'est ce que nous faisons, chacun restant sur ses conceptions. D'ailleurs, votre prédécesseur, M. Schotsmans, reconnaissait, il y a quelques minutes, qu'il existe deux conceptions fondamentales.

Ma dernière question porte sur la sédation contrôlée dont il a beaucoup parlé. On a discuté de la dignité de l'homme. Il a dit qu'il y avait des morts justes et des morts injustes. Pour vous, l'euthanasie est-elle une mort injuste et la sédation contrôlée une mort juste?

Mme Clotilde Nyssens (PSC). – Je remercie Mme Baum pour son exposé. Son style est assez nouveau. Le langage, plus sociologique et plus éthique, était plus difficile à comprendre au départ. Cela donne néanmoins un nouvel éclairage sur le dossier.

M. le président. – Nous avons invité une philosophe et une éthicienne.

Mme Clotilde Nyssens (PSC). – Ce nouveau langage suscite de nouvelles questions. J'ai bien compris que Mme Baum était principalement en contact avec la France puisqu'elle a cité pas mal d'auteurs.

M. le président. – Madame Baum est française…

Mme Clotilde Nyssens (PSC). – Ma question est très précise. Où en est ce débat en France? Je suppose que les pratiques sont les mêmes et que le développement des soins palliatifs est identique. Je présume que les mêmes questions sont posées lors du débat éthique. Existe-t-il un consensus philosophique? Vous avez insisté sur le fait que, dans une démocratie, la position que vous défendez devrait rencontrer toutes les convictions éthiques. En est-on au même point en France? Comment a-t-on abouti à cette démocratie pour laquelle vous plaidez étant donné qu'on n'a pas légiféré et qu'on n'a pas dépénalisé?

Vous avez par ailleurs parlé de la relation contractuelle entre le médecin et le patient. Cela veut dire qu'il y a un contrat. Le patient se trouve-t-il devant son médecin comme deux individus se trouvent devant un contrat? Cela m'a un peu interpellée. Un médecin est quelqu'un qui a une profession réglementée, qui est encadré, qui est un tiers. Je ne conçois donc pas la relation entre le patient et le médecin comme un contrat entre deux personnes privées étant donné que la société donne une mission particulière au médecin. Nous en avons déjà beaucoup parlé. Cette position m'étonne donc un peu.

Enfin, j'ai l'impression que vous avez développé une thèse selon laquelle les gens seraient traités différemment selon leur catégorie sociale. C'est la première fois que j'entends parler de ces études sociologiques que vous avez invoquées. La question de l'euthanasie se pose-t-elle différemment selon les classes sociales? Cela m'interpelle très fort.

Mevrouw Kathy Lindekens (SP). – Mevrouw, op een bepaald ogenblik hebt u het volgende gezegd: “De uitgesproken wens is niet vrij, maar geïnduceerd door de sociaal-economische context.”. Heb ik het goed begrepen dat u van oordeel bent dat mensen niet uit eigen vrije wil of uit eigen overtuiging om euthanasie verzoeken, dat ze daar niet over nagedacht hebben? U spreekt ook over de kwetsbaarheid van de patiënt. Ik meen dat elke vraag om euthanasie ontstaat uit de erkenning van de eigen kwetsbaarheid. Mag de patiënt over zijn eigen kwetsbaarheid oordelen? 

Mme Baum. – Je vais d'abord répondre aux questions de M. Monfils. La première concerne ma préférence sur le plan de la définition : suicide médicalement assisté plutôt qu’euthanasie. J'ai entendu les interventions de M. Englert qui parlait de suicide assisté et non pas de suicide médicalement assisté. Cela me semble tout à fait différent parce que, dans un suicide assisté, aucun médecin n'intervient. Par contre, un des parents peut intervenir, par exemple. Si je parle de suicide médicalement assisté, c'est pour insister sur la volonté du patient. Il me semble qu'une euthanasie n'est légitime que si le patient la demande, soit par des directives anticipées, soit directement à son médecin. Je me suis permis d'utiliser la dénomination «suicide médicalement assisté» puisque nous savons que la plupart des euthanasies pratiquées en Belgique ne sont pas volontaires. J'ai pu m'en rendre compte en travaillant dans une équipe de soins palliatifs mobile. Je n'accuse pas la pratique médicale. Je constate simplement que, dans des situations de dilemme terrible auxquelles les médecins doivent faire face, l'euthanasie non volontaire paraît être la moins mauvaise solution. Il me semble que, pour échapper à cet arbitraire, il faut encadrer cette décision pour qu'elle ne soit pas prise dans un moment de perte de contrôle.

M. le Président. – Si vous le permettez, madame Baum, je crois qu’il faudrait quand même être précis. Les auteurs des propositions de loi actuellement en discussion ont d’ailleurs repris la définition du Comité de bioéthique. L’euthanasie est bien le fait de donner la mort à quelqu’un, à la demande de celui-ci. Vous parlez donc d’autre chose.

M. Monfils. –    … il faut que l’euthanasie soit pratiquée par un médecin et non par un membre de la famille, cela me paraît fondamental.

Mme Baum. – Cela me semble très important dans le projet de loi, mais quand je constate la différence entre les faits et le projet de loi, je me dis que ce dernier n’a de chance de rassurer les patients que s’il décrit la situation réelle des hôpitaux et, par conséquent, prend en compte l’ensemble des pratiques de l’euthanasie. Ce qui me dérange, dans le terme euthanasie, c’est que l’on parle de « bonne mort ». Les médecins vous diront qu’il n’y a pas de bonne mort mais des morts plus ou moins supportables. L’euphémisme dont on entoure l’euthanasie me semble dérangeant alors que lorsque l’on parle de « suicide médicalement assisté », on parle d’un acte technique qui me semble plus précis. Mais il s’agit là d’une opinion personnelle.

Quant à la dérive économique, il est évident que la légalisation vise à réglementer une procédure. Si j’ai bien compris, vous mettez en cause le fait qu’il y aurait une dérive économique ou alors vous dites que cela ne concerne pas le projet de loi.

M. Monfils. – Je veux simplement dire qu’il n’y a pas de raison d’invoquer une dérive économique en matière d’euthanasie. Je crois d’ailleurs que dans un certain nombre de pays européens où l’euthanasie n’est pas autorisée, le problème des soins à donner aux personnes extrêmement âgées se pose, ce qui prouve bien qu’il s’agit d’un problème philosophique de fond . Pour ma part, je suis partisan d’examiner à fond ce problème qui n’a rien à voir avec l’euthanasie. Je répète que dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, qui n’autorisent pas l’euthanasie, on décide parfois de ne plus opérer les fumeurs atteints d’un cancer. Cela n’est pas acceptable. Il faut donc bien dissocier ces deux problèmes. Nous nions que la proposition de loi, si elle est votée, aboutirait à une dérive économique.

Mme Baum. – J’ai un regard en termes conséquentialistes sur ce projet de loi. Tel que vous le présentez, il ne me pose aucun problème mais, dans le contexte social actuel où il doit être placé, il y a un risque de dérive. Quelques textes de ministres flamands ont d’ailleurs parlé d’une nécessité économique de régulariser l’euthanasie.

M. Monfils. -   Jamais nous n’aurions prétendu cela.

M. Mahoux. – C’est important ! Avez-vous le texte dont vous parlez?

Mme Baum. – Je n’ai pas ce texte ici mais il a été publié dans « Le journal du médecin » il y a deux ans.

M. Mahoux. – Selon vous, un ministre flamand aurait déclaré qu’il était nécessaire de prendre en compte la dimension économique et donc, de légaliser l’euthanasie.

M. Monfils. – S’ils sont exacts, ces propos sont très graves, mais ils ne concernent en rien les auteurs de la proposition !

Mme Baum. – Bien sûr. Je ne porte pas d’accusation envers l’un ou l’autre des projets de loi présentés. Je dis simplement qu’un projet de loi, à la fois aussi idéaliste et philosophiquement correct, doit tenir compte du contexte dans lequel il va être appliqué. Or, le contexte économique actuel est difficile pour les personnes âgées vulnérables; je crois donc que ce projet, puisqu’il est biopolitique, doit tenir compte de cette dimension économique et sociale.

Vous demandez pourquoi il faut une charte du patient étant donné que la décision lui appartient. Je suis tout à fait d’accord, mais il faut lui donner les moyens juridiques de le faire. Cela n’est pas prévu dans les hôpitaux.

 

M. Monfils. – Cette proposition prévoit les moyens juridiques de se faire entendre ! Je suis tout prêt à vous suivre lorsque vous dites que ce n’est pas le cas dans les hôpitaux. Raison de plus pour faire changer les choses. Il ne faudrait pas que l’on continue encore pendant dix ans. Si la situation est vraiment celle que vous dénoncez, je trouve qu’il est encore plus urgent de légiférer en matière d’euthanasie.

Mme Baum. – Pour répondre sur ce point, il me semble important de préciser que le public confond légalisation et légitimation. Il est en effet extrêmement urgent de légaliser l’euthanasie parce qu’il y a une incohérence des pratiques hospitalières et des repères éthiques de pratiques qui sont tout à fait insupportables. Je voudrais dès lors que l’on fasse très attention lorsque l’on dit que légaliser n’est pas nécessairement légitimer l’euthanasie. Ce serait en effet limiter la liberté de ceux de ceux qui considèrent que l’euthanasie n’est pas légitime. Or, nous sommes dans une démocratie pluraliste et délibérative.

M. le Président. – Il n’y a d’obligation pour personne…

Mme Baum. – En effet. J’ai parlé d’harmonisation tout en dénonçant le fait que l’harmonisation et la recherche d’un consensus ne consistaient pas à chercher le plus petit dénominateur commun qui effacerait nos différences culturelles. J’insiste sur la possibilité de faire coexister ces convictions plurielles. Vous me parlez de « sédation contrôlée ». Il me semble – et cela n’engage que moi – qu’il s’agit d’une pratique hypocrite. A moins que j’aie mal compris votre question.

M. Monfils. – C’était bien ma question.

Mme Baum. – Quand on a pris la décision d’accepter la demande de fin de vie d’un patient, je pense qu’il faut l’assumer. Il ne faut pas essayer de trouver des moyens de concilier l’inconciliable. Peu de médecins de mon institution me contrediraient sur ce point car il existe également des demandes d’euthanasie dans les hôpitaux catholiques, ce n’est pas un secret.

M. Vandenberghe. – Il y a une différence entre une demande d’euthanasie et une exécution.

Mme Baum. – Bien sûr, les deux n’ont rien de commun. Le terme « exécution », que vous venez d’utiliser, a d’ailleurs  une connotation éthique. Il n’est pas question d’une exécution mais d’une réflexion permettant de répondre, le mieux possible, à une demande du patient, en analysant toutes les données du problème. C’est pourquoi j’ai insisté sur les cellules d’aide à la décision. En effet, lorsque j’ai abordé les inégalités entre classes sociales ou la « liberté induite », je visais des situations comme celle où l’on se retrouve à 55 ans, en retraite anticipée, sans aucun projet de vie, alors que tout le discours social vous dit que vous êtes inutile et que vous coûtez cher à vos enfants. Je me réfère ici à une étude en Sciences humaines effectuée par Anita Ocquard  sur 25 000 questionnaires, 5 000 ayant été complétés. Il faut que nous en tenions compte si nous ne voulons pas être accusés d’avoir élaboré un projet législatif dans la hâte.

M. le Président . – J’ai également lu ce livre et je n’en tire pas du tout les mêmes conclusions. Ce qui est dit dans ce livre, c’est que les demandeurs d’euthanasie appartiennent souvent à des classes intellectuellement favorisées.  Nulle part il n’est dit – comme vous semblez l’avancer – que l’on imposerait l’euthanasie à des gens qui seraient moins bien formés intellectuellement. Les résultats de l’enquête montrent cependant que les demandeurs d’euthanasie appartiennent généralement à des classes intellectuellement favorisées.

Mme Mylène Baum. – Je vous lirai simplement la pochette du livre : « Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin. Telle est l’injonction que Kafka, miné par la maladie, adresse à son médecin. On a déjà dit que l’euthanasie était une vieille question. De la même façon, une part non négligeable de la population revendique le droit, auquel l’opinion semble au demeurant favorable, d’être aidé à mourir. Mais au-delà de l’aspect juridico-éthique du problème, comment comprendre qu’un individu en appelle à la solidarité sociale – et c’est là qu’elle met le paradoxe – pour échapper au social et à ses solidarités ? Y a-t-il aujourd’hui une émergence d’une citoyenneté létale, l’existence d'un courant suicidogène ? » Et elle conclut cette question en disant : « Il n’y a pas moyen de montrer qu’une légalisation de l'euthanasie encouragerait un courant suicidogène, mais il n’y a pas non plus moyen de montrer que cela ne l'encouragerait pas ». Elle laisse donc la question ouverte.

Je voulais simplement témoigner de ce questionnement sociologique.

Pour répondre à la deuxième question de Mme Nyssens, la France ne dispose pas encore de projet de légalisation. Certains textes ont été déposés, mais vous savez comme moi que la France est un pays extrêmement hiérarchisé et « principaliste », qui est beaucoup plus Kantien que la Belgique, beaucoup moins pragmatique. Il y a énormément de réflexions au sein des équipes de soins palliatifs et de développements de soins palliatifs, tout en sachant que ceux-ci ne sont pas une réponse totale à la question de la souffrance face à la mort. Pour l’instant, aucun projet n’a été déposé au Comité d’éthique français sur la question.

Pour répondre à Mme Lindekens, Anita Hocquard essaye de montrer que lorsque nous sommes dans une société qui valorise la vieillesse, il lui semble que la liberté de choisir ou non une demande de mort est plus libre, moins déterminée que lorsque l’on se sent inutile. Le débat qu’elle provoque est le suivant : si j’avais un rêve, comment faire pour réintégrer cette quatrième tranche de vie que nous a offerte la biomédecine dans l’ensemble du corps social pour que le droit de mourir ne devienne jamais un devoir de mourir ? Cette question me semble essentielle.

Mevrouw Mia De Schamphelaere (CVP). – De uiteenzetting van mevrouw Baum was bijzonder interessant. Dat ze soms verwarrend overkwam is allicht ook te wijten aan het feit dat we in België in bepaalde schema’s discussiëren. Mij stoort daarin, zoals bekend, dat het steevast wordt voorgesteld als een strijd tussen religieuze overtuigingen en een bepaalde filosofische opvatting over het leven. Mevrouw Baum brengt benaderingen uit andere landen in de discussie, waar de wetgevende macht blijkbaar meer denkt aan de maatschappelijke effecten van een legalisatie. Ze spreekt in dat verband over de economische draagkracht van een samenleving en van de gezondheidszorg.

Bijzonder interessant was dat ze de resultaten bevestigt van een onderzoek bij scholieren rond de vraag of euthanasie in bepaalde gevallen kon op vraag van de patiënt. De intellectueel sterkere leerlingen van het algemeen onderwijs antwoordden voor 70% ja, terwijl de leerlingen van de beroepsklassen, die op 18  jaar afstuderen, slechts voor 30% ja antwoordden. Vraag is dus of we met de legalisatie de dualisering van de samenleving niet nog versterken. De vraag naar euthanasie komt immers uit de groep van mensen die zich zelfbewust en zelfzeker voelen, die assertief met artsen omgaan en die zich bij een ziekenhuisopname zeer mondig opstellen. Er is vandaag wel een grotere inkomensgelijkheid in de samenleving, maar er bestaat nog altijd groot verschil tussen een intellectuele zelfzekere klasse en een klasse die zich niet-beschermd voelt en die de garantie wil dat ze bij een opname goed verzorgd wordt en niet in de steek gelaten.  Voor die laatste groep is het zelfbeschikkingsrecht niet de eerste zorg, wel de zekerheid van goede verzorging en bijstand. De vanzelfsprekendheid van een goede medische verzorging is de jongste jaren verminderd, omdat die steeds meer afhankelijk is van de eigen keuze. Ik zal haar boek uiteraard met zeer veel aandacht lezen, maar toch wil ik de professor nu al vragen of er in andere landen ook al sociologische onderzoeken werden verricht naar de maatschappelijke effecten van een legalisering en naar een mogelijke versterking van de kloof tussen een intellectueel sterke klasse en een zwakkere klasse die zich door een legalisering eventueel nog minder beschermd voelt.

M. Alain Zenner (PRL-FDF-MCC). – Je vous ai suivi avec attention. Mon souci, dans cette commission, est de trouver un texte législatif reposant sur une assise sociale aussi large que possible et donc sur le plus large accord. De ce point de vue, au-delà d’un langage quelque peu hermétique, pour ne pas dire ésotérique qui n’est pas tout à fait le nôtre et qui crée certaines difficultés de compréhension, j’ai trouvé que vous avez énoncé un ensemble de considérations intéressantes.

Effectivement, ce qu’il nous faut, c’est une clarification. La première, c’est qu’il n’y a pas de proposition arc en ciel. Chaque parlementaire du groupe PRL-FDF-MCC a toute liberté de voter en son âme et conscience. C’est le cas également dans certains autres groupes politiques. Présenter une proposition comme émanant d’une majorité politique qui siège aujourd’hui au gouvernement, ne me semble pas contribuer à la clarté nécessaire du débat.

Je voudrais également revenir sur le problème de la définition. J’ai vu que vous aviez assisté à une partie de l’audition de M. Schotsmans.

Au fil des auditions, je suis de moins en moins satisfait de la définition de l’euthanasie – sans prétendre substituer mon propre jugement à l’autorité du comité consultatif de bioéthique – telle qu’elle a été formulée par le comité. En effet, il me semble qu’elle ne contribue pas à une bonne compréhension. Nous parlons avec des mots différents de choses analogues ou, au contraire, nous prêtons un sens identique à des termes différents. Le Professeur Schotsmans avait évoqué l’arrêt thérapeutique. Il avait parlé à ce propos de sédation contrôlée, c’est-à-dire de la mort accompagnée, en disant que cette pratique lui paraissait tout à fait légitime d’un point de vue éthique, même si l’administration massive de sédatifs devait nécessairement entraîner la mort.

J’ai trouvé qu’il était étonnant que cette forme d’euthanasie passive soit légitime sans demande du patient mais qu’elle devienne interdite si le patient la demande, auquel cas on parle alors d’euthanasie active. J’ai posé la question de savoir si, dans ce processus de sédation contrôlée, il y avait un cap à ne pas franchir, à savoir obtenir une demande du malade, ce qui rendrait alors le processus illégitime parce qu’on le qualifierait dans ce cas d’euthanasie. Je n’ai pas obtenu de réponse à cette question.

Je fais bien la distinction entre ce que vous appelez le suicide assisté – vous visez sans doute plutôt des cas comme celui qui a été évoqué par mon collègue Destexhe, le syndrome locked-in ? – et ce qu’on appelle l’euthanasie active en phase terminale. J’ai le sentiment qu’il y a beaucoup de confusion dans les termes. Vous me disiez que vous connaissiez neuf définitions de l’euthanasie. Nous serions intéressés de les entendre.

Cette clarification est nécessaire. En effet, j’ai noté que vous disiez que vous n’étiez pas opposée à une légalisation de l’euthanasie pour autant qu’elle ne soit pas légitimée, pour autant que le patient ait le dernier mot, pour autant qu’on lui en donne les moyens ; vous avez dit aussi que la proposition de loi, que vous avez appelée «biopolitique», serait acceptable si on obtenait des garanties contre toute dérive sur le plan économique. Toutes ces nuances me semblent très importantes. Cela signifie que cette proposition serait acceptable si l’on obtenait les garanties économiques nécessaires, si le patient avait le dernier mot, si on légalisait la pratique sans l’imposer à ceux qui l’estiment illégitime.

Cela veut dire que c’est acceptable si on légalise sans imposer la pratique à ceux qui l’estiment...

Mme Mylène Baum. – Aucun projet de loi n’a imposé quoi que ce soit.

M. Philippe Mahoux (PS). – À vous entendre, professeur, c’est acceptable si on ne l’impose à personne, si telle est la volonté du malade dans des conditions définies. Dans la seconde partie de votre exposé, vous avez dit que, selon vous, on pouvait légaliser l’euthanasie et non la légitimer. Pouvez-vous préciser votre pensée ? J’imagine mal que l’on dépénalise des actes qui ne sont pas considérés comme légitimes. Vous voulez peut-être dire qu’actuellement, en l’absence de législation, et demain, avec une législation dépénalisante, nous devons tous lutter – selon moi, nous le faisons – contre toutes les formes de dérives, contre certaines visions économiques de la société en ce qui concerne le traitement des malades, par exemple le fait d’envisager la fin de la vie, y compris la demande de mourir dans la dignité, d’un point de vue économique qui se substituerait au désir du malade. Il est évident que c’est inacceptable. Cependant, professeur, dans votre discours, vous avez pu laisser germer la confusion que le problème n’était pas clair pour les auteurs de la proposition de loi. Or, il l’est parfaitement.

Il s’agit bien d’une demande du malade concernant sa propre existence, son propre état, indépendamment de la situation que la société voudrait lui imposer. Une dépénalisation dans les conditions qui sont décrites assure des garanties plus importantes que celles existant actuellement. Êtes-vous d’accord sur ce point ?

Mme Mylène Baum. – Évidemment, les projets de loi qui ont été présentés constituent une amélioration par rapport à la situation actuelle, où la loi est perpétuellement violée et ne protège personne. À mon avis, tout le monde est d’accord à ce sujet.

M. Philippe Mahoux (PS). – Vous avez également parlé – et je suppose que c’est la philosophe qui s’exprimait – « d’individualisme collectif ». Pourriez-vous me fournir des explications complémentaires à cet égard ? Vous avez évoqué le principe d’autonomie, que, bien entendu, nous défendons. Il s’agit d’une autonomie choisie, qui n’enlève rien au fait que l’on vit, que l’on se constitue à travers les autres, mais qui implique de décider avec qui l’on se constitue, de quelle façon, en fonction de quelles règles. Au moment où l’on considère que les choses ne sont plus possibles, l’autonomie permet également de décider que l’on souhaite s’en aller et de lancer un appel dans ce sens. Vous êtes passée de « l’autonomie » à « l’individualisme collectif » et, s’agissant de l’autonomie que nous défendons, vous avez parlé d’« individualisme narcissique ». Il est ici question de malades, de personnes qui souffrent, de maladies incurables, de douleurs impossibles à soulager. Dès lors, je voudrais savoir où vous placez le narcissisme dans des situations telles que celles-là.

M. Alain Zenner (PRL-FDF-MCC). – J’aimerais que nous revenions au débat tel qu’organisé.

M. le président. – Mme Baum va à présent répondre aux questions de Mme De Schamphelaere, de MM. Zenner et Mahoux.

Mme Mylène Baum. – Par rapport à l’autonomie, j’ai parlé tout à l’heure de liberté-privilège. Plusieurs interventions allaient dans ce sens. Il me semble que philosophiquement, nous luttons tous contre une vulnérabilité qui nous détermine, du fait d’être nés et d’être mortels, et que l’autonomie est une espèce de processus perpétuel de libération de soi. Par contre, les patients mourants, comme ceux que nous rencontrons notamment dans les unités de soins palliatifs et dans les pavillons d’oncologie, disposent d’une autonomie de droit mais ils ont également une vulnérabilité de fait qui nécessite que soit défendue leur autonomie de droit. Les Américains, entre autres, ont été amenés à légaliser des directives anticipées, notamment dans le cadre de maladies dégénératives telles la maladie d’Alzheimer, pour pouvoir définir philosophiquement l’autonomie propre dans un processus d’incapacité. Personnellement, j’ai un problème avec les définitions principalistes de l’autonomie et de la liberté. Une liberté est toujours en contexte et le contexte du mourant, c’est une autonomie de droit et une vulnérabilité de fait. Les projets de loi me paraissent un peu idéalistes sur ce plan, car ils ne prennent pas en compte la phénoménologie du mourir.

[Mevrouw Mia De Schamphelaere herhaalt haar vraag.]

Mme Mylène Baum. – En ce qui concerne les personnes « sociologiquement plus faibles », il suffit d’ouvrir un journal sur la mondialisation pour voir que nous ne sommes pas tous égaux devant le libéralisme économique : il y a ceux qui en profitent et ceux qui le subissent.

J’ai travaillé récemment sur la modification de la déclaration d’Helsinki et j’ai constaté que même dans les déclarations internationales, déclarations éthiques, le principe d’autonomie sert parfois de cache-sexe : il protège les intérêts des pays riches par rapport aux pays pauvres, notamment dans la recherche sur le sida. Ce phénomène apparaît aux niveaux collectif et politique. Mais au niveau individuel, que se passe-t-il ? Parfois, des patients étrangers arrivent à l’hôpital ; ils ne savent pas dialoguer avec le médecin, ne parlent même pas la langue et face à cette incompréhension, on note « NTBR » dans leur dossier, mention très claire pour l’infirmier. Par rapport à une telle situation, je dis que nous ne sommes pas égaux devant cette liberté de privilège consistant à défendre son autonomie de mourir.

Mme Nathalie de T’ Serclaes (PRL-FDF-MCC). – Que signifie cette mention ?

Mme Mylène Baum. – Not To Be Reanimated : qui ne doit pas être réanimé.

Ces pratiques qui sont légion dans les hôpitaux et qui ne sont pas énoncées dans le débat sont extrêmement importantes à prendre en compte, selon moi. Je souhaiterais que l’on permette à tous de profiter de cette liberté de privilège et d’accéder à cette autonomie. En effet, la médecine nous a donné une tranche de vie supplémentaire dont nous pouvons disposer parce que nous avons la responsabilité d’en disposer – c’est un fait social – mais tout le monde n’est pas capable de comprendre quand il peut accepter ou refuser un acharnement thérapeutique, par exemple. Certaines populations non éduquées ont encore une vision totalement magique du médecin et ne considèrent pas qu’elles peuvent négocier un programme thérapeutique. Certains patients, pour des raisons religieuses, n’entreront même pas dans ces considérations ; ils ne valoriseront pas l’autonomie – on ne peut pas le leur imposer. Certaines religions valorisent l’hétéronomie. Même si nous ne sommes pas d’accord, elles existent dans une démocratie pluraliste et il faut également les protéger. C’est dans ce sens qu’il faut faire attention à la définition sociologique de l’exercice de l’autonomie.

M. Alain Zenner (PRL-FDF-MCC). – J'ai posé une question à propos de la différence entre sédation contrôlée, arrêt thérapeutique, euthanasie…

Mme Mylène Baum. – Tous les termes que vous utilisez ont été mis sur une espèce de règle de légitimité à interdit, depuis l'euthanasie passive à l'euthanasie active, par un bioéthicien suisse qui a montré que, selon le contexte dans lequel l'euthanasie était pratiquée et selon le degré de vulnérabilité du patient, il fallait évaluer la légitimité ou la non-légitimité de l'euthanasie. Effectivement, quand il n'y a pas, chez le patient, de capacité d'exprimer sa volonté, l'euthanasie n'est pas légitime, cela semble assez évident. Aussi, quand on parle globalement de l'euthanasie et de légalisation de l'euthanasie, il me semble que si on ne précise pas le contexte et le degré de vulnérabilité du patient, on risque de lui faire violence. C'est un débat philosophique qui a commencé entre Socrate et Calicles : vaut-il mieux subir une injustice ou la provoquer? Il me semble que, dans le débat sur la législation concernant l'euthanasie, il faut faire en sorte qu'on ne puisse pas provoquer d'injustice par idéalisme conceptuel. Cela me semble extrêmement important. Donc, quand nous parlons d'euthanasie, précisons de quoi nous parlons. Il me semble très important de faire une phénoménologie du mourir dans chaque service de soins. Nous avons des euthanasies dans les services de néonatologie, d'enfants nés avec une qualité neurologique extrêmement faible. La décision est de savoir si on les maintient artificiellement dans leur souffrance ou si l’on arrête les soins. Cette question est différente lorsqu’elle se pose en psychiatrie ou en gériatrie et que le contexte n’est pas le même. C'est pour cette raison que les cellules d'aide à la décision partent de principes de base, partagés par l'équipe soignante, pour analyser comment interpréter ces principes dans le contexte de la demande ou de la situation du patient en question. Il faut aussi analyser la demande du patient. On parle de dépression, mais qui ne serait pas dépressif face à la mort? De toute évidence, on ne demande pas la mort de manière joyeuse. Il me semble donc très important de contextualiser la demande sans juger de la demande. Un des excès des soins palliatifs, créés en réaction contre l'acharnement thérapeutique des années 70, a parfois été de vouloir faire le bien du patient malgré lui. Nous ne sommes plus à ce stade dans les soins palliatifs. Les soins palliatifs, essentiellement les soins palliatifs volants, qui essaient de développer une révolution de la médecine, de la médecine curative vers la médecine continue, tentent de prendre en compte toutes ces dimensions pour contextualiser la demande du mourir et faire en sorte qu'on n'avalise pas une demande dépressive mais qu'on permette à la demande de s'exprimer dans une liberté. Il existe des suicides rationnels. Des gens, sachant qu'ils ont une maladie dégénérative, disent, au bout d'un moment : « Je ne veux pas vivre en état végétatif, je ne veux pas être nourri artificiellement au moyen d'une sonde.» Ce sont des choses que les patients sont tout à fait capables de décider par eux-mêmes, qui ne doivent pas être décidées au nom de leur bien, ni par les soignants, ni par les conseils d'éthique, ni surtout par les éthiciens. D'ailleurs, je récuse cette définition d'éthicien. Je crois qu'il y a des philosophes de la médecine, qui analysent l'évolution et la crise dans laquelle la médecine se situe aujourd'hui, et il me semble que l'idée que les éthiciens pourraient dire le bien à la place des patients est une idée tout à fait réactionnaire et que nous ne vivons surtout pas à l'UCL. Quand nous sommes appelés dans des cellules d'aide à la décision, il n'est absolument pas question que nous disions le bien ou le mal pour le patient, il est question que nous entendions les diagnostics pluriels des médecins, qui sont souvent en conflit sur le diagnostic, et que nous aidions à la cohérence d'un projet thérapeutique qui est ensuite proposé au patient. Jamais, dans nos équipes, il n'y a eu de décision à la place du patient.

M. Alain Zenner (PRL-FDF-MCC). – J'aimerais aussi entendre vos suggestions sur la manière de légiférer. Vous dites qu'il est nécessaire de légiférer, qu'il faut prendre en compte davantage que le segment qui est prévu dans la proposition. Que faudrait-il faire pratiquement, selon vous? Avez-vous des conseils à donner?

Mme Mylène Baum. – Je ne puis parler qu'en tant que témoin des débats médicaux. Quand vous entendrez les médecins, les équipes de soins palliatifs, les infirmières de soins palliatifs qui partageront avec vous leurs expériences… Elles ont des régulations… Mon texte comportait des propositions que j'avais établies avec l'équipe de soins palliatifs de Brugmann, où j'avais fait quelques suggestions, texte que je vais laisser à votre disposition. Nous avions fait une tentative d'élaborer des réglementations minimalistes, justement pour ne pas limiter l'autonomie du patient. Nous avions d'abord posé un diagnostic des symptômes qui menaient à la violence contre le patient et nous avions proposé, après ce diagnostic, une espèce de thérapie de l'institution hospitalière. Le travail de réflexion éthique qui a été fait par ces équipes de soins palliatifs mobiles doit être pris en compte dans le projet de légalisation parce que ces équipes sont les mieux à même de mettre en scène la complexité du problème. Ce n'est pas aux éthiciens ou aux philosophes de le faire à leur place

M. le président. –En ce qui concerne son souhait de trouver un consensus, un terrain d'entente, M. Zenner a posé une question extrêmement précise à laquelle vous n'avez pas répondu.  M. Schotsmans disait tout à l'heure qu'il trouvait acceptable, si je l'ai bien compris, une sédation qui amenait à la mort. Or, à partir du moment où le patient la demanderait, elle deviendrait inacceptable. Il me semble qu'il y a là une contradiction et c'est sur ce point que M. Zenner voudrait une réponse.

Mme Mylène Baum. – Je ne lui ai pas donné de réponse parce que je trouve que c'est un faux dilemme. La définition qu'a donnée M. Schotsmans est celle de l'euthanasie passive qui lui permet, à partir de ses convictions, que je respecte totalement, de respecter l'interdit de tuer et le droit de mourir du patient. Mais, effectivement, dans ce scénario, il n'y a pas de demande du patient. Si j'ai bien compris le cas qu'il a exposé, il s'agit d'un patient qui est en état d'incompétence et qui n'a donc pas la capacité d'exprimer sa volonté. Là, il me semble qu'il faut effectivement établir une nuance. Nous avons eu, à la commission d'éthique, un projet visant à légitimer des expérimentations sur personnes incompétentes, et il m'a semblé extrêmement important de ne pas avaliser ce genre de demande. S'agissant de personnes qui ne peuvent pas exprimer leur volonté, décider collectivement, en tant que société, qu'on peut instrumentaliser ces personnes au nom du bien commun et non pas au nom de leur bien individuel, me semble une dérive démocratique extrêmement importante. Donc, s'il n'y a pas de volonté du patient, il est très clair que l'euthanasie n'est pas une euthanasie mais un meurtre.

M. Philippe Mahoux (PS). – Et dans l'autre sens, si une demande du patient ne reçoit pas de réponse? Vous venez de dire qu'il ne peut finalement pas y avoir d'élément sociétal collectif qui impose ou qui refuse quelque chose. Dans le cas où il y a véritablement une demande du malade, dans les conditions qui sont décrites, comment considérer la non-réponse à cette demande, indépendamment des opinions du médecin auquel cette demande s'adresse? Il peut répondre oui, il peut répondre non, il peut répondre oui dans telle et telle condition, à condition qu'il le dise au malade, ce qui devrait permettre au malade de prendre d'autres dispositions. Mais quand on dit non à un malade, pour des raisons qui dépassent la situation et la demande du malade lui-même, comment doit-on considérer ce refus?

Mme Mylène Baum. – C'est une violence faite au malade, nous sommes bien d'accord. Il y a eu une maturation grâce au débat sur l'euthanasie, ces dernières années, et il n'est pas acceptable, dans une démocratie, au nom de ses convictions propres, de refuser la conviction d'autrui. A moins d'être dans l'impossibilité de dépasser le cadre de ses propres convictions, c'est impensable… Le dilemme de la légalisation, c'est comment faire une loi qui puisse accueillir à la fois la conviction d'un médecin qui dit non, parce qu'il est le tiers…. On ne peut le lui imposer, mais il a la responsabilité - en tout cas, c'est un peu comme cela que cela se passe à l'UCL – d'orienter le patient vers quelqu'un qui pourra répondre.

M. le président. – C'est prévu dans la proposition.

M. Mahoux.- C’est vraiment la proposition.

Mme Nathalie de T’ Serclaes (PRL-FDF-MCC). – Vous avez dit, et je partage votre opinion, qu’une loi devait tenir compte du contexte social dans lequel elle va pouvoir s’appliquer. J’aurais ajouté : et de la réalité du monde médical, de la manière dont sont organisés les hôpitaux et particulièrement de la place, ou plus particulièrement de la non-place qu’y occupent les patients. C’est ma préoccupation majeure.

Mme Mylène Baum. – C’est pour cela que j’ai proposé une charte des droits du patient qui serait imposée aux hôpitaux. C’est la seule chose que l’on puisse imposer.

Mme Nathalie de T’ Serclaes (PRL-FDF-MCC). – Je suis bien d’accord avec vous. Si l’on dit aux patients qu’ils ont leur autonomie et qu’ils doivent décider, il faut leur donner les moyens concrets de cette autonomie. Cela s’applique à tous les patients et pas uniquement à ceux qui ont les capacités intellectuelles de pouvoir le revendiquer. Si je vous ai bien comprise, votre réponse est une charte des droits du patient. Plus concrètement, comment concevez-vous celle-ci ? Il y a un grand problème d’information à ce propos. On parle toujours du dialogue entre le médecin et le malade, mais en quoi consiste-t-il ? Aujourd’hui, c’est le docteur qui dit au patient ce dont il souffre et ce qu’il doit penser. A l’exception des cas de quelques personnes intellectuellement bien formées, c’est encore toujours cela la réalité dans les hôpitaux. Comment rééquilibrer ce dialogue et faire en sorte que l’autonomie puisse véritablement s’exprimer ? Je voudrais encore savoir comment vous concevez la problématique de la déclaration ou de la directive anticipée. Je pense qu’il s’agit d’un débat important et j’aimerais vous entendre à ce sujet. Dans quel cadre la placez-vous ? C’est en effet une manière pour le patient d’exprimer sa volonté quand il est conscient. Le problème consiste à savoir ce que l’on en fait quand il n’a plus la capacité d’exprimer cette volonté.

Mevrouw Iris Van Riet (VLD). – U hebt in het begin van uw betoog gepleit voor een procedure a priori om de rechten van de patiënt maximaal te beschermen. Hoe kan die procedure nog extra bijdragen tot de bescherming van de rechten van de patiënt, wanneer deze zich in een uitzichtloze situatie bevindt en duidelijk en ondubbelzinnig om euthanasie vraagt? Kan integendeel die procedure de rechten van de patiënt in dat specifieke geval niet schaden?

Mme Magdeleine Willame-Boonen (PSC). – Je vous remercie de votre exposé, madame. J’ai parfois eu l’impression que j’avais quelque peu oublié ma philosophie. Je n’ai pas compris tous les termes, mais je vous remercie de nous avoir rappelé un certain nombre d’éléments essentiels et importants. Vous avez notamment parlé de crise de la médecine et d’une nécessaire thérapie de l’institution hospitalière. Je voudrais revenir sur trois parties de votre exposé. Lorsque vous parlez de banalisation involontaire, comment pensez vous que l’on pourrait empêcher celle-ci, qui me semble grave ? Deuxième élément : vous avez parlé du poids économique du vieillissement et annoncé que selon les résultats de certaines études, les coûts des soins de santé allaient tripler d’ici 2040. Dans cette estimation a-t-il été tenu compte de la multiplication des soins palliatifs, par exemple, ou celle-ci est-elle basée sur la manière dont les soins se donnent pour le moment en Belgique, où l’on sait que les soins palliatifs ne sont pas encore très développés ? Troisième élément : vous avez dit, en parlant du médecin et du patient, « on ne peut être libre seul », ce qui fait beaucoup réfléchir. Faites-vous allusion au soutien possible de la cellule d’aide à la décision en matière éthique dans ce contexte ?

M. Mohamed Daif (PS). – Pour vivre dans un État démocratique et neutre comme le nôtre, il est essentiel d’essayer de trouver un point commun qui rassemble toute la société, indépendamment des convictions des personnes. En tant que professeur de philosophie, vous savez que se pose la question de la dépendance ou de l’indépendance de l’homme dans d’autres convictions religieuses. A-t-il ou non le droit d’ingérence ? Personnellement, je considère qu’il convient, dans notre État, de respecter les convictions de chacun . J’aimerais aussi vous poser la question en parallèle avec d’autres débats. Nous parlons maintenant de l’euthanasie, nous avons traité du problème de l’avortement, mais il y aussi celui du don d’organe qui est pratiquement passé inaperçu. On a légiféré en la matière mais l’information n’est pas bien passée. Comme vous travaillez en étroite collaboration avec le milieu hospitalier, vous connaissez ce problème que beaucoup de personnes ignorent. Ce sont des débats de société et il nous appartient de suivre l’évolution de celle-ci. Vous avez parlé tout à l’heure de légitimation et de légalisation. Selon certaines convictions, il n’y  pas de légitimation possible de l’euthanasie. Si la légalisation intervient, il faut  respecter la volonté de l’autre, mais le médecin ne doit pas imposer ses vues. C’est tout à fait clair dans notre esprit. En matière d’euthanasie, la loi stipule que le patient doit être conscient et exprimer plusieurs fois sa volonté. En fonction de ses convictions, le médecin peut aussi la refuser. Il faut surtout veiller à dispenser une bonne information sur l’euthanasie, qui n’est pas un meurtre. Avons-nous le droit de nous ingérer dans les conceptions des autres ? Si nous ne croyons pas à l’euthanasie, nous ne devons pas l’interdire à d’autres, sinon nous ne vivrions pas dans un État qui garantit le respect des convictions. En ce qui concerne les soins palliatifs, je suis entièrement d’accord avec vous :  tous les sénateurs ont la volonté de leur attribuer davantage de moyens. De plus, ils ne devraient pas exister seulement à l’hôpital. Le malade doit également pouvoir mourir dignement en famille. Le patient a le droit d’être bien informé sur sa maladie, la nature de celle-ci, son espérance de vie, etc., ce qui n’est pas le cas actuellement en raison des différences culturelles, du fait que le médecin est une personne que l’on n’ose pas trop interroger, qu’on ne trouve pas toujours facilement, etc.

Mme Clotilde Nyssens (PSC). – Puisque nous avons la chance d’avoir une personne qui est témoin des médecins – j’ai bien aimé cette image –, je voudrais lui demander comment fonctionne la cellule d’aide à la décision en pratique. Quand un cas se présente, dans n’importe quel service, que fait-on ? Qui rassemble-t-on ? S’agit-il d’une cellule de crise qu’on appelle au stade A, B, C ou D dont on nous a parlé aujourd’hui ? Ou s’agit-il d’une cellule qui fonctionne un jour fixe et qui réunit l’équipe soignante pour faire le point sur l’ensemble des dossiers des patients qui se trouvent dans le service ? Qui en fait partie ?

M. Jean-François Istasse (PS). – Madame, vous avez parlé d’une Charte des Patients. Je voudrais savoir quels points principaux vous mettriez dans cette Charte. Ce n’est peut-être pas directement lié à notre débat, mais il est intéressant selon moi que nous sachions ce que vous y mettriez.

Mme Mylène Baum. – On m’a posé des questions sur la réalité du monde médical et l’autonomie de l’institution hospitalière. On m’a demandé comment, avec la régulation a priori que je défends, il est possible de répondre à une demande d’euthanasie. C’est lié à la question de Mme Nyssen sur le fonctionnement de la cellule d’aide à la décision. J’ai essayé de défendre l’idée qu’une cellule d’aide à la décision n’a de chance de fonctionner de manière démocratique que si elle est associée à une Charte des droits du Patient. Dans cette Charte, il y aurait des règles sur le droit à l’information que vous avez mentionné, sur les lieux d’information, les personnes à appeler… C’est ce que nous avions déjà essayé de faire dans l’équipe de soins palliatifs volante où j’étais intervenue. Il faut dire que, dans l’institution hospitalière, il y a parfois des conflits de territoire entre les services. La néonatologie ne voudra pas travailler avec l’obstétrique et l’oncologie ne voudra pas collaborer avec les soins palliatifs, car chacun possède son patient ! On ne se l’échange pas ! C’est une réalité qu’il faut aussi décrire pour savoir comment, dans ce contexte, donner la possibilité au patient de défendre ses droits.

Que mettre dans cette Charte des Patients ? Une explication de la directive anticipée. De quoi s’agirait-il ? Il s’agit de dire quel projet thérapeutique on veut établir avec son patient et comment, face à sa maladie, on imagine sa fin de vie. Il faut aussi penser au fait qu’il relève de la responsabilité du patient de ne pas laisser décider le médecin. Par ailleurs, beaucoup de patients nous disent aussi avoir le droit de ne pas savoir… et ce droit doit aussi être présent dans la Charte des Droits du Patient. On ne peut pas, par exemple, lui imposer un diagnostic de maladie génétique pour laquelle il n’y a aucun recours curatif et qui ne fera que le déprimer. Tout cela doit être établi, mais je crois qu’il serait absurde de vouloir dresser une liste de points abstrait dans la Charte du Patient. Dans l’hôpital où je travaille, j’essaie que chaque service décrive les problématiques qu’il rencontre afin de tenter, à partir de là, d’anticiper quels pourraient être de manière préventive, les moyens de préserver les droits du patient. Il faut tenir compte du fait que nous vivons dans une société multiculturelle et dans certaines cultures – vous l’avez évoqué – le don de sang, le transfert d’organes … sont des questions éthiques extrêmement importantes, qui ne sont pas essentielles pour le médecin mais qui le sont pour le patient. Cette Charte doit donner au patient les moyens d’exprimer ce qui est important pour lui dans son projet thérapeutique. S’il est important pour lui de ne pas donner ses organes, il doit pouvoir le mentionner et il faut que ce fait soit pris en compte dans le dossier médical. Il doit pouvoir exiger du médecin que lorsque ce dernier prend la décision de ne plus soigner, ou de NTBR – not to be ressucitated –, qu’il en soit informé.

Je donne des exemples au hasard, comme ils me viennent.

M. le président. – Pourriez-vous inclure éventuellement, dans cette charte du patient, la demande anticipée?

Mme Mylène Baum. – Tout à fait. Il me semble que c'est le seul lieu où il est légitime de légaliser la demande puisqu'elle émane du patient. Ce n'est pas une demande sociétale. Il n'en va pas de l'intérêt de l'hôpital sur le plan de sa gestion ou de celui d'un chef de service qui veut libérer un lit. Il en va de l'intérêt du patient lui-même. Il incombe au médecin de trouver une réponse à cette demande du patient. S'il ne peut le faire à cause de ses convictions propres, il doit trouver les moyens de rencontrer la demande du patient, grâce à un médecin qui partagerait les convictions du patient. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus prétendre avoir des principes universels que nous pouvons partager. Imaginez que nous puissions faire un projet de loi universellement satisfaisant pour l'ensemble de la communauté belge! C'est une illusion et nous pourrons passer des années à nous disputer sur les régulations internes de cette loi. Par contre, en donnant au patient les moyens de décrire sa demande, nous somme sûrs de respecter la cohérence démocratique. Je ne vois pas d'autre solution.

M. le président. – Je crois, Professeur, que vous avez ouvert une piste extrêmement intéressante. Je vois beaucoup de gens qui prennent des notes. J'en ai pris aussi. Je crois qu'effectivement, cette charte du droit des patients est un élément important sur lequel il faut réfléchir.

Mme Mylène Baum. – Certains pays, comme le Danemark ou Israël, l'ont déjà légalisée. C'est en projet en France.

M. le président. – C'est une piste importante. Je crois qu'il faut y réfléchir.

Mme Magdeleine Willame-Boonen (PSC). – Qu'en est-il de l'évaluation des soins palliatifs?

Mme Mylène Baum. – J'ai repris l'étude sociologique qui a été réalisée auprès des patients ADMD en France. Il me semble très utile que l'on demande au Centre de sociologie de la Santé qui existe en Belgique de réaliser une étude comparable.