L’arrêt Perruche, ou
pourquoi le droit des handicapés ne s’oppose pas au droit reproductif des
femmes [par Mylène Baum]
La Jurisprudence Perruche
du 17 novembre 2000 avait permis au jeune Nicolas, gravement handicapé en
raison d’une rubéole maternelle mal diagnostiquée, d’être indemnisé du
" fait du préjudice de sa naissance " cette expression a
malheureusement crée des confusions regrettables sur un " droit à ne
pas naître " si contreintuitif à l’idée que la naissance se donne
" et ne peut donc se refuser ". Cette jurisprudence qui
prenait en compte les circonstances de la reproduction médicalisée
contemporaine des nouvelles libertés et responsabilités qu’elle suppose , a été
très contestée par des mouvements " anti-perruchistes ".
Dès sa parution elle a donné lieu à une bataille politique dont il est
essentiel de connaître les enjeux. Pour les
" anti-perruchistes ", la dignité humaine ne peut se penser
en termes de liberté des femmes à décider ou non d’un avortement
thérapeutique, pouvant s’opposer à une décision médicale !
La cour d’appel avait
d’abord retenu que la faute médicale avait effectivement fait perdre à la mère
l’opportunité d’une amniocentèse et à une interruption médicale de grossesse.
Elle a donc indemnisé l’enfant au titre de " perte de chance "
jusqu’au coup de théâtre de janvier 2002 où le gouvernement, sous la pression
des conflits entre les divers ministères, l’opinion publique, les
échographistes, les assurances a mis fin à la jurisprudence Perruche qui était
pourtant un courageux précédent qui indemnisait les victimes d’erreur de
dépistage des malformations durant la grossesse. Il est essentiel de comprendre
qu’il n’était pas question de pénaliser la faute médicale mais de reconnaître
la responsabilité juridique à penser de nouveaux droits face à l’avancée des
biotechnologies qui rend la mère responsable de choisir de mettre au monde un
enfant handicapé ou pas. Ce qui était le principe même de la loi sur
l’avortement contre laquelle luttait, Jean François Mattei, Christine Boudin
(udf) anti-IVG et leur parti qui a fait de l’affaire Perruche un symptôme de la
division entre vitalistes et tenants des droits individuels.
- Les anti-IVG dénonçant
" l’eugénisme " auquel mènerait nécessairement une telle
jurisprudence, oubliant que cet eugénisme privé et mélioriste est le but même
de la médecine reproductive contemporaine depuis la fécondation in vitro
jusqu’à la recherche sur embryons surnuméraires (qui s’annoncent dans la
plupart des pays d’Europe), et qu’elle n’est en rien comparable avec l’eugénisme
d’Etat que les vitalistes avaient largement soutenu les temps sombres !
Droit des personnes et droit positif :
Les plus hauts magistrats
avaient admis qu’un garçon très handicapé, parce que sa mère avait contracté
une rubéole non diagnostiquée pendant sa grossesse pouvait être indemnisé
puisque sa mère n’avait pas été prévenue des risques encourus et n’avait donc
pas pu exercer son droit à l’avortement thérapeutique éventuel. Cette
jurisprudence mettait précisément fin au vitalisme inhérent au droit positif
français opposant droit à la vie et " droit de ne pas
naître ". Etre vivant, n’est plus le résultat de la seule
reproduction naturelle, puisque la reproduction est hautement médicalisée. Cela
implique donc de mettre à contribution la même société qui avait jugé que
Nicolas pouvait vivre malgré son handicap et ne lui avait apporté
" qu’une solidarité minimale " au lieu de la solidarité
forte qu’il était en mesure d’attendre de cette société, qui faisait de sa vie
un " devoir ". S’il avait un devoir de vivre n’était-il pas
légitime qu’il demande un droit à vivre dans des conditions de décence
compatibles avec la dignité de toute personne juridique ? La cour de
cassation a montré par cette jurisprudence, qu'elle reconnaissait le devoir de
protéger les droits d’un enfant trisomique à être indemnisé parce qu’il est né
handicapé, dans une société où le handicap était prévisible et donc évitable.
Ce qui est en jeu est là encore, comme dans l’ensemble des débats bioéthiques
contemporains est une vision essentialiste de la vie versus une vision
existentialiste de la qualité de vie minimale pour concilier liberté et dignité
humaine.
Dérives idéologiques contre droits individuels :
L’interruption de grossesse,
hier laissée à l’appréciation de la mère et de son médecin est devenue la scène
d’un débat idéologique mettant en scène des conflits d’intérêts entre médecins
qui refusent l’obligation de résultat auquel ils pensent devoir être
contraints, les assureurs qui auraient intérêt à ce que les médecins portent
des diagnostics de sécurité (pour éviter les conséquences d’indemnité aux
enfants handicapés…et provoqueraient des avortements thérapeutiques sous simple
présomption de handicap).
Cette multiplication des
acteurs, ne mène-t’elle pas à tout confondre ? Si l’arrêt Perruche n’était
pas parfait, il avait au moins l’avantage de se concentrer sur les intérêts de
l’individu plutôt que sur les intérêts de la société ? Leçon démocratique
que nous avait enseigné le code de Nuremberg en conditionnant la dignité
humaine sur la possibilité d’exercer sa liberté en exprimant sa volonté (même
si elle risquait d’être en conflit avec les intérêts du groupe à confondre
humanisme et politique de l’autruche).
Sens d’un retour en arrière
Les femmes n’ont pas
réagit, à part celles qui ont engagé une action en justice pour que leur enfant
victime d’une faute médicale obtienne réparation sociale. Ces familles sont
scandalisées contre la loi contre l’arrêt Perruche au nom précisément de la
protection des handicapés. " C’est une parade pour interdire aux gens
de porter plainte dit l’une d’elles ".
Au nom de la
" responsabilité juridique " on les a privés du droit de se
plaindre d’une erreur médicale qui peut engager leur vie et la qualité de vie
de leur enfant. Nous retrouvons dans ce débat qui ne fait que commencer, les
mêmes relents réactionnaires que dans le débat sur l’euthanasie ou le
paternalisme médical et politique se donnent la main contre l’étendue
" inquiétant du droit individuel ".
Nous voyons bien que dans
ce conflit ce qui est en jeu est la tension entre deux valeurs celle de la
liberté individuelle de se plaindre d’être condamné à un déterminisme naturel que
la technique aurait permis d’éviter, et la volonté de préserver cette illusion
au nom de l’universalité de la dignité humaine. Soyons adulte ! l’universalisme
des droits de l’homme n’a d’avenir que s’il est tissé par la protection des
droits individuels. La question du droit individuel lié aux possibilités
d’étendre la liberté individuelle que permettent les nouvelles technologies
innovantes de la reproduction humaine, est au cœur de ce débat, qui au nom
d’une dignité humaine, priverait les femmes de leurs droits reproductifs si
durement acquis.
Ce qui est intéressant dans
une perspective droits de l’homme est de viser le singulier dans l’universel,
et de se demander si l’arrêt Perruche porte atteinte à la dignité humaine ou
s’il protège la dignité humaine d’une mère et de son enfant handicapé ?
Pouvons-nous au nom de principes généraux questionner le droit des personnes
individuelles à lutter pour leur qualité de vie ?
Mylène Baum