SEM 02-03 : Impact des PMA

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"L’impact des nouvelles PMA sur la perception de l’individuation de la femme et de l’embryon à protéger"

Mylène Botbol-Baum [Séminaire 2002-2003 : "A partir de quand est-on une personne?"]

Effets sociaux de la reproduction assistée : les effets de la délocalisation des embryons:

Les avancées scientifiques et techniques en matière reproductive dans le domaine de la PMA et du suivi de la " qualité des embryons " a considérablement changé notre perception sur l’embryon ? La légitimation de l’avortement et les techniques d’AMP nous ont amené à adopter une position gradualiste de fait restait cohérent du point de vue juridique puisque l’embryon n’est pas considéré comme une personne par le droit.

La personne juridique en droit est la femme ; ce sont sur le corps des femmes que sont effectuées la plupart des interventions et des traitements souvent lourdes, alors que la pathologie en cause ne les concerne pas nécessairement. Les récentes évolutions des techniques de reproduction médicalement assistées ont amené les femmes à se questionner sur la finalité des techniques dans la redistribution des rôles des acteurs de la procréation.

Les recherches sur l’ovocyte, La fivete(Paris 1995), avec ovocyte par micro-injection, puis avec ovocyte décongelé (1997, Bologne) consiste à produire une éclosion assistée (Hatching) ont permis de rendre l’ovocyte manipulable sans que des protocoles d’expérimentation humaine clairs ne soient mis en place.

Il est symptomatique que dans ces techniques reproductives, les mères soient absentes. Tout se passe comme si elles n’étaient plus que porteuses d’ovocytes de plus ou moins "bonne qualité. Dans la littérature médicale le nom du médecin et de l’enfant apparaissent comme si une filiation biotechnologique avaient émergé de cette aventure de la fabrication d’embryons.

Plus important ces techniques ont modifié les liens entre la femme et le fœtus et l’embryon de manière paradoxale. La culture in vitro et la congélation a contribué à l’idée d’une individualisation de l’embryon alors que l’imagerie médicale rend sa présence plus tangible et intime; ce qui dans les représentations l’a déconnectée du corps de la femme, tout en en donnant une représentation plus concrète.. Rothman disait déjà en 87 que le mouvement qui rend accessible l’embryon et le fœtus a entraîné une invisibilité des femmes, et une atteinte à leurs droits. De plus, le fait de pouvoir fabriquer des fœtus en laboratoire rend possible de soumettre les embryons à un diagnostic génétique, donc à une sélection avant leur transfert dans l’utérus. Qui tend à la fois à individualiser l’embryon et à le transformer en marchandise potentielle ! Les femmes stériles constituent les cobayes idéaux car consentants, pour de nombreuses procédures expérimentales. Les expériences en cours sur le clonage humain sont intimement liées à l’avancée de ces techniques et bénéficient des embryons dit surnuméraires considérés comme du matériel biologique quasi indifférencié. Ainsi, Les femmes deviennent pourvoyeuses d’une matière première rare qui dépasse le cadre noble du traitement de l’infertilité.

Nous ne pouvons donc éviter la question du lien entre technique et impact socio-juridique sur la représentation que nous construisons de l’embryon et l’atteinte à la vision personnaliste que les religions avaient enseignée.

Les femmes sont, selon leur milieu culturel, très divisées quant à l’analyse des implications et des effets pour les femmes de s’être soumise à l’assistanat de ces nouvelles technologies reproductives. Mais elles sont globalement conscientes lorsqu’elles sont interrogées dans des études sociologiques d’une augmentation du contrôle social sur la reproduction qui pourraient

1) les déposséder de toute maîtrise sur leur reproduction

2) perdre la responsabilité du devenir de leur embryons

Créer une tension voire un conflit d’intérêt entre l’extension du statut d e’embryon et le statut de femmes à décider de leurs droits reproductifs, récemment acquis.

Il semble incontournable lorsque nous traitons la question de la protection des embryons de savoir comment et pourquoi la mère ne semble plus être considérée comme la protectrice naturelle des embryons. Cela nous permettra d’offrir un regard en termes de genres sur cette problématique socio-juridique que les femmes qui pensent les conséquences éthiques et juridiques considèrent comme fondamentale, et qui apparaît si rarement dans les débats des comités d’éthique européens.

Les craintes liées à l’AMP, et aux technologies reproductrices en général sont la crainte de la marchandisation, l’incertitude liée à la sexuation, à la production ou à la fabrication d’enfants. Le public craint et est fasciné à la fois par l’idée fantasmatique d e grossesse masculine ou machinique, de clonage reproductif, d’embryons médicaments alors que des enjeux sociétaux plus immédiats passent inaperçus, notamment Face à ces phénomènes la conscience de la nécessité de repenser la notion bioéthique de droits reproductifs des femmes émerge, mais essentiellement des mouvements féministes trop minoritaires pour avoir une représentativité politique.. L’assistance à la procréation ne semble plus un évènement contingent apporté par la manne du " déferlement technologique "  mais une technique qui insidieusement déséquilibre le rapport homme femme dans la procréation en introduisant le fœtus et le couple comme deux personnages en compétition avec l’individuation féminine que permet la maîtrise du moment de la reproduction par les femmes. Au-delà des femmes les pays de l’Europe du sud prennent de plus en plus conscience de l’erreur politique qu’a constitué pour leur pays le fait de privilégier l’embryon face à la mère les femmes ont fait " la grève des ventres " et ces pays se retrouvent avec le taux de natalité le plus bas d’Europe qui n’est pas sans poser des problèmes économiques et sociaux majeurs qui mènent paradoxalement ces pays à encourager à tout prix les techniques d’AMP. La question c’est déplacé du conflit d’intérêt hommes femmes un conflit d’intérêt femmes embryons dont les conséquences doivent être pensées en amont, les embryons réimplantés devant être réinvestis symboliquement par les femmes.

Entre dignité et liberté

Recevoir une dignité en s’inscrivant dans l’ordre naturel de la reproduction était le lot pour la plupart des femmes jusqu’à la maîtrise de la procréation. La capacité d’autodétermination et d’appropriation de leur corps en dehors du schème patriarcal a modifié leur perception du lien entre dignité et liberté. Cette évolution du concept de dignité des femmes, sont inséparable les techniques reproductives et le progrès moral des femmes est lié à leur lutte pour la reconnaissance de leur individualité morale, comme indépendant de leur statut reproductif. Mais ce discours de libération a été suivi d’un discours du risque(perte d’identité sociale) celui de l’infertilité qui a agi comme une limitation à cette liberté de la reproduction ou de la non-reproduction dans une société qui restai globalement patriarcale. Puisque la reproduction est devenue " assistée "

La bio médecine contemporaine a répondu à l’infertilité par une suite de techniques qui l’ont rendu de plus en plus efficace, mais qui ont participées à radicalement changer nos perceptions sociales de la filiation, de la personne, un concept de naissance voire même de la naturalité de la conception qui est passé dans les représentations, de la reproduction à la fabrication, même de l’enfant..

Cette notion même de reproduction assistée est problématique du point de vue des femmes car le biotechnologique insérée dans la reproduction humaine prend la place réductrice et essentialiste qu’y prenait jusqu’ici la notion de reproduction naturelle.

Nous voyons à partir de l’émergence d e nouvelles questions, le " revers " de cette efficacité est l’intrusion ou les bouleversements de nos représentations symboliques par rapport à la nature de la reproduction qui se pensait en termes de passivité, de réception, de don, et contribuait à faire de la grossesse la fonction essentielle du féminin.

Cette causalité a été est perturbée par la volonté de maîtrise des femmes sur leur corps, l’intervention de la technique de fécondation in vitro qui éloigne le conceptus du ventre de sa mère et le met temporairement dans une boite de Petri, l’a mis dans le cadre neutre (mais non asexuée) de la recherche scientifique

"Ce qui est en crise ici est l’ordre symbolique, la conceptualisation du rapport nature-culture. La nature comme fondement du sens ne peut être prise comme une notion évidente mais comme quelque chose à protéger …ou à dépasser disant Marilyne Strathern dans "After Nature". Ces travaux peu médiatisé sont de plus en plus utilisé par les divers ministères du droit des femmes. Il n’est pas anodin de souligner que l’élection à la santé en France du professeur Mattei connu pour ces positions anti-perruchistes a été dénoncé par l’ensemble des associations de femmes. (voir Monde du 7 mai)

S’il existe une interdépendance des sexes dans la fabrication d’enfants elle est la condition de l’accession pour l’enfant au stade de tiers de personne à part entière qu’il ait été fabriqué selon les seules règles du déterminisme biologique ou avec l’aide des technologies mais quel est alors l’enjeu du regard des femmes sur ces technologies ? Leur acceptation ou le refus en détermineront l’applicabilité si celles ci sont informées, non dans la détresse de la stérilité mais globalement en tant que femme dont la fonction reproductrice peut-être un choix fondamental. Il semble qu’aucune technique ne peut être comprise sans être ancrée dans l’intentionnalité de ces acteur-ices et des rapports de force qu’elle implique. Il nous faut donc savoir comment les ressources de contrôle de la reproduction mettent en scène des rapports de pouvoir entre hommes et femmes citoyens et experts d’interventions médicales. Il ne s’agira pour nous non de discréditer cette capacité de l’humain de modifier la nature en techno-nature grâce à son savoir, mais d’interroger les enjeux pour la condition humaine de se savoir d’auto-fabrication. Alors que ces technologies progressent plus vite qu’elles ne sont véritablement comprises par le grand public, elles étendent la fonction de parentalité à un champ bio-social de plus en plus large en termes public et de plus en plus étroit en termes de choix privé, ce qui est l’inverse de la promesse que ces techniques portaient pour les femmes.

 

La perception juridique de l’embryon :

L’obstacle ontologique (est transformé en obstacle juridique, mais en droit une limite n’est qu’une limite du droit (Cayla P.117. Nous passons de la catégorie d’impossible scientifique à celui d’interdit juridique. L’arrêt Perruche en France et les procès en général autour des litiges de naissance révèlent les effets socio-juridiques des transformations techniques et de leurs effets juridiques.

Des contradictions apparentes entre le discours positif encadrant l’avortement et le principe de la valeur absolue de la valeur humaine sont transposables à la question de l’expérimentation sur embryons issus de l’AMP.

Le droit opère le partage entre la vie avant la naissance et la vie après la naissance. En effet une vie embryonnaire n’a pas de subjectivation juridique et est donc sans la protection que l’on réserve aux personnes alors que dès la naissance l’enfant est un sujet de droit ayant droit à la protection, non seulement de sa mère mais du corps social.

On ne peut donc dans ce cadre juridique dire que l’on porte atteinte à la dignité de l’enfant car cet enfant reste une possibilité liée à la décision de la mère de faire de l’embryon un enfant éventuel. Le destin de l’embryon dépend moins des aléas de la nature reproductive que de la qualité des techniques d’AMP.

Il faut déplacer la question du statut ontologique de l’embryon a la fonction de la personnalité juridique à protéger ou pas la mère et ou l’embryon. Il faut pour cela distinguer les personnes physiques et les personnes morales. Longtemps les enfants nés non viables les monstres ne remplissaient pas les conditions juridiques pour la création d’une personne physique. C’est le droit qui tranche au-delà des querelles philosophiques les problèmes d’identité de l’individu et nous aide à penser le lien existant entre l’embryon et l’être humain. La personne est une réalité relationnelle et juridique, peut-on dès lors qualifier l’embryon de personne ? La sacralisation de l’embryon qui fait de la relation entre la personne juridique et l’être humain le fondement de tout ordre juridique est une idéologie que met précisément en question l’approche expérimentale envers l’embryon qui part de présupposés d’individu biologique n’ayant pas de personnalité juridique car l’embryon n’est pas d’emblée considéré comme être humain

La personnification de l’embryon est-elle légitime ?

Quels en seraient les conséquences en termes de droits des femmes? Les lois de bioéthique se doivent à partir d’outils juridiques saisir des futurs incertains. En France par exemple les lois de 94déclaraient que tout matériau humain peut-être l’objet de prélèvements et de transformations. Le législateur a selon la juriste Marcella Iacub spécialiste de la question, transformé le corps biologique en corps juridique. Il a séparé le corps humain et les éléments du corps humain qui sont un certain type de matière divisés en éléments et en produits. Nous rencontrons donc un problème d’absence de classification pour les produits du corps humain que sont les tissus les cellules et les gamètes. Les lois de bioéthique ont fait des juges les gardiens du corps humain Il en résulte un écart entre vie organique et vie élémentaire. L’humain a une double inscription en tant qu’organisme personnifié et matériau humain. Le temps de la personne est linéaire et historique entre la naissance et la mort. Les éléments de matériaux humains eux n’ont pas d’histoire et donc pas de personnalité juridique. Les embryons et les fœtus ne sont pas qualifiés par le droit de corps humains. Il y a donc une distinction forte entre corps humain et être humain. Les embryons et les fœtus sont donc juridiquement traités comme des greffons affectés à des projets parentaux ou à des projets de recherche, même s’il y a un consensus sur le respect du à ce matériel biologique.

Faut-il modifier cet état de chose ou élargir la notion de personne à l’embryon ?

La naissance marque le passage du corps humain à l’être humain. C’est " la Personne qui est le destinataire des bienfaits de l’usage scientifique et social des matériaux humains. Les embryons qui n’ont pas un corps humain nous dit Iacub, sont en termes juridiques de purs objets de dons et de prélèvements.

Olivier Cayla note pour sa part que " le droit a subi des transformations considérables dans le sens ou la responsabilité civile et pénale étendue à la nature, au destin ou à l’action de pouvoirs incontestés, l’affirmation d’un sujet de droit progressivement émancipé des contraintes liées au statut

, Effacement des différences juridiques attachées aux sexes, aux âges et aux modes de filiation "  sont contrariés par de nouveaux régimes de protection du corps (notamment les comités consultatifs de bioéthique) pour le soustraire aux sollicitations du marché, émergence de nouveaux statuts d’indisponibilité de soi-même sous " la dignité de la personne ". Cette évolution contradictoire contribue à donner l’impression que la femme appartiendrait au premier mouvement alors que l’embryon serait protégé par le second.

Ce contexte d’évolution des techniques biomédicales et du droit semble offrir au public mal informé des ruptures menaçantes avec ces repères traditionnels et nous force à ré-interroger sérieusement le statut juridique de la personne et de répondre à la difficile question à partir de quand et jusqu’où est-on juridiquement une personne ayant droit à la protection. Cette question est au cœur de cet avis et reçoit des réponses divergentes en termes philosophiques mais des positions pragmatiques en droit. Nous ne pouvons négliger en termes politiques que malgré la dépénalisation de l’avortement en Belgique certains groupes considèrent l’avortement comme une faute morale des femmes et s’opposent depuis quelques années aux actions en wrongful life qui admettent la moralité de l’avortement à la fois comme moyen de ne pas faire d’enfant et de se rendre responsable du bien-être biologique des enfants à naître quand une information médicale le permet, Mais certains juristes considèrent que l’avortement oppose deux intérêts ceux de la mère et ceux du futur enfant et exige donc la protection du fœtus puis de l’embryon contre sa mère immorale. On en vient de manière problématique a opposer la liberté procreative et la dignité de l’embryon comme personne potentielle.

Nous sortons du droit positif pour entrer dans le débat biopolitique comme nous l’a montré le débat entre perruchistes et antiperruchistes en France. Il faut souligner que ce débat n’a pas eu lieu en Belgique et qu’au-delà de l’expérimentation sur embryon il risque de mettre en question de DPI et les techniques de la gestion du risque d’anomalie biologique qui sont passés dans la sphère des droits subjectifs et que les lois bioéthique voudraient restituer à l’état au nom de la crainte de l’eugénisme privée qui découle d e l’association de la liberté procreative et des techniques d’évitement de handicaps biologiques. Il n’est pas sans conséquences politiques que la liberté procreative des femmes soient restreintes au nom de la dignité, de la protection voire de la sécurité de " personnes potentielles " alors que la biologie contemporaine nous a permis de faire de la matière vitale un moyen au service de la vie biologique des personnes de manière moins controversée dans d’autres domaines.

Mylène Botbol-Baum

Mai 2002

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