Proposition de Séminaire:
A partir de quand et jusqu’ou est-on une personne ?
"La perte de sens du mot personne surgit lorsque au sein des sciences biomédicales, quand le patient est objectifié en termes de simples données multiples. Dans une investigation clinique toute l’information à propos d’une personne est traitée comme si elle était résumable sur une carte d’index. Si cela est fait correctement, alors les données pertinentes ne s’appliqueront qu’à la personne concernée. Mais la question est de savoir si la valeur irréductible de l’individu est proprement reconnue à travers ce processus "
Gadamer " l’Art de guérir à l’ère scientifique. "
Introduction
Cette phrase de Gadamer semble pouvoir répondre à elle seule à la question : pourquoi un séminaire sur la notion de personne ? Il semble que sa définition humaniste ou juridique échoue à trancher la question difficile qui se pose aujourd’hui au clinicien à partir de quand et jusqu’ou un sujet de soins est-il une personne humaine juridique et/ou morale ? Nous partons du constat que la littérature anglo-saxonne semble pouvoir donner des réponses pragmatiques à ces questions alors que notre approche personnaliste semble nous donner des principes inapplicables.
Plus pratiquement, nous constatons que les débats bioéthiques les plus fondamentaux se cristallisent autour de définition antagoniste du concept de personne. L’idée de personne humaine a dans le discours médical et bioéthique une connotation humaniste perçu parfois comme étant en tension avec la démarche objectivante et réductionniste des sciences appliquées que sont devenues la génétique du développement ou la procréation médicalement assistée. Nous aurons à nous poser la question de la vertu du réductionnisme méthodologique par rapport à une bienveillance paternaliste mais aussi de l’excès d’objectivation du sujet de soins dans une perspective d’éthique relationnelle.
Nous interrogerons les limites de l’autonomie de la personne(dans un contexte d’âge, de situation économique et affective) parle plus volontiers de sujet autonome mais on ne parle d’autonomie que par rapport à une personne humaine que nous définissons comme une personne engagée dans des relations interpersonnelles.
De manière plus ciblée nous avons paradoxalement constaté un élargissement du statut de personne au fœtus puis à l’embryon qui n’est pas sans conséquences idéologico-morale dont les effets politiques ont notamment opposés récemment les " perruchistes " et les " antiperruchistes ".
Les débats sur l’euthanasie se sont construits autour de conflits de conviction sur l’autonomie de la personne à décider du moment de sa mort la question de l’expérimentation sur embryon sur la question de savoir si l’embryon était une personne en devenir ou une personne " potentielle ".
Plus quotidiennement les décisions d’abstention de soins ou d’acharnement thérapeutique se font autour de la question :Est-ce encore une personne morale ? Est-ce une personne juridique a- t-elle le droit à la protection, peut-elle refuser la protection néopaternaliste de certains médecins dans un cadre démocratique pluraliste qui encourage un modèle de relation délibérative ? . Ces questions pratiques ne sont pas séparables de prises de position philosophiques plus ou moins explicites et que nous avons pour but d’expliciter afin de passer du débat idéologique au débat argumentatif..
Nous faisons le pari de redéfinir la notion de personne dans toute sa complexité. En effet les conflits de définitions ont un effet particulièrement problématique dans l’élaboration de décisions cliniques , de politique de santé et de décisions médicales. L’on oppose les personnalistes aux darwinistes de manière réductionniste. Comment dépasser l’excès de valeur et la dévalorisation de la personne qui sont les courants les plus radicaux du débat bioéthique pour redéfinir la personne comme sujet de droit devant être protégé s’il y a lieu par la loi ?
Les lois ou les recommandations bioéthiques qui régulent de manière plus ou moins claire la pratique clinique et les avancées techno médicales contemporaines, hésitent souvent entre les notions, d’individu de sujet de droit ou de personne. Les textes juridiques n’accordent de droits qu’à un être ayant le statut de personne ce qui crée des dilemmes éthiques souvent liés à une absence de lien clair entre les repères épistémologiques des discours en présence :
Ces écarts de définition gagnent à être mis à plat afin de dépasser des conflits d’intérêts dont le patient est souvent la première victime de promouvoir les droits de la personne. Il ne sera donc pas question d’établir des hiérarchies entre les diverses définitions, mais d’établir une cohérence théorique qui engendrerait une cohérence en termes de décision et de pratique médicale.
A partir de quand et jusqu’ou pouvons-nous parler de personne ?
Quels sont les conséquences de ces définitions sur le patient d’aujourd’hui et de demain ?
La notion clarifiée de personne pourrait-elle nous permettre de nous situer face aux vivants, aux techniques de méliorisme biologique, à l’AMP, au clonage thérapeutique et à son impact éventuel sur le statut de l’embryon comme personne ?
Il s’agira donc dans ce séminaire d’affronter ces difficultés par une argumentation plurielle autour de la recontextualisation de la notion juridique (personne juridique) et philosophique de personne, de croiser dans l’interdisciplinarité les interrogations sur le vivant comme ne suffisant pas à définir la personne. Cette position vitaliste n’étant pas la plus apte à défendre les droits de la personne car chacun se définit de manière subjective comme personne avant d’être reconnu comme personne juridique et comme ayant droit.
Tout se passe comme si les sciences biogénétiques contemporaines nous invitaient à analyser l’impact des métaphores des sciences biomédicales sur la modification de la représentation de la personne comme sujet de soins requérant non seulement d’être vivant, mais exigeant une responsabilité et un engagement quant à une certaine forme de qualité de vie.
L’intention pratique de ce séminaire sera dès lors de construire une approche transversale à travers le prisme des connaissances et de la re-construction du vivant, tant aux niveau heuristique (la recherche fondamentale, et les paradigmes philosophiques) qu’aux niveaux pragmatiques (la recherche et la pratique clinique). Ponctuellement, un environnement de dispositifs de communication délibérative pourra mettre en réseau ces connaissances avec le sens commun de médecins, de juristes, de philosophes, de scientifiques et de citoyens non experts.
Finalité
Contribution aux discussions touchant aux problématiques éthiques soulevées
Par les questions que pose la bio médecine autour de la tension entre être vivant (né ou techno-créé) mort ou médicalement assistée à mourir. Handicapé ou techno naturé dans une perspective mélioriste ?
Le séminaire abordera de manière transdisciplinaire questions bioéthiques majeures que soulèvent la définition raisonnablement partageable du concept de personne par les sciences le droit et la médecine.
Il se divisera en plusieurs sections: éthique appliquée autour du concept de personne:
Tension entre Personnalisme philosophique et Théorie de l’évolution et /ou Darwinisme, qui évoque le méliorisme bio-génétique face à la fabrication de l’humain, face à la volonté de préserver " la nature humaine " des personnes. Ni la philosophie ni les sciences ne peuvent répondre seules à ces questions car la notion de personne est en soi un construit historique et social, fondement de nos valeurs démocratiques. Cela nous empêche-t-il néanmoins de faire en sorte que nos fondements anthropologiques, sociologiques et épistémologiques s’affrontent aux nouveaux paradigmes des sciences du vivant?
Conclusion
Il s’agira pour conclure le séminaire de réunir autour d’une table ronde les diverses disciplines et de proposer une réflexion de fond concernant les présupposés épistémologiques de chaque discours et d’établir des liens limités mais pertinents qui seront proposés lors d’un colloque l’année suivante.
Agenda des séances
- 22 octobre 2002: pourquoi le retour de la "personne"?
(responsables: Mylène Baum, Stéphane Leyens)
- 3 décembre 2002: l'impact sur les décisions médicales
(responsable: Luc Roegiers)
- 4 février 2003: l'effet politique d'un usage essentialiste de la notion de personne
(responsable: Mylène Baum)
- 18 mars 2003: la "personne" face à la biologie
- 6 mai 2003: l'approche juridique et le regard des femmes
(responsable scientifique du séminaire: Mylène Baum)
Renseignements: Sophie Jassogne - 02/764 43 33 ou jassogne@ebim.ucl.ac.be
Les séances intercalaires prépareront les étudiants du DEC aux notions spécifiques de chaque séminaire.
Mylène Botbol-Baum (baum@ebim.ucl.ac.be)