3. L'onde modulée dans un milieu dispersif

La situation change quelque peu dans un milieu dispersif. Un milieu dispersif est un milieu dans lequel la vitesse de propagation de l'onde dépend de sa longueur d'onde (ou de sa fréquence, cela revient au même). Par exemple, regardez le graphique ci-dessous qui vous donne la façon dont varie l'indice de réfraction du Silicium avec la longueur d'onde mesurée dans le vide (le Silicium est un matériau très important technologiquement, puisqu'il est la base des circuits intégrés courants).

Vous voyez que cet indice varie de manière importante avec la longueur d'onde de l'onde électromagnétique. Or, la vitesse de propagation d'une onde électromagnétique dans un milieu matériel est égale à c, la vitesse de la lumière dans le vide, divisée par l'indice de réfraction. Donc, vous pouvez en conclure que la vitesse de propagation d'une onde électromagnétique dans le Silicium dépend de la fréquence (ou de la longueur d'onde) de l'onde.

Ce comportement n'est pas du tout particulier au Silicium. En fait, de manière générale, tout matériau est caractérisé par un spectre de dispersion. Vous verrez peut-être dans des cours ultérieurs le lien entre la structure intime de la matière et la variation de l'indice de réfraction avec la longueur d'onde. Un traitement rigoureux demande de faire appel à la mécanique quantique. En attendant, vous pouvez prendre comme un fait expérimental bien établi que l'indice de réfraction des matériaux varie avec la fréquence. En fait, il existe aussi d'autres milieux dispersifs que les milieux matériels, un guide d'onde comme une fibre optique est aussi un milieu dispersif !

Mais revenons à notre signal modulé, résultant de la somme de deux ondes monochromatiques de fréquences différentes, et envoyons-le dans un milieu dispersif. Chacune des ondes qui composent le signal modulé a une fréquence différente, donc une vitesse de propagation différente. Nous devons maintenant établir comment la résultante (la somme) de ces deux ondes monochromatiques va évoluer dans l'espace et dans le temps. En fait, mathématiquement, les équations établies précédemment sont toujours correctes, et l'onde résultante s'exprime toujours comme le produit entre une porteuse de fréquence angulaire /2 et de vecteur d'onde /2, et une enveloppe de fréquence angulaire /2 et de nombre d'onde /2. Mais comme la fréquence de la porteuse est différente de celle de l'enveloppe, nous devons nous attendre à avoir des vitesses de propagation de l'enveloppe (la vitesse de groupe) et de la porteuse (la vitesse de phase) qui seront différentes. Regardez tout d'abord ce que cela donne de manière visuelle :

Regardez bien les gros points sur l'animation. Le point bleu et le point noir évoluent à des vitesses différentes, parce que le milieu considéré est dispersif. Ici, la vitesse de l'onde monochromatique bleue E1, de plus grande longueur d'onde, est supérieure à celle de l'onde monochromatique noire E2, de plus faible longueur d'onde. Ce cas correspond à ce que l'on appelle la dispersion "normale", le seul que nous considérerons ici (le cas de la "dispersion anormale" est plus complexe à analyser rigoureusement). A cause de cette différence de vitesse, les endroits où se produisent les interférences constructives entre les deux ondes ne se déplacent plus à la même vitesse que les ondes qui les génèrent. Le maximum de l'enveloppe se propage plus lentement (et même beaucoup plus lentement dans ce cas-ci) que les deux ondes qui l'ont généré par leurs interférences. La vitesse de groupe (la vitesse de déplacement du gros point gris) est plus faible que la vitesse de chacune des deux ondes qui composent le signal. Bien plus! La vitesse de déplacement de l'onde porteuse, c.à.d. la vitesse de phase, donnée par le déplacement du gros point rouge, est aussi différente. Dans le cas présent, elle est intermédiaire entre celle des deux ondes qui composent le signal.

Essayons de résumer. Il y a trois vitesses de phase dans notre problème, toutes différentes :


1. la vitesse de phase de l'onde E1,  


2. la vitesse de phase de l'onde E2,  


3. et la vitesse de phase de la porteuse,  

 

Aucune de ces vitesses n'est intéressante pour nous. Il arrive dans certains milieux que cette vitesse de phase soit supérieure à la vitesse de la lumière dans le vide (c'est le cas chaque fois que l'indice de réfraction est inférieur à l'unité, ce qui arrive à proximité de bandes d'absorption). Mais ce qui nous importe, c'est la vitesse à laquelle se propage le signal, c.à.d. l'enveloppe du signal, ou encore la vitesse du maximum de la modulation, que l'on appelle la vitesse de groupe :

En général, comme les ondes que l'on combine pour produire la modulation sont de fréquences proches, on peut exprimer la vitesse de groupe sous la forme suivante :

que nous prendrons dorénavant comme définition de la vitesse de groupe (la valeur de la dérivée doit être prise à la fréquence de la porteuse, ). Cette vitesse est toujours inférieure à la vitesse de la lumière dans le vide, lorsque la dispersion est "normale", c.à.d. lorsque la vitesse de l'onde croît avec sa longueur d'onde. Lorsque la dispersion est "anormale", la vitesse de groupe telle que nous l'avons définie peut être supérieure à la vitesse de la lumière dans le vide, mais alors on montre que cette vitesse ne représente plus la vitesse de propagation du signal (qui reste bien sûr toujours inférieure à c). En quelque sorte, dans ce cas, il est abusif d'appeler cette vitesse "vitesse de groupe".

La définition précédente de la vitesse de groupe montre que celle-ci est dépendante de la façon dont la fréquence d'une onde varie avec le nombre d'onde (ou la longueur d'onde). La relation entre la fréquence angulaire et le nombre d'onde dans un milieu est appelée relation de dispersion du milieu. La vitesse de groupe apparaît comme la dérivée première de cette relation de dispersion.

Dans un milieu non dispersif, , et vg = c comme attendu. Dans un milieu matériel dispersif (ce qui n'est pas le cas de votre guide d'onde !), , et la vitesse de groupe est liée à la façon dont varie l'indice de réfraction avec la fréquence angulaire. On peut en effet écrire :

où v est la vitesse de phase des ondes dans le milieu considéré. Si on isole vg dans l'équation précédente, on obtient :

(dans ces équations, toutes les fonctions sont à prendre à la fréquence de la porteuse, ). Vous voyez que tout se passe comme si l'indice de réfraction à utiliser pour obtenir la vitesse de groupe était :

Cet indice effectif dépend bien de la façon dont varie l'indice de réfraction avec la fréquence. Par contre, la vitesse de phase de l'onde porteuse continue à répondre à la loi habituelle. En effet,

Si vous développez la fonction () en série de Taylor (limitée au premier ordre) autour de , vous pourrez facilement montrer que :

et donc que :

Ceci vous montre que la vitesse de la porteuse est simplement gouvernée par un indice de réfraction moyen, à mi-chemin entre les indices de réfraction des deux ondes E1 et E2 qui composent l'onde résultante. Il y a donc bien une différence qualitative et quantitative remarquable entre la vitesse de groupe et la vitesse de phase de la porteuse!

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