« Cella »
L’objet de « Découvertes en Cytologie et en Biologie cellulaire » est de retracer l’émergence et le développement de la Biologie cellulaire à travers la découverte des principaux organites subcellulaires et de leurs fonctions dans l’économie de la cellule. Pour cette branche de la biologie, l’énoncé de la Théorie cellulaire au XIXe siècle représente une avancée conceptuelle majeure qui est à la base de nos connaissances actuelles sur l’organisation, le fonctionnement et la reproduction des êtres vivants. On peut l’énoncer ainsi : (i) la cellule est la forme élémentaire présente chez tous les êtres vivants ; (ii) tous les êtres vivants sont composés d’une ou de plusieurs cellules ; (iii) toute cellule est issue de la division d’une cellule préexistante ; (iv) l’activité d’un organisme est la somme de l’activité métabolique des cellules individuelles ; (v) la cellule est l’unité fondamentale de la structure et de la fonction chez les organismes vivants. On a dit de la Théorie cellulaire qu’elle est « unificatrice » : les informations obtenues en étudiant les cellules de parenchyme d’orchidée peuvent aider à comprendre l’organisation et le fonctionnement des cellules de souris, d’une amibe ou d’un streptocoque. Pour le cytologiste Edmund Beecher Wilson, la Théorie cellulaire est, avec la Théorie de l’évolution, l’une des deux grandes généralisations en biologie. Dans ce chapitre, je donne un aperçu de la démarche scientifique qui, à partir d’observations d’anatomie microscopique comparée, a conduit à son énoncé. Je termine ce chapitre par une brève biographie des principaux acteurs de cette saga scientifique.
Note : Pour rédiger ce chapitre, n’ayant pas eu accès à tous les documents originaux, j’ai puisé des informations à diverses sources parmi lesquelles :
Maienschein J Companion to the History of Modern Science, Cell Theory and Development, ed. R.C. Olby et al., Routledge (1990)
Harris, H The Birth of the Cell, Yale University Press (1999)
Référence : Wilson E.B. The Cell in Development and Inheritance (1896)
« Micrographia » : naissance de la cellule au XVIIe siècle
Divers ouvrages et publications du XVIIe siècle renferment des illustrations montrant la présence au sein des tissus d’unités élémentaires dont certaines n’étaient peut-être que des artefacts dûs aux défauts de l’optique des microscopes. Les tissus observés étaient surtout végétaux ; la paroi cellulosique rigide des cellules végétales est visible au microscope optique. C’est ainsi que la cytologie et l’histologie furent à l’origine des sciences de botanistes.
L’inventeur du terme « cellule » (cell, du latin cella « petite chambre, alvéole ») est Robert Hooke. Brillant scientifique, le « Léonard d’Angleterre », comme l’appellait l’historien des sciences Allan Chapman, eut de multiples centres d’intérêt dont la micro-anatomie des tissus végétaux. Il utilisa d’abord un microscope simple (loupe) puis l’un des premiers « microscopes composés » (grossissement 50X) construit en 1660 par l’opticien londonien Christopher Cook. Il observa dans des coupes d’écorce des alignements de petites chambres carrées ou hexagonales juxtaposées, les « minute bodies », séparées les unes des autres par des parois (la paroi cellulosique des cellules végétales est surtout visible dans les tissus « durs »). Il étendit ses observations aux tissus « mous » de fougère, fenouil, carotte, sureau… dans lesquels il nota la présence de vaisseaux remplis de fluide (sève). En 1665, il publia un ouvrage de vulgarisation amplement illustré, avec la fameuse représentation de coupes d’écorce d’épiderme d’orchidées. En 1670, cinq ans après la parution de Micrographia, parvinrent presque simultanément à la Royal Society les mémoires de Nehemia Grew, en 1672, et de Marcello Malpighi, en 1675 et 1679.
Professeur à l’Université de Bologne (fondée en 1119, c’est l’une des plus anciennes universités d’Europe) et membre étranger de la Royal Society, Marcello Malpighi connut la notoriété pour ses recherches sur l’anatomie et l’histologie microscopiques des tissus animaux : description de la couche interne de l’épiderme (qui porte le nom de « couche de Malpighi »), de la structure de la rate (corpuscules de Malpighi) et des capillaires pulmonaires reliant le réseau artériel au réseau veineux, complétant ainsi les hypothèses de William Harvey sur la circulation du sang. Je rappelle que Harvey découvrit – ou plutôt redécouvrit la circulation sanguine au XVIIe siècle. En ce qui concerne l’anatomie microscopique des tissus végétaux, Malpighi décrivit, en 1675, la présence d’utricules (utriculi, petites bouteilles) et de saccules (sacculae, petits sacs) juxtaposés dans la tige du pourpier (portulaca) et les canaux qui conduisent l’eau dans le xylème. Il fit la suggestion prémonitoire qu’il existe une analogie de structure entre tissus osseux et ligneux.
Passionné de botanique et de science, Nehemia Grew (médecin renommé pratiquant à Londres) commença en 1664, l’étude de l’anatomie des tissus mous des plantes (qu’il baptisa « parenchymes »), et au sein desquels il nota la présence de « bubbles » juxtaposées. Comme elles étaient de tailles différentes (il voyait en réalité des cellules et des vaisseaux), il crut que les petites se formaient à partir des grandes par un processus analogue à la fermentation. Il les désigna du terme « vessies » (déjà employé par Malpighi). Dès l’acceptation par la communauté des naturalistes que les tissus, du moins végétaux, sont formés d’agrégats d’entités microscopiques, un certain nombre de questions se posèrent : quelle est la nature de leur contenu : air ? fluide ? ; quelles fonctions assument-elles au sein des organismes multicellulaires ? quelle est leur origine ? Hooke et Nehemia Grew pensaient que dans le végétal vivant les cavités servaient de conductrices des « fluides vitaux » (noble juices) nécessaires à la croissance des végétaux, un peu comme les veines et les artères chez les animaux. Les plantes possèderaient donc un système circulatoire analogue à celui des animaux. En ce qui concerne l’origine de ce qu’il appela d’abord « bubbles » puis « pores », avant d’adopter le terme « cellules », Nehemia Grew formula l’hypothèse qu’elles se formaient par un processus analogue à la fermentation.
Références : Hooke R Micrographia, or some physiological descriptions of minute bodies made by magnifying glasses with observations and inquiries thereupon (1665)
Malpighi M Observations anatomiques du poumon (traduction du titre original) (1661)
Malpighi M Anatome Plantarum (1675-1679)
Harvey W Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus (1628)
Grew N The Anatomy of Vegetable Begun (1672)
Les cellules ont un noyau
Anthonie van Leeuwenhoek fut peut-être le premier à observer le noyau cellulaire, au début du XVIIIe siècle. Dans une lettre envoyée en 1702 à la Royal Society de Londres, il mentionna la présence d’un point lumineux au centre des globules rouges de poissons : « …a clear sort of light in the middle ». Je rappelle que chez les Vertébrés, à l’exception des Mammifères, les globules rouges sont des cellules nucléées. Vingt ans plus tôt, il avait déjà noté la présence de globules dans les cellules sanguines de morue et de saumon, mais, comme le fait remarquer Henry Harris dans son ouvrage « The Birth of the Cell » : « Leeuwenhoek saw globules everywhere. » Le botaniste Franz A. Bauer publia une série de planches illustrant les plantes qui poussent en Europe. Pendant des années (de 1791 à 1798) il avait collecté données et observations. La valeur esthétique et la fidélité de ces représentations leur valurent un grand succès auprès des botanistes.. Sur une planche datant de 1802, il montre des cellules végétales (de Bletia Tankervilliae) avec un ou plusieurs noyaux. Mais le bénéfice de la découverte du noyau cellulaire revient à Robert Brown, gardien des collections botaniques du British Museum. En 1831, il exposa à la Linnean Society ses observations sur la présence d’un organite sphérique au sein des cellules végétales, affirmant qu’il ne s’agissait pas d’un artéfact de fixation ou de coloration comme certains le prétendaient. Il fut moins affirmatif sur le point de savoir s’il s’agissait d’une structure permanente des cellules végétales. Le noyau des cellules animales fut découvert quelques années plus tard, en 1835, par l’anatomiste Rudolf F.J.H. Wagner, professeur de Zoologie et d’Anatomie comparée à l’Université d’Erlangen.
Références : Bauer FA Illustrations of Orchidaceous Plants. With Notes and Prefatory Remarks by John Lindley (1838)
Brown R Observations on the Organs and Mode of Fecondation in Orchideae and Asclepiadaceae (1833)
Wagner RFJH Lehrbuch der vergleichenden Anatomie (1834-35)
Les cellules sont entourées d’une membrane
René Joachim Henri Dutrochet, médecin et chercheur autodidacte, suivit la voie préconisée par Lazzaro Spallanzani : en sciences naturelles, préférer l’approche expérimentale aux longues dissertations verbeuses qui étaient de mise à cette époque. C’est dans cet esprit qu’il aborda l’étude de la structure des tissus ; il remplaça la dissociation par macération dans l’eau, en vogue chez les naturalistes, par un traitement énergique à l’acide nitrique à chaud. Il observa au microscope la formation d’agrégats de petites vésicules « celluleuses » ou « tubuleuses ». Il en conclut que les tissus animaux et végétaux sont formés de cellules juxtaposées et limitées par une membrane. S’opposant à Henri Milne-Edwards, professeur de Zoologie au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, et qui faisait autorité en France, Dutrochet soutint que les cellules n’ont pas toutes la même taille et qu’elles sont le siège des processus métaboliques. Il se lança dans une série de travaux sur l’osmose qui établirent sa renommée en Europe. Les nutriments pénètrent dans la cellule en traversant la membrane cellulaire et les déchets en sortent en la traversant en sens inverse. Il mesura les mouvements de liquides mis au contact des tissus en utilisant un osmomètre de sa fabrication. Il baptisa les mouvements transmembranaires : « endosmose » et « exosmose » ; il montra que le passage de l’eau et des substances dissoutes ne sont pas des phénomènes passifs ; ils sont distincts de la capillarité et de la viscosité ; il s’agit d’un processus sélectif mettant en jeu des courants électriques à travers une membrane semi-perméable.
La question de savoir si chaque cellule est entourée d’une membrane – ou paroi – fut l’objet d’âpres débats. Si c’est le cas, deux cellules juxtaposées sont séparées l’une de l’autre par deux membranes. Charles-François Brisseau de Mirbel, titulaire de la chaire de Botanique à la Sorbonne, soutenait la thèse de la paroi simple, percée de pores permettant la communication et les échanges de contenu. L’existence d’une double paroi entre deux cellules contigües fut clairement établie par le pasteur et botaniste Jean-Pierre E. Vaucher (dans un végétal en croissance : la conferve d’eau douce) ; par le naturaliste Gottfried R. Treviranus et par Barthélémy C.J. Dumortier, le premier qui mentionna la division binaire des cellules. La cellule végétale possède une paroi cellulosique et, comme la cellule animale, une membrane péri-cellulaire (membrane plasmique) accolée à la face interne de la paroi cellulosique. Étant donné sa très faible épaisseur, cette dernière n’est pas visible au microscope optique ce qui rend les deux membranes difficiles à distinguer l’une de l’autre. Il restait à établir si la membrane péri-cellulaire des cellules végétales est une structure à part entière ou si elle n’est qu’un épaississement à la limite périphérique du protoplasme, comme le prétendait Walther Schleiden. Cette opinion fut réfutée par le botaniste Carl von Naegeli, professeur à l’Université de Zurich puis à celle de Fribourg-en-Brisgau et, en 1846, par Hugo von Mohl, professeur de botanique à l’Université de Tübingen et directeur du Jardin botanique, et l’un des promoteurs de l’usage du mot « protoplasme ». Il fut le premier à montrer qu’il est le siège des mouvements intracellulaires et que, dans les cellules végétales vacuolaires, il est entouré d’une membrane – l’utricule primordial. Von Mohl distingua la membrane plasmique de la paroi cellulaire. La membrane des cellules animales et végétales ne fut visualisée qu’au milieu du XXe siècle, par l’examen au microscope électronique de coupes de tissus colorées à l’acide osmique.
Références : Dutrochet RJH Mémoires pour servir à l’histoire anatomique et physiologique des végétaux et des animaux (1837)
Brisseau-Mirbel CF Traité d’anatomie et de physiologie végétales (1802)
Vaucher JPE Histoire des Conferves d’eau douce, contenant leurs différents modes de reproduction, et la description de leurs principales espèces, suivi de l’histoire des Trémelles et des Ulves d’eau douce (1803)
Treviranus GR Biologie oder die Philosophie der lebenden Natur (1802-1822)
Dumortier BCJ Recherches sur la structure comparée et le développement des animaux et des végétaux (1832)
Von Mohl, H Vermischte Schriften Botanischen Inhalts (1845)
Von Mohl, H Die vegetabilische (1851)
Le contenu des cellules
La question du contenu des cellules s’est posée dès leur découverte. Pour Malpighi et Nehemia Grew les « vésicules » étaient vides ou remplies d’air. Pour Robert Hooke, les cellules faisaient partie du système vasculaire des plantes, analogue à celui des animaux, et véhiculant les « noble juices ». Une réponse définitive à la question du contenu des cellules fut donnée par Félix Dujardin, en 1835, par Jan Evangelista Purkinje, en 1839, et par Hugo von Mohl, en 1846. Avant de poursuivre, une mise au point s’impose ; dans ce qui va suivre, il va être beaucoup question de « protoplasme » (la première chose créée). Au XIXe siècle, ce terme n’avait pas la signification qu’il a aujourd’hui, c’est-à-dire le contenu de la cellule : noyau et cytoplasme (cytosol et organites subcellulaires, à l’exception des grandes vacuoles présentes dans certaines cellules végétales). Dans ce paragraphe, le terme « protoplasme » est pris dans le sens de contenu de la cellule, sans plus de précision, comme nous allons le voir.
L’inventeur de ce qui deviendra le « protoplasme », mais qu’il appelait « sarcode », est sans conteste Félix Dujardin, professeur de zoologie et de botanique à l’Université de Rennes. Il observait au microscope optique des formes vivantes primitives, des protozoaires unicellulaires : Rhizopodes et Foraminifères, découverts dix ans plus tôt par le naturaliste Alcide C.V.M. Dessalines d’Orbigny. En étudiant leur appareil digestif, il découvrit que les Rhizopodes placés en milieu aqueux libèrent une substance « glutineuse, diaphane, insoluble dans l’eau, s’attachant aux aiguilles de dissection, se contractant en masses globuleuses ». La présence de « sarcode » dans d’autres types de cellules fut rapportée, sous d’autres appellations : pour le botaniste et célèbre illustrateur Pierre Jean François Turpin, la « globuline » ; pour Friedrich Traugott Kützing, la substance gélatineuse des cellules d’algues ; pour Gabriel G. Valentin, un élève de Jan Evangelista Purkinje, le parenchyme amorphe des cellules nerveuses, parsemé de corpuscules et de granules. Purkinje pensait qu’il était à l’origine de la différenciation des tissus embryonnaires animaux. En 1838, il lui donna le nom de « protoplasme », une appellation appelée à connaître une certaine postérité. Citons encore la matière albumineuse semi-fluide des cellules de l’hydre (T.R. Jones, 1841) ; la couche visqueuse (slime ou Schleimschicht) sous la membrane des cellules (Carl Wilhelm von Naegeli). Hugo von Mohl étudia, en 1846, le « sac primitif » (utriculus primordialis) des dicotylédones : sureau (Sambucus ebulus), figuier (Ficus carica), pin (Pinus sylvestris). Observant les mouvements qui l’animent, il crut avoir identifié le milieu organique primitif au sein duquel se forme le noyau et les futures cellules. En 1846, l’utriculus primordialis fut assimilée au protoplasme. En 1850, Ferdinand Julius Cohn, professeur à l’Université de Breslau, proposa que le terme « protoplasme » désigne la substance fondamentale des cellules animales et végétales.
Références : Dujardin F Observations sur les Rhizopodes (1835)
Turpin PJF Organographie végétale : observations microscopiques sur l’organisation tissulaire, l’accroissement et le mode de reproduction de la Truffe comestible, comparée aux tissus, à la production de la Globuline, et de tous les corps reproducteurs des autres végétaux (1827)
Purkinje, J.E. & Valentin, G. De phenomeno generali et fundamentali motus vibratorii continui… commentatio physiologica (1836)
Sur le phénomène général et fondamental du mouvement vibratoire continu dans les membranes externes et internes de la plupart des animaux des ordres supérieurs et inférieurs : commentaire physiologique (traduction du latin)
Le protoplasme : unité de base du vivant ?
« A very distinguished organic chemist… said to me in the late eighties, The chemistry of the living ? That is the chemistry of protoplasm… »
Sir Frederick Gowland Hopkins
« Il y a une substance vivante, le protoplasma, qui donne naissance à la cellule et qui lui est antérieure »
Claude Bernard
« En ce temps-là Dieu expliquait tout. Depuis, quelques-uns ont remplacé Dieu par le protoplasme… »
Anatole France
Les citations de Frederick G. Hopkins, prix Nobel de physiologie ou médecine 1929 pour la découverte des vitamines, d’Anatole France, prix Nobel de littérature 1921 et de Claude Bernard, découvreur de la fonction glycogénique du foie, en disent assez long sur l’impact qu’eut l’avènement du concept de protoplasme en biologie. Si l’on se réfère à la théorie de Theodor Schwann, la cellule c’est essentiellement un noyau et une membrane ; le contenu cellulaire reste quelque chose de vague et de mal défini. Ce n’est plus le cas après que Félix Dujardin ait découvert le sarcode chez les eucaryotes unicellulaires et que Hugo von Mohl ait observé les mouvements contractiles qui agitent le protoplasme des cellules végétales. On crédite généralement Max J.S. Schultze, professeur d’Anatomie et de Zoologie à l’Université de Bonn, d’avoir énoncé, au début des années 1860, la Théorie protoplasmique du vivant ; de la fin du XIXe siècle au début du XXe , elle va enflammer les imaginations et devenir l’objet de multiples spéculations, doctrines et théories. Expert en anatomie microscopique, Schultze reconnaît, à l’issue de ses observations, que le sarcode des cellules animales et le protoplasme des cellules végétales désignent la même entité, ce que Ferdinand J. Cohn (Universität Breslau), équipé de l’un des meilleurs microscopes de l’époque (construit par l’opticien viennois Simon Plössl), avait déjà souligné dix ans plus tôt, au début des années 1850. Toutes les cellules, animales et végétales, renferment, en plus du noyau et de la membrane, une entité de même nature : le protoplasme.
Comment définir le protoplasme ? A la fin du XIXe siècle, il y a autant de descriptions que d’auteurs l’ayant observé : il contient de l’azote (des protéines) ; sa consistance s’apparente à celle d’une gelée : « glutineuse, diaphane, insoluble dans l’eau », selon Dujardin ; il est instable et doté de mouvements contractiles ; il est impliqué dans la locomotion cellulaire, le processus vital par excellence ; il est organisé : on y voit des granules, des fibrilles, un réseau réticulaire. Il renferme des structures intermédiaires (organites) assurant les réactions vitales et peut être même la transmission des caractères héréditaires.
La conception que l’on se fait de la cellule et de la transmission des caractères héréditaires est ébranlée par l’observation d’entités plurinucléées ayant une seule membrane limitante ; c’est le cas des myxomycètes au stade plasmodial ; le plasmode, entouré d’une mince membrane, se déplace pour phagocyter bactéries, levures, champignons microscopiques… c’est encore le cas des cénocytes des protozoaires flagellés, des organes des rotifères, des cellules hépatiques des mammifères, des poly caryocytes de la moelle osseuse, des fibres musculaires striées, des zoospores cœnocytiques des algues. L’existence de structures au sein desquelles les noyaux peuvent se diviser un grand nombre de fois en l’absence de division cellulaire a été perçue par certains comme une remise en cause de la théorie cellulaire. En 1880, Johannes L.E.R. von Hanstein fit paraître un ouvrage qui eut une large audience ; il y présenta le protoplasme comme le « porteur (träger) de la vie » chez les végétaux et les animaux. Heinrich Anton de Bary, professeur de Botanique à l’Université de Strasbourg, va dans le même sens ; l’existence d’une masse de protoplasme plurinucléé au stade plasmodial du cycle vital des formes vivantes primitives (mycètes, algues, Trachéophytes) est une preuve de la prééminence du protoplasme sur les autres structures cellulaires ; il renferme les structures essentielles à l’expression de la vie.
Parmi les plus fervents adeptes de la Théorie protoplasmique figure Ernst W. von Brücke, professeur de physiologie à l’Université de Vienne et membre du groupe des médecins berlinois matérialistes et anti-vitalistes qui plaidaient pour une approche physico-chimique en physiologie. Pour Thomas H. Huxley, chirurgien de la Royal Navy, spécialiste d’anatomie et de physiologie comparées, le protoplasme est la base physique de la vie, comme le proclame le titre de la conférence qu’il donne à Edimbourg en 1868 : « On the Physical Basis of Life » ; elle eut un grand retentissement et fit l’objet d’une publication ; elle fait suite à la découverte dans un sédiment marin d’une substance albumineuse que Huxley nomme Bathybius haeckelii. Il croit être en présence du protoplasme originel dont toute vie est issue, la substance primordiale théorisée par le philosophe Ernst Haeckel sous le nom d’Urschleim. Le Bathybius serait le chaînon entre la matière inorganique et la matière organique vivante ; il prendrait naissance dans les profondeurs de l’océan où il formerait un tapis continu de protoplasme vivant. C’est une occasion pour Huxley d’aborder le thème de la frontière entre vivant et non-vivant et de poser la question de savoir si au-delà du protoplasme, unité élémentaire du vivant, il existe un échelon de petitesse supplémentaire. L’affirmation que le protoplasme est le support physique de tous les êtres vivants allait à l’encontre de la position officielle de l’establishment religieux et universitaire ; c’était réduire l’être humain à une sorte de matérialité, au même rang que les animaux. Les conclusions d’Huxley furent remises en cause par Charles W. Thomson, spécialiste de l’étude de la vie dans les profondeurs marines ; il conclut que les échantillons de Bathybius qu’il a examinés en 1869 sont analogues au mycélium. George C. Wallich, spécialiste de biologie marine, considérait le Bathybius comme un produit de désintégration chimique.
Références : Von Mohl H Vermischte Schriften (1845)
Cohn FJ Untersuchungen über die Entwicklungsgeschichte der Mikroskopischen Algen und Pilze (1854)
Schultze MJS Über Muskelkörperchen, und das was man eine Zelle zu nennen habe (1861)
Schultze MJS Das Protoplasma der Rhizopoden und der Pflanzenzellen; ein Beiträg zur Theorie der Zelle (1863)
Von Hanstein JLER Das Protoplasma als Träger der pflanzlichen und thierischen Lebensverrichtungen (1880)
De Bary HA Vergleichende Morphologie und Biologie der Pilze, Mycetozoen und Bakterien (1884)
von Brücke EW Die elementar organismen (1861)
Huxley TH On the Physical Basis of Life (1869)
Verworn M Die Bewegung der lebendigen Substanz (1892)
Verworn M Die physiologische Bedeutung des Zellkerns (1892)
Thomson CW The Depths of the Sea (1873)
D’où viennent les nouvelles cellules ?
« Le développement de cette proposition qu’il existe un principe général pour la production de tous les corps organiques, et que ce principe est la formation de cellules, aussi bien que les conclusions qu’on peut tirer de cette proposition, peut être compris sous le terme de théorie cellulaire. »
René Joachim Henri Dutrochet
J’ai rappelé, au début de ce chapitre, l’énoncé de la Théorie cellulaire telle qu’elle fut conçue à la fin des années 1830 et complétée en 1855. Je voudrais rappeler brièvement l’état des connaissances de l’époque. Durant la décennie 1665-1675, Robert Hooke, Nehemia Grew et Marcello Malpighi ont révélé la présence, au sein des tissus végétaux et animaux, de « cellules », « globules », « vésicules » ou « utricules ». Le mot « cellule » disparut du vocabulaire pour ne réapparaître que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Dans les années 1830, Robert Brown découvre le noyau et Félix Dujardin, le « sarcode » (protoplasme). Une question restait en suspens : d’où viennent les nouvelles cellules ? Comment naissent-elles ? Parmi les doctrines en vogue à une époque où l’on ne faisait pas de distinction entre matière organique et matière minérale, existait la croyance aristotélicienne que la matière inanimée est dotée de « propriétés particulières » propices à l’apparition de matière animée : des asticots apparaissent sur de la viande laissée à l’air libre ; des vers apparaissent spontanément sur de la farine. La matière inanimée est dotée de « chaleur vitale » – la « pneuma » d’Aristote. La croyance en cette doctrine de la Génération spontanée sera plus tard soutenue par les expériences du révérend John T. Needham qui voit apparaître des animalcules au sein de bouillons de viande dans des bocaux fermés. Aucune note discordante ne va ébranler la foi des croyants en cette doctrine : ni les résultats des « Expériences sur la génération des insectes » réalisées en 1668 par le médecin Francesco Redi, montrant que les asticots apparaissant sur la viande trouvent leur origine dans les œufs déposés par les mouches ; ni la démonstration par l’abbé Lazzaro Spallanzani que les bouillons de viande ont été contaminés par les microorganismes de l’air ambiant. Il faudra attendre 1864 pour que la doctrine de la génération spontanée soit définitivement réfutée par les expériences de Louis Pasteur.
Pour les adeptes de la doctrine du Vitalisme, les phénomènes du vivant ne sont pas réductibles aux lois de la physique, de la chimie ou de la mécanique ; les fonctions organiques sont sous la dépendance d’un « principe vital », organisateur et créateur, qui n’est ni l’âme ni le corps. Dans les années 1830, puis en 1855, l’Académie impériale de médecine sert d’arène à l’affrontement entre partisans et adversaires de cette « métaphysique de la vie », comme la qualifiera le philosophe Henri Bergson. Cette querelle aboutit à la condamnation du Vitalisme par le Pape, en 1860, ce qui n’a pas empêché qu’il continue à être enseigné à l’École de médecine de Montpellier, l’une des plus réputées de France. La doctrine de la Préformation, énoncée par Aristote au IVe siècle av.J.-C., avait toujours ses partisans au XVIIIe siècle, parmi lesquels le mathématicien et philosophe Gottfried Wilhelm Leibniz et le naturaliste Lazzaro Spallanzani. Elle est exposée dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, éditée de 1751 à 1772. L’embryon se développe à partir de structures préexistantes dans les cellules sexuelles. Pour expliquer la métamorphose de la chenille en papillon, Jan Swammerdam, pionnier de l’examen microscopique des êtres vivants, décrit la présence d’un papillon préformé dans la chenille. Le graveur de planches anatomiques Jacques Fabien Gautier d’Agoty a représenté un « homuncule » dans un spermatozoïde. La théorie de la Préformation était vue avec bienveillance par la hiérarchie religieuse dans la mesure où elle ne contredit pas la vision de l’homme et des animaux tels que Dieu les a créés.
La Natuurphilosophie est, comme son nom l’indique, une philosophie – ou plutôt une métaphysique – teintée de biologie et de physique. Elle apparaît en Allemagne en 1802 avec la publication d’un article de Lorenz Oken, professeur à l’Université de Zurich. Influencé par les idées de Johann Gottlieb Fichte, professeur de philosophie à Iéna, Oken a l’ambition de bâtir une science universelle rendant compte de l’intégralité des phénomènes matériels et spirituels. Certains ont perçu cette entreprise comme une réaction au « mécanisme » à la mode en ce début de XIXe siècle où triomphe la physique d’Isaac Newton. Oken ne croit pas que les « infusoires » ou « animalcules » qui constituent les tissus animaux et végétaux soient issus d’œufs. Il ne croit pas non plus à la doctrine de la génération spontanée. Les êtres vivants sont des agrégats d’un très grand nombre « d’infusoires » qui conservent leur individualité jusqu’à la mort ; ils se désassemblent alors avant de se réassembler en un nouvel être vivant par « interpénétration, entrelacement et unification de tous les animalcules ». Toutes ces affirmations sont des rêveries de philosophe car Oken ne touche pas à un microscope et ne fait pas d’expérience, ce qui n’empêche pas ses ouvrages de connaître un grand succès. Parmi les adeptes de la Natuurphilosophie figure, par exemple, une personnalité aussi éminente que Johannes Peter Muller, titulaire de la chaire d’anatomie et de physiologie à la Friedrich-Wilhelms Universität de Berlin, et mentor des meilleurs physiologistes de l’époque : Henle, Ludwig, Schwann, du Bois-Reymond, Helmholtz.
Les mémoires que Joachim Dutrochet envoya en 1821 au Muséum d’histoire naturelle et, en 1837, à l’Académie des sciences de Paris renferment tous les éléments de la Théorie cellulaire : (i) les phénomènes vitaux sont fondamentalement les mêmes chez les animaux et les végétaux ; (ii) les tissus animaux et végétaux sont identiquement formés d’entités microscopiques (cellules) juxtaposées, unies les unes aux autres par des forces d’adhésion ou d’agglutination ; (iii) les cellules sont entourées d’une paroi ; (iv) elles sont le siège des processus physiologiques, nutrition, motilité (y compris chez les végétaux) ; il existe des cellules vagabondes, circulantes, pouvant traverser la paroi des capillaires ; (v) les différences entre les tissus et les organes sont déterminées par la forme et la nature chimique des entités microscopiques (globules, vésicules), les substances qu’elles sécrètent, les propriétés osmotiques de leurs parois. Pour Dutrochet les tissus sont formés de vésicules « celluleuses » ou « tubuleuses ; il formule, dans l’indifférence générale, une première ébauche de la Théorie cellulaire ; la majorité des pontifes du Muséum d’histoire naturelle et de l’Académie des sciences sont sous le charme du « cambium » de Brisseau de Mirbel (Muséum d’Histoire naturelle, Paris) et de son « pouvoir organisateur ». Mirbel expose sa théorie sur l’origine des cellules dans deux mémoires publiés en 1808 et 1809 : la genèse de nouvelles cellules se fait par un processus analogue à la cristallisation. Il débute à partir de particules, corpuscules ou granules – « korner » – situés à l’intérieur de la cellule-mère. Il se fait selon trois modes : (i) à la surface de cellules préexistantes (développement super-utriculaire) ; (ii) entre les parois de deux cellules contigües (développement inter-utriculaire) ; (iii) à l’intérieur des cellules préexistantes (développement intra-utriculaire).
A la différence de son maître Johannes P. Müller, Mathias J. Schleiden, titulaire de la chaire d’Anatomie à l’Université catholique de Louvain, puis à l’Université de Liège, ne croit ni au Vitalisme ni à la doctrine de la Préformation. Il a une théorie sur la formation des nouvelles cellules végétales dans laquelle le « cytoblaste » (noyau) joue un rôle essentiel. Son ouvrage sur la phytogenèse, publié en 1838, eut un grand retentissement dans le monde savant, sauf en France. Le liquide primordial constitutif des cellules est une masse organique, gélatineuse, non structurée, composée d’amidon et de mucus. Au sein de ce milieu, qu’il appelle cytoblastème, des éléments granulaires donnent naissance à des nucléoles. Autour d’un nucléole, se forme le cytoblaste, qui est progressivement entouré de protoplasme et d’une membrane péricellulaire. Le cytoblastème, qui provient d’une cellule préexistante, est le siège de l’assemblage séquentiel d’éléments conduisant à la formation d’une nouvelle cellule.
Theodor Schwann fut influencé par l’étude publiée en 1835 par Johannes Müller, montrant que les cellules (animales) de la notochorde des Myxinidae – des animaux aquatiques anguilliformes – sont comme les cellules végétales, entourées d’une membrane continue (chez les embryons de Myxinidae, la colonne vertébrale est remplacée par une structure cartilagineuse appelée notochorde). Il connait la théorie de Schleiden, dont il est proche (il avait été son assistant), sur le rôle primordial du cytoblaste dans la genèse des cellules végétales. En réexaminant au microscope ses coupes de tissus animaux, en particulier celles de la chorde dorsale des embryons de Rana esculenta, Schwann réalisa qu’ils sont, comme les tissus végétaux, formés de cellules avec un noyau de structure similaire à celui des cellules végétales. Il adhère à la doctrine de Schleiden selon laquelle, au sein du cytoblastème, le noyau est à l’origine de la formation de nouvelles cellules, avec, cependant, une nuance : pour Schleiden la structure granulaire originelle est à l’extérieur de la cellule-mère alors que pour Schwann elle est localisée à l’intérieur. Il existe donc une différence dans le mode de génération des cellules végétales et animales. En étudiant la reproduction des plantes phanérogames, Schleiden constate que les cellules du sac embryonnaire (un organe de reproduction aussi appelé gamétophyte) possèdent un large degré d’autonomie fonctionnelle ; il en conclut que le cytoblastème est le site des échanges chimiques au sein des tissus vivants ; il leur donne le nom de métabolisme. En 1838, Schwann présente devant l’Académie des sciences de Paris une première version de sa théorie. Son article de 1839 est considéré comme l’acte de naissance officiel de la Théorie cellulaire : la cellule est l’unité structurale de base des tissus animaux et végétaux ; elle est constituée d’un protoplasme nucléé et d’une membrane. Le protoplasme est le siège des processus métaboliques physico-chimiques ; la cellule peut se transformer, ce qui explique la diversité des êtres vivants.
Le tableau chronologique ci-dessous nous apprend que la division cellulaire aurait été observée dès 1830 par Charles F.A. Morren, chez le protiste Crucigena quadrata ; par Christian Gottfried Ehrenberg (l’inventeur du mot « bactérie »), chez les infusoires ; par Barthélémy Charles Dumortier, chez l’algue d’eau douce Conferva glomerata (1832). La présence d’un noyau au sein de cellules animales a été décrite en 1835. Ces observations ne furent pas prises en compte par la communauté scientifique; elles ne faisaient pas partie d’un projet sur le mode de génération des cellules, si bien que l’on peut considérer que Schwann a édifié sa théorie en partant de zéro. Je rappelle qu’à son époque, le mot « cellule » ne désigne que la cellule végétale. Schleiden est convaincu que les noyaux sont essentiels à la reproduction des cellules ; Schwann voit des noyaux dans les tissus animaux ; donc les tissus animaux doivent aussi être composés de cellules.
L’embryologiste Robert Remak (Hôpital de la Charité, Berlin) fit remarquer que la doctrine de Schleiden et Schwann sur la génération des cellules à partir de particules baignant dans un milieu organique n’est qu’une version améliorée (analogie avec la formation des cristaux) de la Théorie de la Génération spontanée. A la suite des minutieuses descriptions de Dumortier, les algues filamenteuses sont devenues le matériel expérimental de choix pour étudier la division cellulaire. C’est ainsi qu’en 1837, Hugo von Mohl publie un article dans Allgemeine botanische Zeitung sur la division des cellules chez Conferva glomerata, en oubliant de citer Dumortier. Karl W. von Näegeli, un élève de Matthias Schleiden, prend part au débat en proposant que la génération des nouvelles cellules se fait selon deux modes : (i) par division d’une cellule préexistante, comme l’affirme Remak ; (ii) par bourgeonnement spontané dans le milieu (Théorie du cytoblastème). Naegeli aurait observé dans le noyau et le protoplasme la présence de « micelles » qui pourraient être à l’origine de la génération de nouvelles cellules. L’approche expérimentale suivie par Robert Remak est l’examen microscopique des tissus animaux, le plus souvent des embryons de poulet (il avait mis au point une technique de coloration de la membrane des cellules). Il ne voit pas de noyaux nus au sein d’un cytoblastème ni au cours de la multiplication des globules rouges (1841), ni au cours de la formation de nouvelles cellules dans les fibres musculaires (1845). En 1852, il conclut de ses résultats qu’il n’y a pas de formation extracellulaire de cellules et que toutes les cellules animales proviennent de cellules préexistantes par fission binaire en deux cellules filles. C’est leur seule forme de multiplication. Remak décrit les grandes étapes de la division cellulaire dans son ouvrage sur les recherches sur le développement des animaux vertébrés ; il montre que la division du noyau () précède la division de la cellule (la caryocinèse précède la cytocinèse). Les deux nouveaux noyaux se séparent ; chacune des deux cellules-filles est dotée d’un noyau. Chez l’embryon, la division des cellules aboutit à la formation des couches germinales qui se différencient en tissus et organes.
Rudolf LK Virchow, médecin à l’Hôpital de la Charité, à Berlin, se rallie d’abord à la doctrine de Schleiden et Schwann sur la génération des nouvelles cellules au sein du cytoblastème. Ayant pris connaissance des résultats de Robert Remak, assistant bénévole du clinicien Johann Schönlein, à la Charité, Virchow change d’opinion et publie dans Archiv für pathologische Anatomie und Physiologie und für klinische Medizin (la revue qu’il a fondée en 1855) un éditorial intitulé Cellular-Pathologie, dans lequel il reprend la conclusion de Remak (en oubliant de le citer) : toute cellule provient de la division binaire d’une cellule préexistante ; les fluides inter-cellulaires à l’origine du cytoblastème, ne sont que des produits de sécrétion des cellules. Virchow publie, en 1858, son ouvrage de pathologie cellulaire (avec le fameux aphorisme « Omnis cellula e cellula » dont la paternité revient à François V. Raspail, qui le cite en exergue dans son traité de 1825 : « Développement de la fécule »). Le trait de génie de Virchow est d’avoir introduit le concept de « pathologie cellulaire » : les maladies ont leur origine dans des affections des cellules. Christian de Duve (prix Nobel de médecine ou physiologie 1974), lorsqu’il fonde un institut de recherches sur le campus de la Faculté de médecine de l’Université Catholique de Louvain, à Bruxelles, a voulu s’inscrire dans la continuité de Virchow en introduisant les termes « cellular pathology » dans le nom de cette institution (voir note ci-dessous). La large notoriété de Virchow, éminent universitaire et père fondateur de la Pathologie cellulaire, en fit le propagateur le plus influent de la Théorie cellulaire.
Références : Redi F Esperienzeintorno alla generazionedegl’insetti (1668)
Needham JT New microscopical discoveries (1745)
Oken L Grundriss der Naturphilosophie, der Theorie der Sinne, mit der darauf gegründeten Classification der Thiere (1802)
OkenL Die Zeugung (1805)
Fichte JG Grundlage der gesamten Wissenschaftslehre (1794-95)
Brisseau de Mirbel CF Exposition et défense de ma théorie de l’organisation végétale (1808)
Brisseau de Mirbel CF Exposition de ma théorie de l’organisation végétale (1809)
Dutrochet J Recherches sur l’accroissement et la reproduction des végétaux (1821)
Dutrochet J Mémoires pour servir à l’histoire anatomique et physiologique des végétaux et des animaux (1837)
Dutrochet J De la structure intime des organes des animaux et du mécanisme de leurs actions vitales (1837)
Schleiden MJ Beitrage zur Phytogenesis (1838)
Müller J Vergleichende Anatomie der Myxinoiden, der Cyclostomen mit durchboohrten Gaumen (1835)
Schwann T Investigations microscopiques sur la similitude de structure et de croissance des animaux et des plantes (1838)
Schwann T Mikroskopische Untersuchungen über die Uebereinstimmung in der Struktur und dem Wachstum der Thiere und Planfzen (1839)
Von Mohl H Flora oder allgemeine botanische Zeitung (1837)
Remak R Ueber extracellular Entstehung thierisher Zellen und über Vermehrung derselben durch Theilung (1852)
Remak R Untersuchungen über die Entwickelung der Wilbertiere (1855)
Virchow R Die Cellularpathologie in ihrer Begründung auf physiologische und pathologische Gewebelehre (1858)
Note: L’International Institute for Cellular and Molecular Pathology a été fondé en 1974 par quatre professeurs à la Faculté de médecine de l’Université Catholique de Louvain : Christian de Duve, Joseph-Félix Heremans, Michel de Visscher, Carlo Cocito. Il a été rebaptisé De Duve Institute en 2007.
Rappel chronologique :
1665 | Robert Hooke publie Micrographia |
1672 | Nehemia Grew décrit la présence de « bubbles » juxtaposées dans le « parenchyme » des plantes |
1675 | Marcello Malpighi décrit la présence d’ « utricules » et de « saccules » juxtaposés dans la tige du pourpier |
1830 | Charles Morren observe la division cellulaire chez un protiste |
1831 | Robert Brown décrit la présence d’un organite sphérique au sein des cellules végétales |
1832 | Barthélémy Dumortier observe la division cellulaire chez l’algue d’eau douce |
1835 | Rudolf Wagner observe le noyau des cellules animales |
1835 | Découverte par Félix Dujardin du « sarcode » des Rhizopodes |
1837 | Hugo von Mohl observe la division cellulaire chez l’algue d’eau douce |
1837 | Henri Dutrochet observe la formation d’agrégats de vésicules « celluleuses » ou « tubuleuses » après traitement de tissus à l’acide nitrique. Première formulation d’une théorie cellulaire |
1838 | Jan Evangelista Purkinje baptise « protoplasme » le contenu des cellules nerveuses |
1839 | Theodor Schwann : Théorie cellulaire |
1858 | Rudolf Virchow publie « Die Cellularpathologie » |
1861 | Max J.S. Schultze : Théorie protoplasmique du vivant |
1869 | Friedrich Miescher isole la « nucléine » |
Cellules, tissus, organes
Un tissu est un ensemble fonctionnel de cellules semblables. Un organe est une entité anatomique qui exerce chez l’être vivant une fonction déterminée : le foie, le cœur, les poumons sont des organes. Un organe renferme le plus souvent plusieurs tissus. Le tissu est donc une structure intermédiaire entre les cellules et les organes.
Nous devons les premières descriptions anatomiques des organes à Claude Galien, qui au IIe siècle exerçait la médecine à Pergame (Asie mineure), puis à Rome où sa renommée en fit le praticien de l’empereur Marc Aurèle et de ses fils. Persuadé qu’une bonne pratique médicale doit être fondée sur la connaissance de l’anatomie, il pratiqua des dissections d’animaux vivants. Il décrivit de nombreux organes : cœur, foie, utérus, système nerveux. Il effectua en public des démonstrations destinées à établir la relation entre l’anatomie d’un organe et sa fonction physiologique. Malgrè de grossières erreurs d’interprétation du rôle des organes (le foie, centre de la circulation sanguine !) et de leur anatomie (communication entre les ventricules du coeur), Claude Galien reste, avec Hippocrate (Ve siècle av. J.-C.), la grande figure de la médecine de l’Antiquité ; son enseignement resta d’actualité jusqu’au XVIIe siècle.
Andries van Wesel (Andreas Vesalius ou Vésale) était issu d’une famille d’érudits et de médecins de la région de Wesel, en Rhénanie. Son arrière-grand-père fut le médecin de l’empereur Frédérique III, son grand-père, celui de Maximilien d’Autriche, empereur des Romains, son père, l’apothicaire de Marguerite d’Autriche, régente des Pays-Bas. Lui-même sera le médecin de l’empereur Charles-Quint et de son fils, le roi d’Espagne Philippe II. Vesalius étudia les langues (grec, arabe, hébreu) à Louvain, puis la médecine à Paris (1533-1536), Montpellier et Padoue (1537-1546). Devenu professeur d’anatomie en 1537, il considérait que la connaissance de l’anatomie humaine était indispensable à une bonne pratique de la médecine. Il réagit contre le mode d’enseignement presque exclusivement livresque de la médecine qui faisait que les médecins du XVIe siècle ne connaissaient pas l’anatomie des organes humains. Leurs seules connaissances venaient de la transposition hasardeuse à l’homme des descriptions anatomiques de Galien acquises en disséquant des animaux. Vésale imposa aux étudiants en médecine la dissection de corps humains ; elle n’était jusque là pratiquée que par les barbiers. Il publia, en 1543, « De humani corporis fabrica», un ouvrage de planches anatomiques des organes du corps humain magnifiquement illustrées.
La publication de cet ouvrage suscita une violente réaction de la part de nombreux universitaires (dont son ancien professeur) qui y voyaient un dénigrement de l’enseignement de Galien. Vésale avait montré combien il comportait de grossières erreurs. D’autre part, la dissection de cadavres humains suscitait la méfiance des autorités ecclésiastiques et la franche hostilité de l’Inquisition, très active en Espagne. Accusé d’avoir autopsié une femme encore vivante, Vésale fut condamné au bûcher par le tribunal de l’Inquisition espagnole. Philippe II dut intervenir pour le tirer de cette situation dramatique. Il fut condamné à effectuer un pèlerinage expiatoire à Jérusalem. Le bateau qui le ramenait en Europe fut pris dans des tempêtes dans la mer Ionnienne. Le mauvais temps affecta la santé de l’équipage et des passagers. Saisi d’une forte fièvre, Vésale fut débarqué sur le rivage de l’île de Zante, où il mourut d’épuisement en 1564 ; il avait cinquante ans. Le grand anatomiste de la Renaissance, le promoteur de l’anatomie humaine fut enterré près d’une église qui a aujourd’hui disparu. Vesalius eut de nombreux disciples, parmi lesquels Bartolomeo Eustachi ou Gabriele Falloppio, qui réalisèrent d’importants travaux sur l’anatomie de l’oreille, du cœur, des systèmes reproducteur et vasculaire.
La notion de tissu – ensemble de cellules spécialisées ayant une structure et des fonctions identiques – apparut au XVIIe siècle. La filiation entre organes et tissus fut établie de façon systématique par le médecin François Marie Xavier Bichat, pionnier de l’anatomie générale (nous dirions aujourd’hui de l’histologie). Pour étayer sa théorie selon laquelle les tissus sont les unités anatomiques à partir desquelles l’on peut expliquer la physiologie et la pathologie de l’organisme, il pratiqua des centaines d’autopsies. Il proposa une classification des tissus (la première) en 22 types différents, fondée non pas sur une simple description anatomique des organes mais sur l’examen microscopique des tissus qui les composent. Il montra qu’un organe peut être formé de différents tissus et qu’un même tissu peut se retrouver dans différents organes. Personne n’étant parfait, Bichat resta toute sa courte vie (il mourut à l’âge de 30 ans) un vitaliste convaincu. Persuadé que la force vitale était localisée dans les tissus entourant les viscères, il se perdit en élucubrations sur le mode de vitalité caractérisant chaque type de tissu.
Notices biographiques (classées par ordre chronologique)
Robert Hooke (1635-1703) Hooke reçut son éducation à la Westminster School et, en 1653, à Oxford University (chimie et astronomie). Il devint l’assistant du physicochimiste Robert Boyle, auteur de la première loi sur les gaz. Hooke fut l’un des fondateurs de la Royal Society dont il devint le Curator of experiments, responsable des expériences lors des réunions, et, plus tard, Fellow et Secrétaire (1677-1683). En 1665, il fut nommé professeur de géométrie à l’Université de Gresham. Esprit éclectique et travailleur infatigable, il se passionna pour la mécanique, la biologie, l’optique, la météorologie, l’astronomie… Il publia en 1664 son célèbre ouvrage « Micrographia » dans lequel il décrit ses observations microscopiques de minéraux, d’insectes et de coupes de végétaux (dont celles de liège). En 1679, il publie « Lectiones Cutlerianae » dans lequel il explique la loi sur les déformations élastiques (loi de Hooke) conçue en 1660.
Nehemia Grew (1641-1712) Grew fit ses études à Cambridge (Pembroke College) puis à l’Universiteit Leiden, la plus ancience université des Pays-Bas, fondée en 1575, où il passa sa thèse de médecine. Il commença une pratique à Londres où il devint un médecin renommé. Sa passion pour la botanique put s’exprimer en 1664, année où il commença l’étude de l’anatomie des tissus végétaux Ses travaux lui valurent d’être nommé Fellow de la Royal Society (fondée en 1660) puis Secrétaire en 1667. En 1673, il rassembla les mémoires qu’il avait envoyés à la Royal Society en un ouvrage intitulé « Idea of a Phytological History » et, en 1682, la somme de ses observations dans un ouvrage en quatre volumes intitulé « The Anatomy of Plants ».
Robert Brown (1773-1858) Après ses études de médecine, Brown commença en 1795 une carrière de chirurgien dans l’armée. Son intérêt pour la botanique s’éveilla alors qu’il résidait en garnison en Irlande. Grâce à l’appui du Président de la Royal Society, il participa, de 1801 à 1805, à l’expédition du H.M.S. Investigator sur les côtes de l’Australie. Il en ramena des milliers d’espèces végétales, ce qui lui valu d’être nommé gardien puis conservateur des collections botaniques du British Museum. Il décrivit les espèces végétales rapportées d’Australie dans un ouvrage – « Prodromus Florae Novae Hollandiae » – publié en 1810. Il mit en évidence, en 1827, l’agitation qui affecte les particules en suspension dans un liquide, le « mouvement brownien ». Bien qu’ayant assisté, en 1829, à l’exposé de Giovanni Baptista Amici, astronome à l’Université de Modène, à la Royal Society pour vanter les qualités optiques ses microscopes, Brown utilisa un instrument fabriqué à Londres par Banks & Sons et Dollon. Il devint membre puis président de la Linnaean Society de 1849 à 1853.
Félix Dujardin (1801-1860) L’ambition de Dujardin était de devenir polytechnicien, mais le sort en décida autrement : recalé au concours d’entrée, Dujardin se lança dans la vie d’artiste et fréquenta l’atelier de François Gérard, peintre officiel de l’Empereur Napoléon III et de Louis XVIII. Il découvrit sa vocation de naturaliste à travers les joies de promenades botaniques. Il publia en 1833 une « Flore complète d’Indre et Loire ». Il survécut matériellement en assurant des intermèdes de bibliothécaire et de chargé de cours, suivit à Paris des cours de zoologie, vivotant de la rédaction d’articles et de la vente des tableaux peints par sa femme. Il entreprit ses recherches en essayant de mettre en évidence l’appareil digestifs des infusoires. Il définit le groupe des êtres unicellulaires baptisés Rhizopodes et, en 1835, publia « Observations sur les Rhizopodes » dans lequel il décrivit la découverte du « sarcode ». En 1840, il obtint la chaire de géologie et minéralogie à la Faculté des sciences de l’Université de Toulouse, puis celle de zoologie et de botanique à l’Université de Rennes où il étudia les vers intestinaux appelés « helminthes » et d’autres invertébrés microscopiques : échinodermes, cnidaires.
Joachim Dutrochet (1776-1847) René Joachim Henri du Trochet était le descendant d’une famille d’ancienne noblesse (XIVe siècle) chassée de France et ruinée par la Révolution. Il regagna son pays après la chute de Robespierre et changea son nom en Dutrochet. A 26 ans, il mena brillamment à terme des études de médecine. Il participa à la guerre d’Espagne comme médecin des armées napoléoniennes avant de se retirer dans la propriété de campagne de sa mère où il entama, à 30 ans, une carrière de chercheur autodidacte dans un appentis de jardin transformé en laboratoire, et avec un jeune paysan illettré comme assistant. Il adopta l’approche matérialistique préconisée par Lazzaro Spallanzani, professeurd’histoire naturelle à l’Université de Pavie, directeur du Musée d’histoire naturelle et adepte inconditionnel de la méthode expérimentale en sciences naturelles. Spallanzani rejetait la doctrine de la génération spontanée. Il avait acquis une certaine renommée grace à ses travaux sur la présence « d’utricules » dans les tissus, sur la reproduction des vertébrés (requérant un spermatozoïde et un ovule) et sur le rôle du suc gastrique dans la digestion.
Hugo von Mohl (1805-1872) Descendant d’une illustre famille du Wurttemberg, Mohl fit de brillantes études de Médecine à l’Université de Tübingen, où il fut nommé professeur de botanique en 1832 puis directeur du Jardin botanique. Célibataire endurci, il partageait son temps entre son enseignement, son laboratoire et sa bibliothèque. Mohl était un spécialiste de l’étude microscopique de l’anatomie et de l’histologie des végétaux. On lui attribue erronément la découverte, en 1835, de la division cellulaire chez l’algue verte Cladophora glomerulata (« Ueber die Vermehrung der Pfanzenellen durch Theilung », 1837). Cette découverte est attribuée à Barthélemy Dumortier (1832). Il publia, en 1845, « Vermischte Schriften botanischen Inhalts ».
Johannes Peter Müller (1801-1858) Müller fit ses études à l’Université de Bonn où il devint professeur ordinaire en 1830. Désireux de quitter l’atmosphère provinciale de Bonn, il fit pression pour obtenir la chaire d’anatomie et de physiologie de la Friedrich-Wilhelms-Universität, à Berlin, laissée vacante par le décès de son titulaire (1833). Travailleur acharné, il fit paraître de 1833 à 1840 son « Handbuch der Physiologie des Menschen » qui, sans se démarquer des idées de son temps, fut bien accueilli. Il mit au point une approche originale pour l’analyse systématique de la structure des tissus. Son travail sur l’anatomie comparée des myxinidae (1835) est original. Bien que ne disposant ni de laboratoires aménagés ni de l’institut de recherche qu’il souhaitait obtenir, il, rassembla autour de lui de nombreux et brilliants élèves : F.G. Jacob Henle, Theodor Schwann, R. Albert von Kölliker, Max Schultze, Robert Remak, Ernst Wilhelm von Brücke, Rudolf Virchow… L’Ecole de Berlin, dont il est le fondateur, était réputée pour son expertise en anatomie et histologie comparées.
Carl W. von Nägeli (1817-1891) Naegeli suivit à Zurich les cours de zoologie de Lorenz Oken, le pape de la Naturphilosophie. Il passa une thèse de doctorat en botanique à l’Université de Genève. En 1842, à Iéna, il s’initia à l’anatomie microscopique sous l’égide de Matthias Schleiden. Professeur assistant à l’Université de Zurich (1845 à 1852), il étudia la division cellulaire et la croissance des plantes en utilisant les algues comme matériel d’étude. En 1852, il devint professeur à l’Université de Fribourg-en-Brisgau. De 1857 à 1890 il occupa la chaire de botanique à l’Université de Zurich. Il entretint une correspondance avec son ancien élève, Gregor Mendel, qui lui avait envoyé son mémoire de 1866. Médiocre scientifique, Nägeli fit preuve d’un manque de pertinence (ou d’honnêteté ?) en ignorant la portée du manuscrit de Mendel sur la répartition des caractères héréditaires entre les générations. Il était en pleine élaboration de sa fumeuse théorie mécaniste de l’hérédité, publiée en 1884 : « Mechanisch-physiolgische Theorie der Abstammungslehre » dans laquelle « l’idioplasme » jouait le rôle de support matériel des caractères héréditaires.
Johannes Evangelista Purkinje (1787-1859) Purkinje fit ses études de médecine à l’Université de Prague, en Bohème. Il occupa la chaire de physiologie et de pathologie de l’Université de Breslau puis, en 1850, la chaire d’anatomie et de physiologie de l’Université de Prague (fondée en 1348 par Charles IV). Purkinje fonda, en 1839, le premier Institut de Physiologie en Allemagne. Autour de lui se groupèrent les élèves de l’Ecole de Breslau dont le rayonnement fit de l’ombre à l’Ecole de Berlin de Johannes Peter Müller. Equippé d’un microscope à objectif achromatique fabriqué par l’opticien autrichien Simon Pössl, il devint un expert reconnu en anatomie microscopique. Il décrivit la présence de « parenchyme » dans les cellules des nerfs (1836) et fit d’importantes découvertes en physiologie de la vision et phénomènes optiques au niveau de l’œil ; il décrivit les cellules du cortex du cervelet qui portent son nom (1837). Purkinje était un érudit ; il traduisit Goethe et Schiller en tchèque.
François-Vincent Raspail (1794-1878) Le cursus éducatif de Raspail fut hétéroclite : la philosophie et la théologie au séminaire, le droit, puis les sciences naturelles. A partir de 1824, il rédigea une série d’articles scientifiques dont l’Essai de chimie microscopique (1830) et le Nouveau système de chimie organique (1833) qui établirent sa notoriété à l’international. Son engagement dans la vie politique lui valut renvois, condamnations et séjours en prison. Il préchait pour la confrontation de données anatomiques, physiologiques et physico-chimiques pour progresser dans la connaissance du vivant. Il commanda un microscope performant à l’opticien Deleuil, à Paris et devint un pionnier en microanatomie et histochimie des tissus. Les vésicules élémentaires étaient des êtres organisés possédant une individualité et captant dans le milieu extérieur les éléments nécessaires à leur croissance et à leur reproduction. Elles s’assemblaient en tissus et en organes. Raspail adopta une position à mi-chemin entre Vitalisme et réductionnisme physico-chimique : une « force vitale » serait nécessaire à l’intégration des mécanismes chimiques et physiologiques conduisant à l’organisation cellulaire. Les vésicules renfermaient des vésicules de plus en plus petites jusqu’à un corpuscule premier incorporant des éléments nutritifs (gaz et liquides). La formation des vésicules se faisait par cristallisation d’éléments chimiques simples. L’aphorisme « Omnis cellula e cellula », repris par Rudolf Virchow sous la forme « Omnis cellula a cellula », se trouve en épigraphe de « Dèveloppement de la fécule », publié par Raspail en 1825.
Robert Remak (1815-1865) Il fit ses études de médecine à l’Université Friedrich Wilhelm, à Berlin, et se spécialisa en neurologie. Sous l’égide de Johannes Peter Müller et de Christian Gottfried Ehrenberg, premier récipiendaire en 1877 de la médaille van Leeuwenhoek, Remak accomplit son œuvre scientifique à l’Université Humbolt, à Berlin. Il montra que les couches germinales sont au nombre de trois (ectoderme, mesoderme, endoderme) et non de quatre, contrairement à ce qu’affirmait Karl Ernst von Baer. Il découvrit les fibres nerveuses amyéliniques et les cellules nerveuses cardiaques (ganglion de Remak). Malgré la protection de l’humaniste et explorateur Alexander von Humbolt, le fait qu’il soit polonais de confession juive le tint à l’écart de toute nomination à un poste de professeur correctement rétribué, ce qui l’obligea à faire de la pratique médicale pour faire subsister sa famille.
Mathias Jakob Schleiden (1804-1881) Schleiden choisit la carrière de juriste mais son métier d’avocat lui valut tant de déboires qu’il tenta de mettre fin à ses jours. Il eut le bon goût de rater son suicide et, reprenant goût à la vie, se passionna pour la botanique. En 1838 commença pour lui une vie de professeur itinérant de botanique à Iéna (où il rédigea en 1838 son ouvrage “Beiträge zur Phytogenesis“), à Tartu, en Estonie, Dresde, Wiesbaden, Francfort-sur-le-Main puis à l’Université de Dorpat, en Russie. Il rédigea des ouvrages de botanique dont le plus connu s’intitule « Grundzüge der Wissenschaftlichen Botanik » (1861). Alors que la plupart des botanistes basaient la classification des espèces sur la comparaison de leurs caractères organoleptiques, Schleiden opta pour l’examen microscopique des organes et des tissus à l’aide d’un instrument fabriqué par un jeune mécanicien et opticien de talent nommé Carl Zeiss.
Max J.S. Schultze (1825-1874) Après ses études de médecine, Schultze s’orienta vers l’étude de l’anatomie et de l’histologie sous la direction de Johannes Peter Müller, d’Ernst Brücke et de Karl A.S. Schultze (son père). Professeur associé d’anatomie à l’Université de Halle (1854) puis à celle de Bonn (1859) et directeur de l’Institut d’Anatomie, il améliora les techniques de coloration des tissus et des cellules (il a introduit la coloration à l’acide osmique). Son domaine d’étude était l’anatomie microscopique des Protozoaires. Il fonda la revue Archiv für mikroskopische Anatomie und Entwicklungsmechanik (1865), qui servit de tribune aux Naturalistes engagés dans les recherches en cytologie, et dont la publication se poursuivit au XXe siècle.
Theodor Schwann (1810-1882) Schwann fit ses études de médecine à l’Université de Bonn où il rencontra Johannes Peter Müller. Il devint son assistant à l’Université Humboldt (Berlin) et réalisa sous son égide l’essentiel de son oeuvre expérimentale entre 1834 et 1839 : découverte des cellules qui fabriquent la myéline (« cellules de Schwann ») ; de la gaine entourant les axones des fibres du système nerveux (« gaine de Schwann ») ; découverte du muscle strié dans l’œsophage et travaux sur la contraction musculaire ; purification de la pepsine à partir de muqueuse gastrique (le premier enzyme purifié !) et mise en évidence de son rôle dans la digestion. En butte à l’hostilité de Justus von Liebig, professeur de chimie à l’Université de Giessen, et des membres de son entourage, il quitta Berlin, en 1838, pour occuper la chaire d’anatomie à l’Université catholique de Louvain, puis, en 1848, celle d’Anatomie à l’Université de Liège.
Rudolf L.K. Virchow (1821-1902) Virchow fit ses études de médecine à Berlin et se spécialisa en histologie des tissus pathologiques. A 25 ans, il devint vice-recteur de l’Hôpital de la Charité à Berlin. Il créa, en 1847, avec un ami, une revue scientifique qui est toujours publiée sous le nom de « Virchows Archiv ». Il fut suspendu de son poste pour avoir participé au mouvement révolutionnaire qui secoua l’Europe en 1848. De 1849 à 1856, il occupa la première chaire d’anatomie pathologique à l’Université de Wurtzbourg. Il fit une description détaillée du tissu qui comble l’espace entre les neurones et qu’il baptisa « neuroglie » (1856). Il publia le premier article rapportant un cas de leucémie et, en 1858, un ouvrage qui eut un grand retentissement : « Die Cellularpathologie ». Les qualités scientifiques de Virchow lui permirent de revenir en grâce auprès des autorités universitaires berlinoises : en 1856 elles créèrent à son intention une chaire d’anatomie pathologique et un Institut de pathologie cellulaire dans l’enceinte de l’Hôpital de la Charité. En 1859, il entama une carière politique et se positionna en farouche opposant au chancelier Otto von Bismarck. Il fut un précurseur de l’écologie : la tuberculose exerçait des ravages dans les couches les moins favorisées de la population berlinoise ; en sa qualité de membre du conseil communal Virchow fit planter des milliers d’arbres dans les rues et les parcs de Berlin pour assainir l’air de la ville. Virchow commit l’erreur de rejeter la thèse de Pasteur selon laquelle les germes bactériens sont la cause des maladies infectieuses. Leur présence dans les lésions était, selon lui, la conséquence et non la cause de la lésion. Un individu sain était insensible aux bactéries.