Chapitre 7

Complexe de Golgi

« No cellular organelle has been the subject of as many, as long-lasting, or as diverse polemics as the Golgi apparatus. »

William Gordon Whaley

Une existence controversée

L’appareil de Golgi aurait été observé en 1867 par Adolph von La Valette Saint George, professeur d’anatomie à l’Université de Bonn, puis par le médecin Camillo Golgi (Université de Pavie) en 1896. Au cours de la mise au point d’une technique de coloration du tissus nerveux, Golgi essaya diverses méthodes d’imprégnation métallique; il découvrit ainsi la « réaction noire » ainsi nommée parce que les cellules nerveuses – axones et dendrites – étaient colorées en noir par le nitrate d’argent. Il observa à proximité du noyau et du centrosome un « apparato reticolare interno » fixant fortement le colorant, sur des coupes de tissu nerveux de hibou et de chat. En 1902, l’anatomiste Friedrich Kopsch améliora la technique de coloration de Golgi en introduisant une imprégnation à l’acide osmique (coloration mixte à l’osmium et au nitrate d’argent). L’appareil réticulaire interne fut rebaptisé « appareil de Golgi » (1909), puis « complexe de Golgi ». En 1906, Camillo Golgi et Santiago Ramon y Cajal (Université de Barcelone) partagèrent le prix Nobel de médecine ou physiologie pour avoir caractérisé le quatuor de cellules de la neuroglie (astrocytes, oligo-dendrocytes, cellules microgliales et cellules épendymaires) décrit pour la première fois par Rudolf Virchow. L’importance de la découverte du complexe de Golgi passa inapperçue.

Dans la citation citée en exergue, William G. Whaley rappelle que rares sont les organites ayant fait l’objet d’autant de controverses; elles étaient dues en grande partie au fait que la technique d’imprégnation par les sels métalliques donnait des résultats difficilement reproductibles. Malgré les débats entourant son existence, le complexe de Golgi fut l’objet d’un réel engouement. De l’abondante littérature qui lui fut consacrée dans les années suivant sa découverte, il ne subsiste à peu près rien qui soit digne d’intérêt. Au milieu du XXe siècle, un demi siècle après sa découverte, des microscopistes aussi expérimentés que George Palade ou Albert Claude (The Rockefeller Institue for Medical Research) soutenaient que l’appareil réticulaire était un artefact de coloration consistant en formations myéliniques. En 1954, dans une communication à la Royal Society (Cell Morphology and the Organization of Enzymic Systems in the Cytoplasm), Claude mettait en garde contre « some artefacts such as the Golgi apparatus » ! La controverse prit fin avec l’avènement du microscope électronique : l’examen de coupes ultra-fines de cellules d’épididyme de rat, imprégnées de sels métalliques par Albert Dalton et M.D. Felix (National Cancer Institute, National Institutes of Health), ou celles de pancréas de souris par Fritiof Sjöstrand et V. Hanzon (University of California, Los Angeles) révélèrent l’architecture caractéristique de l’appareil de Golgi: un empilement de sacs membranaires aplatis (les saccules ou citernes ou lamelles) entourés de vésicules. En hommage au travail de pionnier accompli par Albert Dalton, l’organite fut baptisé en 1956 « The Dalton complex ».

Le complexe de Golgi est présent dans les cellules animales (à un ou deux exemplaires par cellule) et végétales (plusieurs exemplaires par cellule). Il est particulièrement développé dans les cellules à forte activité sécrétoire comme les cellules de l’épididyme ou du pancréas exocrine. Le terme dictyosome a été utilisé pour désigner l’empilement de saccules dont le nombre varie de 4 à 5 jusqu’à plusieurs dizaines dans les cellules végétales et chez les flagellés unicellulaires (où le complexe de Golgi peut comporter plusieurs dictyosomes). La polarité cis-trans de l’organite fut observée en 1957 chez les flagellés par Pierre-Paul Grassé (Université de Paris) et en 1963 chez les végétaux par Hilton H. Mollenhauer et Gordon G. Whaley (The Plant Research Institute, The University of Texas, Austin). La face convexe est tournée vers le noyau et le réticulum endoplasmique; la face concave est généralement orientée vers la membrane plasmique et l’extérieur de la cellule. Il fallut une bonne dose d’ingéniosité et d’imagination aux morphologistes pour définir parmi l’enchevêtrement de saccules et de vésicules la limite entre le Golgi et d’autres compartiments cellulaires, comme le reticulum endoplasmique, les endosomes ou les lysosomes.

Des études microscopiques et des expériences sur la cinétique des molécules traversant le Golgi ont permis de singulariser deux réseaux membranaires encadrant les saccules du Golgi médian: en amont, entre le dictyosome et le reticulum endoplasmique, le réseau cis-golgien (Endoplasmic Reticulum-Golgi Intermediate Compartment); en aval, le réseau trans-golgien (Trans Golgi Network). Alain Rambourg a montré que le cis-Golgi est essentiellement formé d’un réseau de tubules délimitant des mailles hexagonales. Il est formé par l’agrégation de vésicules issues par bourgeonnement du reticulum endoplasmique et transportant un « cargo » de protéines synthétisées dans le reticulum endoplasmique. Du réseau cis-golgien part un flux antérograde de vésicules transportant du matériel cargo vers le trans-Golgi en travesant les citernes médianes de la partie centrale du complexe. Un flux rétrograde de vésicules quitte le cis-Golgi pour retourner vers le reticulum endoplasmique. Dans l’espace séparant le trans-Golgi de la membrane plasmique s’accumulent de grandes vésicules et des granules contenant des protéines de sécrétion, en particulier dans les cellules des acinis pancréatiques. Les termes cis-Golgi et trans-Golgi désignent donc des structures distinctes des citernes cis, médiane et trans du complexe de Golgi telles qu’elles ont été définies par des critères morphologiques, chimiques et enzymatiques.

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Complexe de Golgi d’une cellule du pancréas exocrine.. Une matrice protéique maintient l’architecture caractéristique des citernes (ou saccules) et la polarité cis-trans du complexe. Un compartiment intermédiaire, le cis-Golgi, est intercalé entre le Golgi et le réticulum endoplasmique. Il se forme par agrégation de vésicules issues du reticulum et transportant des protéines et des lipides nouvellement synthétisés. Un autre compartiment, le trans-Golgi est situé entre le Golgi et la membrane plasmique.

Le complexe de Golgi est un organite hétérogène

La question s’est posée très tôt de savoir si toutes les citernes étaient reliées entre elles par des connections tubulaires, faisant ainsi du complexe de Golgi une structure unique, ou s’il s’agissait d’un empilement de citernes individualisées. Pour répondre à cette question, Albert Claude (Institut Bordet, Bruxelles) s’attela, dans les années 1970, à la reconstitution tridimensionnelle du dichtyosome. Il examina au microscope électronique des coupes de tissu en série (200 coupes de 50 à 100 nanomètres d’épaisseur par cellule). A l’époque, les moyens informatiques pour intégrer les données et parvenir à une reconstitution fiable n’existaient pas. Il fallut attendre l’arrivée de la microscopie électronique à balayage (Scannig Electron Microscopy, voir chapitre I) et de ses variantes, et des techniques informatiques de reconstruction tridimensionnelle. Des images à haute résolution furent obtenues en examinant des coupes en série, imprégnées à l’acide osmique, de cellules d’épididyme de rat, d’acini pancréatiques, de cellules gonadotropes du lobe antérieur de l’hypophyse. Il a été ainsi établi que les citernes du complexe de Golgi sont interconnectées par des structures tubulaires. La forme du complexe varie selon le type de cellule : des citernes de forme ovale agencées en panier (épididyme) ; un réseau de rubans allongés (acini pancréatiques) ; une cage sphérique (hypophyse antérieure).

La polarité cis-trans du complexe fut observée en 1957 chez les flagellés par Pierre-Paul Grassé (Université de Paris) et en 1963 chez les végétaux par Hilton H. Mollenhauer et Gordon G. Whaley (The Plant Research Institute, The University of Texas, Austin). La face convexe est tournée vers le noyau et le réticulum endoplasmique; la face concave est généralement orientée vers la membrane plasmique et l’extérieur de la cellule. Cette hétérogénéité longitudinale est confirmée par des données chimiques et histochimiques: les différentes parties du complexe réagissent différemment aux réactifs utilisés: présence de phosphatases (thiamine pyrophosphatase, nucéoside di phosphatase, cytidine monophosphatase) dans les saccules du trans-Golgi (Alex Novikoff et Sydney Goldfisher, 1961, Albert Einstein College of Medicine); marquage spécifique du cis-Golgi par l’osmium (Daniel S. Friend et M. Murray, 1965, Department of Pathology, University of California School of Medicine, San Francisco); présence d’adénine dinucléotide phosphatase dans le Golgi median des améloblastes de rat – les cellules qui fabriquent l’émail dentaire – (C.F. Smith, 1986, Department of Anatomy, Faculty of Dentistry, McGill Uiversity). En plus de la polarité cis-trans, il existe aussi une hétérogénéité latérale, comme l’a montré Alain Rambourg par l’examen stéréoscopique de coupes ultra-fines (100 nanomètres) et épaisses. Ses observations plaident pour l’existence d’un réseau continu (examen au microscope électronique de coupes ultra-fines et de coupes épaisses sous des tensions de 120.000 volts ou sous des tensions de 1.000.000 à 3.000.000 de volts).

Le complexe de Golgi renferme des glycosyltransférases

La première approche expérimentale utilisée pour définir la composition biochimique du complexe de Golgi fut celle du fractionnement subcellulaire (de préférence quantitatif) par centrifugation différentielle et en gradient de densité. L’obtention de préparations purifiées ne fut pas aisée, s’agissant d’un composant mineur de la cellule : environ 1% de la masse des protéines cellulaires dans les hépatocytes contre 10% pour le noyau, 20% pour les mitochondries. En 1954 et 1959, Edward Kuff, Walter Schneider et Albert Dalton utilisèrent la centrifugation différentielle combinée à la centrifugation en gradient de densité pour purifier l’appareil de Golgi d’épididyme de rat (très développé dans les cellules endocrines). Les auteurs se contentèrent de critères morphologiques pour caractériser la fraction purifiée, des critères d’autant moins fiables que le broyage des tissus désagrège l’organite. Ce n’est qu’en 1964 que les botanistes Hilton H. Mollenhauer et James D. Morré résolurent cette difficulté : la morphologie et la polarité cis-trans du complexe sont conservées en traitant les tissus à la glutaraldéhyde et en ajoutant un cation divalent (du calcium) au milieu d’homogénéisation (une solution de saccharose et de dextran). La même année, Sidney Goldfischer, E. Essner et Alex Novikoff (Albert Einstein College of Medicine) mirent au point un test histochimique basé sur la révélation in situ de la thiamine pyrophosphatase (nucléoside diphosphatase) pour marquer spécifiquement le Golgi.

En 1968, Mary-Jane Spiro et Robert G. Spiro (Harvard Medical School) découvrirent dans la glande thyroïde des enzymes catalysant le transfert de galactose ou d’acide sialique sur des protéines (galactosyltransférase et sialyltransférase). Le précurseur des hormones thyroïdiennes, la thyroglobuline, est une glycoprotéine dont la chaîne glycanique contient du galactose et de l’acide sialique (et d’autres sucres). La même année, une galactosyltransférase fut identifiée dans le lait ; le galactose transféré provenait d’un nucléotide donneur de sucre, l’UDP-galactose ; le galactose était transféré sur la N-acétyl glucosamine (accepteur). En 1969, Rebecca Fleischer, Sidney Fleisher et Hidehiro Ozawa (Department of Molecular Biology, Vanderbilt University) purifièrent le complexe de Golgi de foie de bœuf. Cet organe volumineux fournissait suffisamment de matériel pour effectuer des analyses biochimiques sur la préparation purifiée (le Golgi ne représente qu’une faible proportion des protéines de la cellule). La préparation purifiée contenait 0,2% de l’activité galactosyltransférase de l’homogénat, c’est-à-dire qu’elle n’était que très faiblement représentative du Golgi. Néanmoins, dans l’article publié dans le Journal of Cell BiologyIsolation and characterization of Golgi membranes from bovine liver ») Rebecca Fleisher conclut que la galactosyltransférase est localisée dans le complexe de Golgi. La présence de glycosyltranférases dans cet organite fut confirmée par différents groupes de chercheurs.

Le trans-Golgi est un centre de tri des protéines

Comme je l’ai signalé dans un paragraphe précédent, l’empilement des citernes golgiennes est encadré par deux structures, le cis-Golgi et le trans-Golgi. Ce dernier compartiment se comporte comme un centre de tri du « cargo » (protéines, glycoprotéines, lipides et phospholipides) transitant du lieu de synthèse (le reticulum endoplasmique) vers la destination finale : granules de sécrétion (destination « par défaut » des protéines sécrétoires), granules d’exocytose, milieu extracellulaire (protéines sécrétées), lysosomes (hydrolases acides), membrane plasmique (destination par défaut des protéines membranaires intégrales). Entre le trans-Golgi et la membrane plasmique se trouve un espace qui est occupé par les granules de sécrétion, découverts par M. Heidenhain en 1883. Au cours d’études métaboliques, George Palade et James Jamieson (Rockefeller Institue for Medical Research) montrèrent que les acides aminés radioactifs injectés à l’animal s’accumulent dans ces granules (où ils sont incorporés dans les enzymes digestifs). La fonction des granules de sécrétion est de stocker le cargo avant décharge dans le milieu extérieur, déclenchée par un signal hormonal ; c’est la « sécrétion régulée » telle qu’elle existe dans les glandes digestives ou les glandes exocrines. Dans le pancréas, les enzymes digestifs (zymogènes) sont triés, empaquetés et compactés dans le trans-Golgi. Des vésicules de sécrétion, qui peuvent être très volumineuses, se forment alors par évagination de la membrane du trans-Golgi, suivie d’un processus de maturation. Sous stimulation hormonale, la membrane des granules matures fusionne avec celle de la cellule et le contenu (cargo) est déversé dans les canaux conduisant au tube digestif (exocytose). Il existe aussi une sécrétion non-régulée (« constitutive ») de granules d’exocytose. C’est le cas chez les ostéoclastes, des cellules spécialisées dans la résorption du tissu osseux, qui déchargent des hydrolases acides dans l’espace lacunaire.

Les hydrolases acides suivent un parcours particulier allant du reticulum endoplasmique aux lysosomes. Il fut établi à la suite de la découverte, en 1969, par Alain Rambourg, W. Hernandez et Charles Leblond (McGill University) que les chaînes oligosaccharidiques des hydrolases lysosomiales sont phosphorylées, et que le groupe phosphate est fixé sur un mannose. La synthèse débute sur des polysomes cytosoliques ; la portion amino-terminale du peptide qui émerge de la grosse sous-unité du ribosome porte une « séquence topogénique », le peptide signal dont la présence permet au polysome d’accoster la membrane du reticulum endoplasmique où la synthèse est menée à son terme. Les autres étapes du routage vers les lysosomes se déroulent dans le cis-Golgi et dans le trans-Golgi. Dans le premier compartiment, une séquence topogénique est ajoutée sous la forme d’un résidu mannose 6-phosphate en position terminale d’une chaîne oligosaccharidique (les hydrolases lysosomiales sont des glycoprotéines). Deux enzymes interviennent : une N-acétylglucosamine-phosphotransférase, qui transfert un GlcNAc-phosphate à partir d’un donneur (UDP-N-Acétylgucosamine, UDP-GlcNAc) sur un (ou plusieurs) résidu mannose ; une phosphodiestérase, qui retire le groupe GlcNAc. Le résidu mannosyl-phosphate ainsi démasqué est reconnu par un récepteur membranaire, (synthétisé dans le reticulum endoplasmique). Dans le trans-Golgi, les hydrolases acides sont délivrées aux lysosomes par des navettes de vésicules tapissées de clathrine. Le transfert est direct, ou indirect après passage par les endosomes.

Les chaînes oligosaccharidiques sont synthétisées dans le reticulum endoplasmique et le complexe de Golgi

Le pathologiste Joseph F.A. McManus, un pionnier de l’histochimie, mit au point au début des années 1940 la coloration à l’acide périodique et au réactif de Schiff. En 1948, il mit en évidence la présence de glycoprotéines dans le tissu rénal. En 1950, Charles P. Leblond (Department of Anatomy, McGill University) utilisa la technique de McManus pour colorer des coupes d’épithélium intestinal. Il observa un marquage de l’appareil de Golgi. Des observations similaires furent faites dans l’hypophyse, le rein et la thyroïde. En 1969, la coloration à l’acide périodique et au réactif de Schiff fut adaptée pour la microscopie électronique par Rambourg, Hernandez et Leblond. Des coupes de tissus soumises à une digestion par l’α−amylase (pour éliminer l’interférence par le glycogène présent des cellules) sont colorées avec le mélange acide chromique – acide phosphotungstique (ou périodique) – acide chromique et un sel d’argent. La coloration obtenue est limitée à une partie du complexe de Golgi ; un gradient de coloration s’établit du cis-Golgi au trans-Golgi. Les auteurs en conclurent que les glycoprotéines subissent une maturation avec addition séquentielle de sucres d’une citerne golgienne à la suivante. Cette hypothèse révolutionnaire fut formulée à l’époque où d’éminents microscopistes comme Albert Claude ou George Palade pensaient que le complexe de Golgi était un artefact de coloration.

Les recherches sur l’incorporation de résidus glycosylés dans les polypeptides reçurent une impulsion décisive avec la mise à la disposition des chercheurs d’un nouvel outil : l’autoradiographie combinée à la microscopie électronique. Après la découverte de la radioactivité artificielle par les physiciens Irène Curie et Frédéric Joliot (tous deux prix Nobel de chimie en 1935), les isotopes radioactifs firent leur l’apparition dans les laboratoires. Frédéric Joliot prédit l’intérêt de ces isotopes en biologie expérimentale. En 1934, le bombardement d’iode avec les rayons α du polonium émis dans le cyclotron du Collège de France permit d’obtenir l’isotope I123. Les premières tentatives de marquage de l’hormone thyroïdienne thyroxine furent entreprises sous l’égide de Joliot. Antoine Lacassagne (Laboratoire de Synthèse Atomique, Paris) essaya d’incorporer du polonium Po210 dans la paroi intestinale d’un animal. En 1937, Charles Leblond essaya de marquer les hormones thyroïdiennes en injectant de l’I128 à des animaux. La révélation se faisait par contact de coupes de tissu thyroïdien avec une émulsion photographique. Les résultats furent décevants en grande partie à cause de la brièveté de la demi-vie de l’I123 : 13 minutes environ.

La production de radioéléments artificiels atteignit sa vitesse de croisière sous l’égide d’un physicien de génie, Enrico Fermi (Los Alamos National Laboratory, prix Nobel de physique en 1938), aussi brillant en physique expérimentale qu’en physique théorique. Le bombardement de molécules cibles par des neutrons conduisit à la production d’isotopes du carbone (C14), du phosphore (P32) et du soufre (S35). Charles Leblond (McGill University, Montréal) reprit ses expériences de marquage, commencées au début des années 1940, avec un isotope de l’iode (I131) ayant une demi-vie de 8 jours. Pour révéler le marquage il disposait de plaques photographiques sensibles. Il parvint ainsi à montrer la présence des grains d’argent de l’émulsion photographique dans la zone des follicules thyroïdiens. La résolution étant faible (100 micromètres), le physicien Pierre Demers suggéra d’appliquer directement sur la coupe histologique l’émulsion photographique liquéfiée de la firme Eastman Kodak. La « coating technique » fut mise au point par Leblond, Léonard Bélanger, Rita Bogoroch, Beatrix Kopriwa. D’améliorations en perfectionnements on parvint, dans les années 1960, à l’autoradiographie semi-quantitative à haute résolution. Il devenait possible de localiser avec précision la position des grains d’argent et de les compter sur une émulsion d’épaisseur calibrée.

En 1964, Leblond et Marian Neutra incubèrent des coupes de tissu intestinal avec du 3H-glucose ou du 3H-galactose et observèrent la concentration du marquage à l’emplacement du complexe de Golgi des cellules caliciformes de la muqueuse intestinale. Ces cellules fabriquent les « mucines », des glycoprotéines à longues chaînes d’hydrate de carbones, découvertes en 1914 par Santiago Ramon y Cajal (Université de Madrid, prix Nobel de médecine ou physiologie en 1906). Les mucines forment une couche protectrice (cell coat) à la surface de la paroi intestinale et sont responsables du pouvoir lubrifiant du mucus. En 1977, Leblond ajouta une pierre à ce travail de pionnier en montrant, avec Gary Bennett, la présence de glycosyltransférases dans le complexe de Golgi.

La moitié des protéines des cellules eucaryotes sont des glycoprotéines. Ce sont des protéines portant au moins une chaîne oligosaccharidique (glycane) liée par une liaison covalente à un résidu d’acide aminé. La taille du glycane est limitée et sa séquence est non-répétitive. On distingue des protéines N-glycosylées, où le glycane est lié par une liaison β-N-osidique à un résidu asparagine (Asn) ; et des protéines O-glycosylées ou le glycane est lié par une liaison α−O-osidique à un acide aminé hydroxylé (sérine, thréonine, tyrosine, hydroxyproline, hydroxylysine). Dans les cellules, il existe des N-glycanes de type oligomannoside et des N-glycanes de type complexe. La portion interne du N-glycane est un penta-saccharide lié par une de ses extrémités à une Asn ; à l’autre extrémité sont branchées des ramifications périphériques variables en nombre et en longueur. Il existe une grande variété de glycoprotéines.

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Chaîne oligosaccharidique de type complexe liée à un résidu asparagine (Asn) d’une glycoprotéine. Cette structure présente dans des glycoprotéines de la membrane plasmique ou dans les glycoprotéines sécrétées est conservée de la levure à l’homme.

Chez les mammifères, les glycoprotéines sont présentes dans tous les tissus : récepteurs hormonaux, canaux ioniques, transporteurs, molécules d’adhérence de la membrane plasmique, chaperonnes, enzymes, furines, récepteur du mannose–6–phosphate, etc… Les cellules des muqueuses et des épithéliums sont protégées et lubrifiées par les muco-protéines (muco-polysaccharides) qu’elles sécrètent. Les glycoprotéines abondent dans la matrice extracellulaire, le plasma sanguin, les membranes des cellules eucaryotes et les compartiments intracellulaires délimités par une membrane : réticulum endoplasmique ou complexe de Golgi. Elles sont rares dans le cytosol et leur glycane ne comporte qu’une molécule de N-acétylglucosamine (GlcNAc) liée à un résidu sérine ou thréonine.

La membrane plasmique des bactéries est une bicouche phospholipidique, comme dans la plupart des cellules. Chez les eubactéries, la membrane plasmique est doublée sur sa face externe d’une structure macromoléculaire continue, pseudo-cristalline, formée de peptidoglycanes (muréines) ; ce sont des glycanes linéaires formés par l’association de deux sucres (N-acétyl glucosamine et acide N-acétylemuramique) et interconnectés par de courts peptides de trois à cinq résidus d’acides aminés. Les chaînes polysaccharidiques des protéoglycanes (ou peptidoglycanes) sont longues et leur séquence est répétitive. Les peptidoglycanes forment un réseau tridimensionnel servant de filet de protection à la cellule bactérienne. A la différence des cellules animale ou végétale, la cellule bactérienne est directement soumise aux variations de pression osmotique générées par le milieu environnant.

En 1964, Edward J. Sarcione (Roswell Park Memorial Institute, Buffalo) incorpora in vivo de la N-acétylglucosamine dans des protéines. L’année suivante, Janos Molnar, G.B. Robinson et Richard J. Winzler (Department of Biological Chemistry, University of Illinois College of Medicine) montrèrent que les protéines qui incorporent la N-acétylglucosamine sont liées à des polysomes ou à des microsomes. En 1968, Colvin M. Redman (New York Blood Center) établit que les protéines du sérum (dont la plupart sont des glycoprotéines) sont synthétisées sur des polysomes liés au reticulum endoplasmique des cellules hépatiques. En 1972, Redman et George Cherian montrèrent que l’incorporation de N-acétylglucosamine et de mannose dans les protéines se fait dans les microsomes rugueux et l’incorporation de galactose, dans les microsomes lisses. Les sucres sont ajoutés après décharge vectorielle complète du polypeptide à l’intérieur des vésicules microsomiales c’est-à-dire après que la chaîne polypeptidique fixée au ribosome et en cours d’allongement a franchi la barrière membranaire. Les résultats de Redman et Cherian seront confirmés par d’autres observations : les premières étapes de l’assemblage de l’oligosaccharide se déroulent à la face interne de la membrane du reticulum endoplasmique. La participation du complexe de Golgi dans la glycosylation des protéines fut mise en évidence en 1969 : Ronald R. Wagner et Morris A. Cynkin (Tufts University School of Medicine) observèrent le transfert de glucosamine 14C à partir d’UDP N-acétyl 14C glucosamine et James Morré (Department of Biological Sciences, Purdue University) puis H. Schachter décrivirent la présence de glycosyl transférases dans des préparations de Golgi de foie de rat.

Luis Leloir reçut une solide formation de biochimiste : à Cambridge, dans le laboratoire de Frederick Gowland Hopkins (prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1929), à Saint Louis, chez Carl F. Cori (prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1947) et à Columbia University dans le laboratoire de David E. Green. De retour à Buenos Aires, où Leloir (Instituto de Investigaciones Bioquímicas de la Fundacion Campomar) étudia le mode d’assemblage du tréhalose (un disaccharide formé de deux glucoses), du saccharose (un disaccharide formé d’un glucose et d’un fructose) et du glycogène (un polysaccharide de glucoses). Le glycogène est la forme de stockage du glucose dans les cellules animales, chez certains mycètes et certaines bactéries. En 1948, leloir constata que pour être transféré sur un autre sucre, le glucose doit être sous forme « activée », c’est-à-dire lié à un nucléotide sous forme d’uridine diphospho-glucose : UDP-O-Glc. A la suite de cette découverte, la recherche d’autres nucléotides donneurs de sucres conduisit, dans les années 1950, à la caractérisation d’uridine diphospho-N-acétylglucosamine (UDP-GlcNac), de guanosine diphospho-mannose (GDP-Man) ; d’adénosine diphosphoglucose (donneur de glucose pour la synthèse de l’amidon, la forme de stockage du glucose chez les végétaux chlorophylliens). Ces nucléotides-sucres sont présents dans le cytosol des cellules. Leloir reçut en 1970 le prix Nobel de chimie pour avoir décrit avec Carlos E. Cardini la voie biosynthétique du glycogène (Uridine-diphosphoglucose Pathway).

J’ai mentionné dans un paragraphe précédent l’existence des peptidoglycanes de l’enveloppe doublant la membrane plasmique des bactéries. Dans les années 1965-1966, différents groupes, parmi lesquels ceux d’A.N. Chatterjee (Indian Institute of Chemical Biology, Calcutta) et de Jack L. Strominger (Molecular and Cellular Biology, Harvard University) découvrirent que chez Staphylococcus micrococcus et chez Salmonella le franchissement de la membrane plasmique par les sucres met en jeu des intermédiaires lipidiques phosphorylés et formés d’une longue chaîne hydrocarbonée (55 atomes de carbone pour le bactoprénol : C55H92O). Le rôle d’intermédiaires lipidiques ne se limite pas à l’assemblage des peptidoglycanes et des liposaccharides de la paroi bactérienne. Ils interviennent aussi dans l’assemblage des glycoprotéines membranaires des cellules eucaryotes et des glycoprotéines sécrétoires. Après les premières étapes de la synthèse d’une chaîne oligosaccharidique, qui se déroulent dans le cytosol des cellules, l’oligosaccharide en cours d’assemblage doit franchir la barrière de la bi-couche lipidique. C’est là qu’interviennent des dérivés phosphorylés d’alcools à longues chaînes appelés poly-isoprénols. Dans les cellules eucaryotes, Luis Leloir et Nicolas H. Behrens ont découvert le dolichol, le plus long lipide membranaire connu (jusqu’à 105 atomes de carbone), formé par l’association de 17 à 21 unités isoprène. Dans la membrane du reticulum endoplasmique, où il est présent sous forme d’ester phosphorique, il sert d’ancre lipidique pour l’assemblage des N-glycanes avant leur transfert sur un résidu Asn de la protéine naissante. L’assemblage est un processus complexe appelé « cycle du dolichol». La première étape est le transfert de N-acétylglycosmine phosphorylée (P-GlcNAc) à partir d’un nucléotide-sucre :

Il se forme une liaison ester diphosphate riche en énergie ; c’est la phase d’« activation » du monosaccharide (ou de l’oligosaccharide).

Pour reconstituer les différentes étapes de la synthèse des oligosaccharides de type complexe – l’ordre d’assemblage des sucres et d’intervention des enzymes impliqués – il fallait disposer d’un système expérimental simple. Sondra Schlesinger, spécialiste de la génétique des bactéries et de la réplication des virus enveloppés à ARN comme le virus Sindbis, suggéra à Stuart Kornfeld (Washington University School of Medicine, St. Louis) d’utiliser le virus de la stomatite vésiculaire (VSV). Ce virus appartient à la famille des Rhaboviridae et provoque chez certains mammifères une forme d’influenza. Son génome à ARN code cinq protéines majeures parmi lesquelles la glycoprotéine G de l’enveloppe virale (VSV-G). Le virus peut être cultivé sur cellules ovariennes de hamster chinois et dans des cellules de mammifère en culture, infectées par le virus ou transfectées avec le gène (qui s’insère dans le génome de la cellule). Dans les cellules infectées ou transfectées, la synthèse des protéines cellulaires est détournée au profit de la production de protéines virales. VSV-G porte une chaîne oligosaccharidique de type N-glycane ; elle est synthétisée dans le reticulum endoplasmique et exportée. Il existe un gène VSV-G mutant, sensible à la température. Lorsque les cellules sont cultivées à 40°C la protéine synthétisée est mal conformée et ne franchit pas le « contrôle de qualité » dans le reticulum endoplasmique. Si l’on revient à 32°C (température permissive), la protéine mal repliée adopte la conformation normale, franchit le contrôle de qualité et passe du reticulum endoplasmique au complexe de Golgi. Le passage de la température permissive à la température restrictive bloque une étape de la voie sécrétoire ; on peut alors déterminer la composition de la chaîne glycanique à cette étape.

Les anticorps spécifiques anti VSV-G sont employés pour l’immunolocalisation au microscope. Le degré de résolution peut être augmenté en utilisant le gène hybride VSV-G – GFP (Green Fluorescent Protein). Les protéines vertes fluorescentes furent découvertes dans les cellules de la méduse Aequoria victoria par Martin Chalfie (Columbia University), Osamu Shimomura (Boston University School of Medicine) et Roger Y. Tsien (University of California, San Diego) dans les années 1960. Ils reçurent le prix Nobel de chimie en 2008. Tsien a élargi la gamme des longueurs d’onde d’émission utilisables en construisant des protéines fluorescentes modifiées émettant après excitation une lumière jaune, bleue ou violette. Le gène hybride VSV-G (normale ou mutée) – GFP est construit en fusionnant les deux gènes. On l’introduit par transfection dans le génome d’une cellule ; il devient alors possible de suivre par microscopie à fluorescence le déplacement de la protéine G d’un compartiment à l’autre. Le volume de la protéine hybride aurait pu perturber son cheminement le long de la voie sécrétoire ; à l’heureuse surprise des expérimentateurs, il n’en a rien été.

Le modèle expérimental basé sur l’utilisation du VSV a été largement utilisé en biologie cellulaire : en 1973, Harvey Lodish et David Baltimore (Department of Biology, Massachusetts Institute of Technology) ont étudié la biogenèse des glycoprotéines sécrétoires et des glycoprotéines de la membrane plasmique , du reticulum endoplasmique au complexe de Golgi et à la membrane plasmique. En 1978, Stuart Kornfeld l’utilisa pour reconstituer les étapes de la synthèse des oligosaccharides de type complexe. Deux outils se révélèrent d’une grande utilité : (i) les glycosidases qui effectuent des coupures spécifiques dans la chaîne oligisaccharidique en fonction de sa composition en sucres (la composition varie dans les différents compartiments de la voie sécrétoire) ; (ii) la tunicamycine, un antibiotique nucléosidique qui inhibe la première étape de la biosynthèse des chaînes glycaniques : le transfert de GlcNAc-1-P de l’UDP-GlcNAc au dolichol phosphate, par la GlcNAc-phosphotransférase.

La biosynthèse des oligosaccharides de type complexe se déroule dans les deux premiers compartiments de la voie sécrétoire, le reticulum endoplasmique et le complexe de Golgi. Les premières étapes se déroulent sur la face cytosolique de la membrane du reticulum endoplasmique. Les donneurs de sucres sont des nucléotides ; l’accepteur est le dolichol phosphate, une ancre lipidique insérée dans la membrane. Les réactions de transglycosylation sont catalysées par des glycosyltransférases membranaires qui agissent séquentiellement : (i) la N-acétyl-glucosaminyl phospho-transférase transfert un GlcNAc-P sur le dolichol phosphate (il se forme une liaison ester pyrophosphate « riche en énergie ») ; (ii) la N-acétyl-glucosaminyltransférase et la mannosyltransférase transfèrent du GlcNAc et du Man sur le résidu GlcNac lié au dolichol pyrophosphate. L’oligosaccharide assemblé sur le dolichol phosphate subit une translocation dans le réticuloplasme ou d’autres enzymes (mannosyl-transférases et glucosyl transférases) achèvent la synthèse de l’oligosaccharide qui comporte 14 sucres : 2 GlcNAc, 9 Man et 3 glucoses (Glc).

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Chaîne oligomannosidique liée au dolichol pyrophosphate. Ce type de chaîne est présent dans le reticulum endoplasmique.

A la face luminale du reticulum endoplasmique, un complexe enzymatique membranaire, l’oligosaccharyltransférase, transfert l’oligosaccharide du dolichol-phosphate sur un résidu asparagine d’un polypeptide en cours d’élongation. Ce transfert « cotraductionnel » se fait à proximité du site où le polypeptide émerge du ribosome lié à la membrane. Le résidu Asn sur lequel se fait le transfert occupe la position centrale d’un tripeptide (séquence « consensus »).

Avant de quitter le reticulum endoplasmique les protéines subissent un contrôle de qualité

L’oligosaccharide transféré sur le polypeptide naissant subit une phase d’élagage. Des sucres sont retranchés de la chaîne à 14 sucres : des glycosidases retirent successivement un glucose (glucosidase I) puis deux glucoses (glucosidase II) et un mannose (mannosidase). La nécessité de cette phase d’élagage suivant immédiatement l’assemblage des oligosaccharides a intrigué les biochimistes. La logique de ce processus de démolition de ce qui vient juste d’être assemblé n’apparut pas de prime abord. Par la suite, on établit que la présence de l’oligosaccharide à 14 sucres est indispensable à la reconnaissance des glycoprotéines par des lectines localisées dans le réticuloplasme. Les lectines (calnexine liée à la membrane, calréticuline dans l’espace luminal) reconnaissent le Glc périphérique ou d’autres motifs saccharidiques. Les lectines agissent en fixant les glycoprotéines ce qui prolonge leur séjour dans le réticuloplasme et laisse le temps aux « chaperonnes » d’assister le processus de « repliement » correct des polypeptides et d’acquisition des structures secondaires (hélice α, feuillet plissé β) et tertiaires. Le mécanisme de repliement et d’oligomérisation des protéines néo-synthétisées dans le reticulum endoplasmique, est une étape indispensable avant que les protéines sécrétoires puissent quitter cet organite et migrer dans le compartiment suivant. Cette étape et son mécanisme furent élucidés par le groupe d’Harvey Lodish (Department of Biology, Massachusetts Institute of Technology).

Les chaperonnes BIP (Binding Immunoglobulin Protein, la plus abondante) et GRP94 (94K Glucose-regulated Protein) appartiennent à la famille des protéines de choc thermique ; elles sont produites en grande quantité lorsque la cellule est soumise à une élévation de température du milieu. Selon la nature du sucre périphérique, des chaperonnes différentes agissent de façon séquentielle dans l’espace luminal. Un élément important de l’acquisition de la structure tertiaire est l’établissement de pont disulfure entre résidus. Cette étape est catalysée par la protéine disulfure isomérase, les ERp57 et ERp72 (Endoplasmic Reticulum Protein 57 et 72), des oxydoréductases de la famille de la thiorédoxine. Lectines et chaperonnes sont les acteurs indispensables du « contrôle de qualité » des glycoprotéines avant leur sortie du reticulum endoplasmique. Seules les glycoprotéines ayant acquis leur structure tridimensionnelle peuvent, soit devenir des résidentes permanentes du reticulum, soit accéder au compartiment suivant. Celles qui sont recalées à ce contrôle de qualité sont partiellement déglycosylées et dirigées à l’extérieur du reticulum endoplasmique, vers le cytosol, pour y être dégradées par le complexe protéolytique du protéasome. Il convient de souligner l’importance de ce contrôle de qualité. L’apparition à la surface des cellules d’une glycoprotéine de conformation anormale peut provoquer le déclenchement d’une réaction immunitaire dévastatrice. Près de la moitié des glycoprotéines des cellules eucaryotes sont glycosylées dans le réticulum endoplasmique et subissent le contrôle de qualité. Une noria de vésicules assure le transport des glycoprotéines ayant subi avec succès le contrôle de qualité du réticulum endoplasmique au complexe de Golgi où se déroule une deuxième phase d’élagage.

Le complexe de Golgi est un organite atypique

Les organites subcellulaires comme le noyau, les mitochondries, les lysosomes, les peroxysomes, les chloroplastes sont dotés d’un équippement enzymatique qui leur permet d’accomplir leur fonction. Dans un hépatocyte, toutes les mitochondries possèdent les protéines nécessaires au fonctionnement du cycle de Krebs. C’est ce que Christian de Duve et Jacques Berthet ont appelé le postulat d’homogénéité, et qui leur a permis d’interpréter les résultats du fractionnement subcellulaire. Dans le cadre général de la relation entre structure et fonction, le complexe de Golgi est un cas particulier : (i) il est composé de saccules et de vésicules morphologiquement individualisées; (ii) il possède un riche équippement enzymatique : la N-glycosylation et l’O-glycosylation des protéines et des lipides, font intervenir à elles seules plus de cent glycosyltransférases différentes. Le nombre élevé d’enzymes golgiens s’explique en partie par le fait que les enzymes sont spécifiques des formes stéréoisomériques des sucres, notamment des formes anomériques α ou β (par référence à la position du groupe OH par rapport au plan de la molécule) : il y a, par exemple, une GlcNAc β-1,4 galactosyl-transférase, une Gal α-1,3 galactosyl-transférase, une GlcNAc α-1,3 fucosyl-tranférase, une Gal α-1,2 fucosyl-tranférase. L’acide sialique en périphérie de la chaîne oligosaccharidique est lié à un galactose par une liaison α−2,6 entre le C2 en conformation α de l’acide sialique et le C6 du galactose. La multiplicité des liaisons présentes dans les oligosaccharides est en partie responsable de la multiplicité des transférases. Aux nombreuses tranférases, il faut ajouter les enzymes catalysant l’élagage des sucres : mannosidases et autres glycosydases qui sont soumises aux mêmes contraintes d’isomérie.

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Lipoprotéines dans l’hépatocyte de rat. Elles sont visibles sous forme de granules d’environ 40 nanomètres de diamètre, denses aux électrons, dans le reticulum endoplasmique lisse, rarement dans le reticulum rugueux, dans les vésicules de transport entre reticulum et cis-Golgi, à l’extrémité des citernes cis, médiane et trans, dans le trans-Golgi et les granules de sécrétion.

D’emblée, la notion d’une distribution non uniforme des enzymes dans le complexe de Golgi s’est imposée. Pour mettre en parallèle le caractère séquentiel de l’addition (ou du retrait) des sucres de la chaîne saccharidique et la migration des protéines et des lipides, synthétisés dans le reticulum endoplasmique, de la face cis vers la face trans, les chercheurs envisagèrent une spécificité enzymatique différente pour les citernes cis, médiane ou trans. L’aspect dynamique de l’organite étant mis en parallèle avec la spécificité biochimique des citernes un certain nombre de questions se posaient: comment s’effectue le passage d’une citerne à la suivante ? Quel est le rôle joué par les nombreuses vésicules qui entourent les citernes ? Deux approches expérimentales ont été suivies pour tenter d’établir la localisation intra-golgienne des enzymes. John Bergeron et Kathryn Howell (The Rockefeller University) utilisèrent l’approche “classique” du sous-fractionnement par centrifugation en gradient de densité d’une préparation de Golgi de rats ayant reçu une injection d’ethanol. Ce traitement provoque une surcharge du complexe en lipoprotéines de type Very Low Density Lipoproteins (VLDL). Leur faible densité d’équilibre était censée provoquer la séparation des structures contenant des VLDL dans la zone de faible densité du gradient. Les résultats de ces travaux furent décevants; la comparaison de la composition enzymatique des sous-fractions légères et lourdes n’a pas permis d’associer une transférase particulière à une sous-fraction golgienne.

L’approche morphologique faisant appel à l’immunolocalisation en microscopie électronique a fourni des indications qualitatives: les glycosidases qui retirent les résidus Man de l’oligosaccharide central :

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avec formation de :

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ont été localisées dans le cis-Golgi. De même, cette approche a permis de préciser le site d’action des mannosidases (citernes cis et médiane), des N-acétylglucosaminyl-transférases (citernes médianes), des galactosyl-transférases et des sialyl-transférases (citernes trans), de la sulfotransférase qui catalyse l’estérification par un groupe sulfate de la fonction phénol des résidus tyrosine du fibrinogène (trans-Golgi).

Dans les polyholosides comme les glycosaminoglycanes de la matrice extracellulaire, le groupe sulfate estérifie une fonction alcool d’un sucre. Le donneur de groupes sulfate est le phospho-adénosine phosphosulfate (PAPS). Des enzymes associés au complexe de Golgi catalysent la synthèse d’une variété de polysaccharides et dans les cellules végétales, des pectines, ainsi que l’acylation des protéines virales.

Voie sécrétoire

Le complexe de Golgi est le compartiment central de la voie sécrétoire et de l’intense trafic de vésicules transportant des protéines, des lipides et des phospholipides de leur lieu de synthèse – le reticulum endoplasmique –- vers le compartiment où ils exerceront leur fonction : membrane plasmique (récepteurs hormonaux, transporteurs, canaux ioniques), endosomes, lysosomes (pompe à protons, transporteurs, hydrolases), compartiment extracellulaire (où aboutissent la majorité des protéines synthétisées dans le reticulum). La sécrétion extracellulaire est un phénomène vital chez les êtres vivants des bactéries à l’homme. La plupart des cellules de mammifères synthétisent en permanence et libèrent dans le milieu extracellulaire des peptides et des protéines nécessaires à la croissance (hormones), à la digestion (zymogènes), à la transmission de l’influx nerveux (neurotransmetteurs et autres messagers chimiques établissant la communication de cellule à cellule), à la régulation de la glycémie (insuline) et à la défense immunitaire (antigènes). La voie sécrétoire a aussi pour fonction d’ajuster en permanence la composition de la membrane plasmique par addition et retrait de lipides et de récepteurs protéiques membranaires.

Le pancréas figure parmi les organes à activité sécrétoire élevée. Cette glande annexe du tube digestif (duodénum) est formée de tissu exocrine représentant 85% de la masse de l’organe et de tissu endocrine : les îlots de Langherans, sécrètant une variété d’hormones. Les îlots de Langherans (environ 3% de la masse du pancréas) sont composés de cellules β (synthèse et exportation d’insuline, de protéine C, d’amyline ou Islet Amyloid Polypeptide) et de cellules α (glucagon et somatostatine). La glande exocrine est constituée d’acinis de cinq à dix cellules qui synthétisent et exportent des enzymes, le plus souvent sous forme de précurseurs inactifs. Après activation dans l’intestin grêle, les pro-enzymes deviennent des enzymes actifs digérant les acides nucléiques (DNAse, RNAse), les protéines (trypsinogène, chymotrypsinogène, procaboxypeptidases, élastase), les lipides (lipase, phospholipase A2) et les hydrates de carbone (amylase). Les cellules acineuses sont polarisées : le noyau et le reticulum endoplasmique occupent la portion basale ; le complexe de Golgi et les granules de sécrétion (granules de zymogènes) occupent le pôle apical. Les sécrétions pancréatiques sont déclenchées par stimulation hormonale et sous influence nerveuse et nutritionnelle. Le contenu des granules de sécrétion se déverse au pôle apical de la membrane plasmique dans des canalicules aboutissant au canal pancréatique (canal de Wirsung) et à la portion antérieure de l’intestin grêle (duodénum).

Des biologistes ont remis en cause le caractère obligé du passage par la voie sécrétoire ; des protéines transiteraient du réticulum endoplasmique vers la membrane plasmique en court-circuitant le complexe de Golgi. Les protéines de choc thermique HSP 150 de la levure Saccharomyces cerevisiae, le Voltage-gated K+ channel et la protéine régulatrice Kv Channel Interacting Protein de l’extrémité dendritique des neurones se déplacent du réticulum endoplasmique vers leur destination finale en l’absence de vésicules COP fonctionnelles.

Traffic intracellulaire: exocytose, endocytose

Le cytoplasme des cellules eucaryotes renferme un système membranaire complexe impliqué dans les mécanismes d’exocytose et d’endocytose et, d’une façon plus générale, dans le trafic intracellulaire mettant en connexion les uns avec les autres tous les organites délimités par une membrane. L’exocytose est le mécanisme d’exportation des protéines sécrétoires ; il met en jeu le reticulum endoplasmique, le complexe de Golgi, les granules de sécrétion et la membrane plasmique. Dans les années 1960, l’autoradiographie fut utilisée par George Palade, Philipp Siekevitz, Lucien Caro et James Jamieson (Rockefeller University) pour étudier la voie sécrétoire. Les cellules des acini du pancréas (de cobaye), synthétisent les enzymes pour la digestion des aliments. Des expériences de radio-marquage (pulse chase experiments) mirent en évidence le parcours de ces protéines de leur lieu de synthèse jusqu’à l’extérieur de la cellule acineuse. Après injection d’acides aminés radioactifs à des cobayes, le pancréas était prélevé à différentes périodes de temps après injection. Des fragments de tissu furent fixées à la glutaraldéhyde et coupés au microtome. L’autoradiographie révéla le trajet du traceur radioactif le long de la voie sécrétoire : reticulum endoplasmique – complexe de Golgi – grains de zymogène, où les proenzymes s’accumulent avant leur exportation dans le tractus digestif. La sécrétion pancréatique étant une sécrétion régulée, l’expulsion est déclenchée par un messager hormonal.

Le reticulum endoplasmique est le premier compartiment de la voie sécrétoire (voir paragraphe précédent). C’est le compartiment où sont synthétisés les protéines et les lipides. Ce matériel est transporté vers des compartiments situés en aval par des vésicules qui naissent par bourgeonnement de la membrane du reticulum. Le matériel transporté est sélectionné; cela a été démontré avec un cargo suffisament volumineux pour être visible à l’examen au microscope électronique. Le sort du cargo a pu être suivi chronologiquement. Comment s’opère la sélection ? Grace à des protéines de la face externe des vésicules qui remplissent une double fonction : (i) recruter dans l’espace luminal les protéines solubles ou membranaires qui vont transiter vers le compartiment suivant ; (ii) faciliter le phénomène de bourgeonnement en provoquant la curvature de la membrane. Le recrutement implique des interactions protéine-protéine du type ligand-récepteur. Ces protéines portent le nom de COP (COat Protein complex) accompagné d’un chiffre romain : I ou II. COP I est un heptamère. Le fonctionnement des cotamères COP est régulé par les protéines ARF (ADP Ribosylation Factor), une famille de protéines de la superfamille des protéines régulatrices RAS (Rat Sarcoma). ARF existe sous deux formes : ARF-GDP (inactive) ou ARF-GTP (active), ce qui implique l’intervention de GTPases dans la régulation du phénomène de recrutement du cargo. Le transport antérograde du reticulum endoplasmique rugueux vers le cis-Golgi et du cis-Golgi vers le trans-Golgi est assuré par des vésicules tapissées de COPII. Le transport rétrograde du cis-Golgi vers le reticulum endoplasmique est assuré par les vésicules à COPI dont le rôle a été découvert en 1996 par Randy W. Schekman (University of California at Berkeley) et par les groupes de Lelio Orci (Département de Morphologie) et de Pierre Cosson (Faculté de Médecine, Université de Genève).

La question s’est posée d’emblée de savoir comment une vésicule issue d’un compartiment « donneur » trouve sa voie vers le compartiment « accepteur » auquel elle est destinée. Quel est le mécanisme assurant l’accostage spécifique de la vésicule au compartiment accepteur ? Par quel mécanisme une vésicule issue du reticulum endoplasmique accoste-t-elle à la membrane d’une citerne golgienne plutôt qu’à une autre (mitochondriale, lysosomiale, peroxysomiale) ? En 1993, James E. Rothman et ses collaborateurs (Rockefeller Research Laboratory, Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, New York) mirent en évidence le rôle de facteurs sensibles à la N-éthylmaléimide, un réactif des groupes thiol. Ces facteurs sont des protéines SNARE (Soluble N-éthylmaleimide-sensitive-factor Attachment protein REceptor). Ces protéines transmembranaires appartiennent à une superfamille ; leur séquence et leur structure tridimensionnelle sont très conservées. La reconnaissance s’effectue entre v-SNARE (vesicular-SNARE), des protéines riches en arginine de la membrane des vésicules et t-SNARE (target-SNARE), des protéines riches en glutamine de la membrane du compartiment accepteur. L’interaction entre protéines complémentaires v-SNARE et t-SNARE permet de vaincre la barrière énergétique empêchant la fusion spontanée des membranes. Le matériel cargo contenu dans les vésicules est déversé dans l’espace luminal ou dans la membrane du compartiment accepteur.

Quel est le mécanisme, à l’échelle moléculaire, qui permet au compartiment donneur de conserver son intégrité biochimique alors qu’il en émerge continuellement des vésicules destinées au compartiment accepteur ? Si le compartiment donneur n’est pas rapidement vidé de sa substance, c‘est grâce au transport rétrograde par les vésicules COPI. En outre, le transport rétrograde renvoie vers le reticulum endoplasmique les protéines mal formées ayant échappé à la sanction du contrôle de qualité dans le reticulum endoplasmique. Ces protéines constituent un tel risque potentiel pour la cellule qu’il existe un second contrôle de qualité dans le complexe de Golgi. Les protéines mal formées sont ainsi efficacement éliminées par le double contrôle. L’étude à l’échelle moléculaire du mécanisme de transport intracellulaire bénéficie de l’apport de la nouvelle technique d’imagerie à haute résolution et de la génomique, qui permettent de détecter une molécule et de suivre son parcours du reticulum endoplasmique jusqu’à l’exocytose.

L’endocytose est le mécanisme par lequel les cellules de mammifères ou les êtres unicellulaires intériorisent les molécules nutritives capturées dans le milieu environnant et nécessaires à leur développement. On distingue trois types d’endocytose (voir plus loin). Les vésicules d’endocytose tapissées de clathrine se forment à partir de la membrane plasmique ; elles s’en détachent et fusionnent entre elles dans le cytosol pour former des endosomes précoces dont le contenu est voisin de la neutralité (pH 7,4). Il s’acidifie progressivement par le jeu de pompes à protons transportées par vésicules depuis le complexe de Golgi et insérées dans la membrane endosomale. Les molécules internalisées par endocytose sont triées dans les endosomes et dirigées vers diverses destinations, dont les lysosomes pour les protéines et les petites molécules (où elles sont dégradées).

La voie endocytaire permet de faire pénétrer dans la cellule les complexes trop volumineux pour emprunter la voie des transporteurs de la membrane plasmique. C’est ainsi que les lipoprotéines (Low Density Lipoproteins) chargées en cholestérol ou la transferrine, une β-globuline chargée de deux atomes de fer à l’état ferrique, sont intériorisées par endocytose à récepteurs. Ce type d’endocytose permet aux cellules de maintenir une forme d’homéostasie en récupérant des protéines et des lipides sécrétés dans le milieu extracellulaire. Ces molécules sont captées par des récepteurs spécialisés de la surface cellulaire. L’endocytose se déroule ensuite selon le processus décrit plus haut : internalisation dans des vésicules formées par invagination de la membrane plasmique, tri, groupement en « pools » dans les endosomes tardifs (pH 6,5), dégradation dans les lysosomes. A la fin du processus, les récepteurs sont renvoyés à la membrane plasmique (recyclage). Les deux autres types d’endocytose sont la phagocytose et la pinocytose. Le terme phagocytose désignait à l’origine le processus de destruction des bactéries par les phagocytes, découvert en 1882 par Ilya Ilitch (Elie) Metchnikov (prix Nobel de médecine ou physiologie en 1908). D’abord appliqué aux seuls phagocytes (une catégorie de leucocytes), le terme a été appliqué au phénomène de capture de particules solides par les cellules. La pinocytose est le processus non spécifique d’internalisation de liquide extracellulaire dans des vésicules de petite taille.

Un modèle de structure pour le complexe de Golgi

« Chaque fois que nous entendrons dire : de deux choses l’une, empressons-nous de penser que, de deux choses, c’est vraisemblablement une troisième. »

Jean Rostand

Dans la voie sécrétoire, le complexe de Golgi occupe la position centrale. Pour rendre compte des données expérimentales sur le transit à travers cet organite, deux modèles furent envisagés. Premier modèle : le cis-Golgi se forme par agrégation et fusion de vésicules COP-II issues du reticulum endoplasmique rugueux et transportant du matériel nouvellement synthétisé (cargo). Cette citerne et son cargo se déplaceraient en bloc jusqu’au trans-Golgi perdant au passage certains enzymes et en gagnant d’autres. Des vésicules COP-I prennent en charge le recyclage des protéines et des enzymes golgiens vers la citerne placée en amont de la citerne en cours de migration. La composition enzymatique de celle-ci se modifie au fur et à mesure de sa progression. Elle atteint sa pleine maturation et devient le trans-Golgi qui disparaît en donnant naissance aux vésicules sécrétoires. L’idée de ce modèle remonte à l’hypothèse de la maturation, proposée dans les années 1960 par Hilton Mollenhauer et James D. Morré. Le second modèle apparut dans les années 1980 : les citernes seraient des structures permanentes et stables conservant leur équipement enzymatique spécifique. Seul le cargo se déplace, véhiculé d’un compartiment golgien au suivant par des navettes de vésicules COP-I. Les vésicules transportant des protéines sécrétoires se meuvent en direction antérograde, vers le trans-golgi ; d’autres vésicules COP-I se déplacent dans le sens rétrograde pour ramener à leur saccule d’origine les protéines golgiennes impliquées dans le trafic à travers le Golgi.

Bien que le premier modèle soit celui qui rallie la préférence, aucun des deux modèles n’est en mesure de rendre compte de la totalité des faits. Chaque modèle est en accord avec un certain nombre d’observations et en contradiction avec d’autres. Il faut d’ailleurs souligner que les deux modèles ne s’excluent pas totalement l’un l’autre ; on pourrait imaginer une coexistence des deux mécanismes, le transport antérograde se faisant par migration des citernes et le transport rétrograde, par vésicules. Une façon de trancher entre les deux options eut été de dissocier et de séparer les composants d’une préparation purifiée de Golgi et d’en faire l’analyse biochimique. Comme je l’ai déjà mentionné à propos des travaux effectués dans le laboratoire de George Palade (Rockefeller Institute), toutes les tentatives en ce sens ont échoué. La technique du fractionnement subcellulaire quantitatif, qui a fourni de si bons résultats avec les organites « classiques », est inapplicable au Golgi. Elle atteint ici sa limite. Seules les approches morphologique (microscopie confocale tridimensionnelle sur cellules vivantes, immuno-microscopie à fluorescence) et génétique ont fourni des informations. Très vite, il s’avéra qu’aucun des deux modèles proposés ne pouvait rendre compte de toutes les observations. Il fallut donc en imaginer d’autres.

Dans une variante du modèle de progression et maturation des citernes un rôle est attribué aux connections tubulaires entre citernes – visibles dans les structures tridimensionnelles les plus récentes. Ces connections joueraient un rôle dans le trafic bidirectionnel mentionné plus haut. Un autre modèle, basé sur des données cinétiques de sortie du cargo, envisage le Golgi comme une structure unique formée de compartiments distincts (identifiés par microscopie à fluorescence) fonctionnant indépendamment l’un de l’autre. Un modèle récent fait intervenir des protéines monomériques G (Rab). Les Rab sont des GTPases appartenant à la super famille des proto-oncogènes Ras. Ces molécules régulatrices et ubiquitaires interviennent (avec d’autres facteurs) dans tous les trafics intracellulaires entre compartiments membranaires : sélection du cargo, formation des vésicules à partir du compartiment donneur, fusion avec la membrane du compartiment receveur.

Avec le problème du choix d’un modèle de structure on se retrouve dans la situation que la recherche golgienne a connu à ses débuts : une très abondante littérature dont il risque de ne subsister in fine que peu de choses. Aucune des hypothèses avancées ne parvient à rendre compte de tous les faits : polarité morphologique et enzymatique, recyclage des enzymes résidents du Golgi, rôle des vésicules COPI, COPII et des tubules dans les migrations antérograde et rétrograde etc… Les approches expérimentales mises en œuvre étant le plus souvent non-quantitatives et, au mieux, semi-quantitatives, il sera difficile de trancher entre les différents modèles et d’arriver à une conclusion définitive.

Peptide signal : « Lost in translation »

Dans les années 1960, George Palade, Colin M. Redman, David D. Sabatini, Lewis Greene et Yutaka Tashiro (The Rockefeller University) étudièrent la synthèse des protéines sécrétoires dans les microsomes rugueux, commencée au milieu des années 1950 avec Philip Siekevitz. Ils incorporaient un acide aminé marqué au 14C dans la séquence d’enzymes digestifs (ou de leurs précurseurs), fractionnaient le tissu et examinaient les fractions au microscope électronique. Lucien Caro et James Jamieson utilisèrent l’autoradiographie de coupes de tissu pancréatique. Ils montrèrent que l’α–chymotrypsinogène (proenzyme de la chymotrypsine sécrétée dans le tractus digestif) est synthétisé dans les microsomes pancréatiques rugueux; que l’amylase (un enzyme sécrété par le pancréas et les glandes salivaires) est synthétisée par les ribosomes liés à la membrane et déchargée “vectoriellement” dans le lumen du reticulum endoplasmique. Ces résultats soulevèrent un certain nombre d’interrogations : Quelle est la signification de l’existence de deux pools de ribosomes ? Quels sont les rôles respectifs des ribosomes libres dans le cytosol et des ribosomes liés à la membrane du reticulum endoplasmique ? Quel est le facteur qui oriente la synthèse protéique vers les ribosomes liés plutot que vers les ribosomes cytosoliques ? Quelle est la nature de la liaison du ribosome à la membrane ? Comment un polypeptide formé majoritairement de l’assemblage d’acides aminés hydrophiles traverse-t-il la bicouche phospholipidique hydrophobe de la membrane ?

En 1966, David Sabatini, Colin Redman et Gunter Blobel (The Rockefeller University) comparèrent l’efficacité de solutions de chlorure de potassium, de pyrophosphate de sodium ou d’éthylène diamine tétra-acétate (EDTA) pour détacher les ribosomes par lavage de microsomes rugueux. Ces solutés ont tous pour effet de déplacer ou de chélater le Mg2+, un cation dont la présence est nécessaire à l’ancrage du ribosome à la membrane. Après centrifugation, les ribosomes, dont un certain nombre sont dissociés en grosse et petite sous-unités, sont recueillis dans le surnageant. Sabatini découvrit l’effet de la puromycine ajoutée aux solutions salines: la structure de cet antibiotique rappelle celle de l’extrémité 3’ d’un aminoacyl ARNt ; il se fixe sur le site P du ribosome. La chaîne peptidique naissante est transférée sur le site P où elle se lie à la puromycine. La phase d’élongation avorte et le polypeptide lié à la puromycine se détache prématurément du ribosome pour être déchargé dans la lumière du reticulum endoplasmique. Un traitement combiné à la puromycine – chlorure de potassium détachait la quasi totalité des ribosomes liés. Ces travaux aboutirent à d’intéressantes conclusions : (i) les ribosomes ont la même composition, qu’ils soient libres dans le cytosol ou liés à la membrane ; (ii) le traitement à l’EDTA détache d’abord les petites sous-unités puis une certaine proportion de grosses sous-unités. C’est donc la grosse sous-unité qui est en contact avec la membrane du réticulum endoplasmique. La chaîne polypeptidique naissante et le magnésium jouent un rôle dans la liaison du ribosome à la membrane ; (iii) la décharge vectorielle du polypeptide dans le lumen se fait probablement par un canal transmembranaire. Ce canal pourrait être en continuité avec celui qui traverse la grosse sous-unité et qui fut observé en 1966 au microscopie électronique après coloration négative par David Sabatini, Yutaka Tashiro et George Palade.

A la suite de ces observations, David Sabatini et Günter Blobel posèrent en 1971 l’hypothèse que la liaison du ribosome à la membrane du reticulum endopasmique dépend de la présence d’un “signal” porté par la protéine en cours de synthèse (hypothèse du signal, Signal Hypothesis). Plusieurs groupes, travaillant indépendamment les uns des autres, montrèrent que dans un système acellulaire de synthèse protéique, les protéines sécrétoires sont synthétisées sous forme d’un précurseur plus long que la protéine mature. En 1972, Cesar Milstein (Department of Biochemistry, Cambrige University) – l’inventeur avec Georges Köhler des anticorps monoclonaux – fit l’observation que la chaîne légère d’immunoglobuline[1] IgG synthétisée in vitro dans un système acellulaire était plus longue que la chaîne « normale »; la différence de taille correspondait à un peptide de 2,3 kilodaltons. En présence de microsomes ajoutés au système acellulaire la protéine avait la taille normale. Milstein formula l’hypothèse que l’immunoglobuline était synthétisée sous forme d’un précurseur plus long que la chaîne légère et qu’avant d’être sécrétée par le plasmocyte, la séquence additionnelle était excisée par une peptidase présente dans les microsomes. Cette interprétation fit l’objet de critiques: le peptide additionnel était un artefact des systèmes de synthèse protéique en milieu acellulaire (lysat de réticulocytes de lapin, extrait de germes de blé). Les résultats de Milstein furent confirmés par ceux de Philip Leder (Laboratory for Molecular Genetics, National Institute of Health), de Susumi Tonegawa et Maria Irene Baldi (Basel Institute for Immunology) et d’Israel Schechter.

Pour démontrer de manière irréfutable la validité de l’hypothèse du signal et couper court à toutes les critiques, il fallait parvenir à mettre au point un système acellulaire combinant synthèse protéique et translocation. Le premier terme de l’équation ne posait pas de problème: dans un système de synthèse protéique in vitro (des réticulocytes de lapin programmés par de l’ARNm de myélome de la souris) on obtenait un produit de traduction plus long que la chaîne légère d’immunglobuline sécrétée. Le second terme était plus difficile à résoudre. Le franchissement par le polypeptide de la membrane du reticulum endoplasmique (translocation) se fait pendant la synthèse protéique (translocation cotraductionnelle[2]). Or, l’addition de microsomes dans le milieu de traduction inhibait la synthèse protéique. Gunter Blobel et Bernhard Dobberstein (The Rockefeller University) unirent leurs efforts pour résoudre ce problème. Ils découvrirent après des années de tatonnements que les microsomes de pancréas de chien n’exercent pas d’effet inhibiteur. Le produit synthétisé in vitro en présence de microsomes avait la taille de l’immunoglobuline sécrétée. Il était déchargé à l’intérieur des vésicules comme le montrait son inaccessibilité aux protéases ajoutées dans le milieu. La différence de taille entre les immunoglobulines synthétisées en absence ou en présence de microsomes correspondait à un peptide d’une vingtaine d’acides aminés situé à l’extrémité amino-terminale[3]. Les résultats du séquençage indiquèrent que la partie centrale du peptide contenait une majorité d’acides aminés hydrophobes.

Des données d’ordre génétique vinrent étayer l’hypothèse du signal. L’invertase, un enzyme de la muqueuse intestinale qui catalyse l’hydrolyse du saccharose, existe sous deux isoformes : une forme cytoplasmique et une forme sécrétée. Les deux ont la même séquence primaire, mais le gène codant pour la forme sécrétée possède un exon supplémentaire spécifiant un peptide amino-terminal. L’immunoglobine M possède une isoforme membranaire et une isoforme sécrétée portant un peptide signal aminoterminal. Le gène codant l’isoforme membranaire possède une séquence codant un peptide signal et un exon additionnel spécifiant la séquence hydrophobe d’un peptide transmembranaire à l’extrémité carboxy-terminale de l’immunoglobine M.

Particule de reconnaissance du signal

Dans les cellules eucaryotes, environ un tiers des protéines sont synthétisées dans le reticulum endoplasmique ; elles en deviennent des résidents permanents ou sont dirigées vers d’autres destinations. Pour atteindre l’organite auquel elles sont destinées, les polypeptides portent une étiquette, un signal d’adressage, un code postal en quelque sorte. Lorsqu’ils formulèrent l’hypothèse du signal, Blobel et Sabatini avaient prédit que le signal localisé à l’extrémité 5’-terminale de l’ARNm (qui code l’extrémité N-terminale du polypeptide) serait reconnue par un facteur soluble présent dans le cytosol, lui-même reconnu par un récepteur membranaire favorisant l’accostage du ribosome sur la membrane.

Dans un système in vitro couplant synthèse protéique et décharge cotraductionnelle du polypeptide, la capacité de translocation des microsomes est abolie par deux types de traitement: le lavage par une solution saline ou une attaque protéolytique. En 1978, Graham Warren et Bernhard Dobberstein (European Molecular Biology Laboratory) restorèrent la capacité de translocation de microsomes lavés par addition de l’extrait salin. Le facteur présent dans l’extrait fut identifié en 1980 par Peter Walter et Gunter Blobel (The Rockefeller Institute) et baptisé « Particule de reconnaissance du signal » (Signal Recognition Particle, SRP). Chez les eucaryotes, cette machine moléculaire de forme allongée contient 6 polypeptides (72, 68, 54, 19, 14 et 9 kDa) avec un site de fixation du GTP, et un ARN de 300 nucléotides (coefficient de sédimentation 7S). La SRP est abondante dans le cytoplasme et son importance physiologique est attestée par le degré de conservation élevé de l’ARN 7S, des Archéobactéries à l’homme. Ce petit acide ribonucléique contient en effet une information essentielle au fonctionnement de la ribonucléoprotéine. Chez les bactéries, dépourvues de reticulum endoplasmique, la particule se compose d’un ARN 4,5S et d’une protéine homologue de la protéine de 54 kDa. Peter Walter montra que le rôle de la SRP est de reconnaître le peptide signal dès qu’il émerge de la grosse sous-unité ribosomiale. Le peptide en cours de synthèse est alors formé d’environ 70 résidus d’acides aminés, dont 40 sont séquestrés dans le ribosome. In vitro, l’addition de SRP ralentit significativement la vitesse d’élogation d’un peptide sécrétoire mais pas de protéines cytosoliques, comme les chaînes a et b de la globine. L’inhibition est levée par addition de microsomes lavés par une solution saline mais n’est pas levée par des microsomes ayant subi une attaque protéolytique. On a montré que la SRP ralentit la vitesse de synthèse en bloquant le site ribosomial de fixation des facteurs d’élongation eF1 et eF2.

Le facteur présent dans l’extrait protéolytique fut caractérisé en 1982 par David Meyer et Bernhard Dobberstein (European Molecular Biology Laboratory). C’est un hétérodimère constitué d’une sous-unité α, à la face cytosolique du reticulum, et d’une sous-unité β insérée dans la membrane. La sous-unité α est une GTPase. Le mode d’interaction entre les facteurs de l’extrait protéolytique et de l’extrait salin fut élucidée par Reid Gilmore et Günter Blobel (The Rockefeller University). Le premier, baptisé docking protein, est le récepteur de la SRP. L’interaction SRP – récepteur de la SRP permet l’accostage sélectif sur le reticulum endoplasmique du complexe ribosome – peptide signal – SRP. C’est l’étape cruciale de la translocation des protéines à travers la membrane du reticulum; elle est sous la dépendance de l’hydrolyse de molécules de GTP liées à la sous-unité α du récepteur et à la SRP:

L’hydrolyse de GTP provoque un changement de conformation qui entraîne le détachement de la SRP du peptide signal et du ribosome. La séquence signal traverse la membrane ce qui la met à l’abri d’une attaque par des protéases cytosoliques. Le blocage de l’élongation cesse et la synthèse du polypeptide reprend sur le ribosome lié à la membrane.

Translocon

L’étape cruciale de la translocation des proteins à travers la membrane du reticulum est le déplacement du qui permet à la cellule de séparer les polypeptides en cours de synthèse en deux lots – ceux qui sont destinés aux systèmes membranaires de la cellule et à l’exportation hors de la cellule, et ceux qui sont destinés au cytosol, au noyau et au nucléole – se déroule au niveau d’un pore traversant la bi-couche hydrophobe de la membrane du reticulum endoplasmique: le translocon (Sec61, SecYEG chez les bactéries). Observé au microscope électronique en 1971 par David Sabatini sur des coupes colorées négativement, le complexe protéique (un hétérotrimère) fut isolé et caratérisé vingt ans plus tard par le groupe de Gunther Blobel. Après la phase d’accostage sur le récepteur de la SRP du ribosome portant le peptide naissant, le complexe ribonucléoprotéique migre sur le translocon. Ce transfert est facilité par l’interaction du récepteur de la SRP avec Sec61. L’élongation du peptide force le clapet fermant le pore. Le transfert est vectoriel (l’extrémité N-terminale en premier) et unidirectionnel, du cytosol vers la lumière du reticulum. Le peptide “signal” à l’extrémité amino-terminale est excisé à la face luminale de la membrane par la peptidase du signal, un complexe de cinq polypeptides isolé en 1986 par Emily A. Evans (The Rockefeller University). Lorsque la translocation est achevée, le ribosome se détache du translocon et se dissocie en sous-unités.

Pendant deux décennies, l’existence et la nature du canal furent l’objet d’âpres débats. Les propositions les plus fantaisistes virent le jour : il n’y avait pas de pore : les peptides en cours de synthèse avaient la capacité de franchir la bicouche phospholipidique ; le pore était formé par un anneau de molécules de cytochrome P450 (E. Ohlson et Bengt Jergil, 1977), etc… En 1975, Gunter Blobel (Rockefeller University) chercha l’approche expérimentale adéquate pour prouver l’existence du Protein Conduction Channel SEC 61 ou translocon. Il fut mis en évidence en 1995 à la suite d’élégantes expériences d’électrophysiologie de Sanford Simon et Joshua Zimmerberg. Chez les eucaryotes pluricellulaires, il porte le nom de Sec61 (Sec pour sécrétion). Il porte d’autres noms chez les bactéries, les Archées et les différents types de levures. Chez les eucaryotes pluricellulaires, c’est un hétérotrimère Sec61α, Sec61β et Sec61γ. Son ouverture et sa fermeture sont régulées par des séquences dites « topogéniques » comme le peptide signal. Après complétion de la décharge vectorielle du polypeptide, le canal se referme. Pour les protéines membranaires, le peptide signal joue le rôle de séquence d’insertion dans la membrane. L’apparition d’une séquence hydrophobe (stop transfert) provoque la fermeture du pore au niveau du segment transmembranaire. Le ribosome se détache de la membrane et poursuit la synthèse de la portion cytosolique du polypeptide.

L’excision du peptide aminoterminal par la peptidase du signal est suivie du transfert d’une chaîne glycanique sur un résidu asparagine du polypeptide en cours de synthèse. Cet évènement co-traductionnel est catalysé par l’oligosaccharyl transférase, caractérisée en 1992 dans le laboratoire de Reid Gilmore (University of Massachusetts Medical School). Ce complexe enzymatique est localisé à la face luminale de la membrane, à proximité immédiate du canal d’où émerge le polypeptide naissant. C’est un hétéro-octamère dont deux des sous-unités avaient été isolées en 1978 par Gert Kreibich et David Sabatini. Après désintégration de microsomes rugueux par des détergents, deux glycoprotéines restaient associées aux ribosomes. Pensant être en présence du site de liaison du ribosome à la membrane, Kreibich et Sabatini les avaient baptisées « ribophorines I et II ». Avant son transfert par l’oligosaccharyle transférase, la chaîne glycanique est portée par un lipide membranaire, le dolichol pyrophosphate. Plus de deux décennies auront été nécessaires pour identifier les partenaires de la machinerie d’adressage et de translocation des polypeptides : petide signal, SRP, docking protein, SEC61, peptidase du signal, oligosaccharyl transférase. Le travail de pionnier effectué par Günter Blobel fut récompensé par l’attribution du prix Nobel de physiologie ou médecine en 2010.

L’adressage des protéines mitochondriales et chloroplastiques codées par le génome nucléaire et des protéines peroxisomiales est sous le contrôle de signaux d’adressage spécifiques à chacun de ces compartiments.


  1. Les immunoglobulines – les anticorps – sont sécrétées par les plasmocytes, une variété de lymphocytes présents dans la circulation sanguine. Chaque clone de plasmocytes fabrique une immunoglobuline spécifique dressée contre un antigène. L’immunoglobuline est formée de deux chaînes polypeptidiques, une chaîne « légère » et une chaîne « lourde ».
  2. Certaines protéines des mitochondries, des peroxysomes et des chloroplastes sont synthétisées dans le cytosol puis traversent par translocation post-traductionnelle une ou deux membranes pour accéder au compartiment auquel elles sont destinées.
  3. La séquence signal n’est pas toujours située à l’extrémité amino-teminale. Certains polypeptides ont plus d’une séquence signal.