Complexe de Golgi
« No cellular organelle has been the subject of as many, as long-lasting, or as diverse polemics as the Golgi apparatus. »
William Gordon Whaley
Une existence controversée
En 1865, Adolph J.H.F. von La Valette-Saint George, professeur d’anatomie à l’Université de Bonn, décrit le Nebenkörper (l’appareil de Golgi ?) dans les cellules sexuelles de l’escargot ; il observe son évolution au cours de la mitose et décrit sa reformation post-mitotique à partir d’une masse granulaire cytoplasmique. En 1896, Bartolomeo Camillo Emilio Golgi (Université de Pavie) cherche à mettre au point une technique de coloration du tissu nerveux ; essayant diverses méthodes d’imprégnation métallique, il décrit la « reazione nera » : les cellules nerveuses – axones et dendrites – sont colorées en noir par le nitrate d’argent. En 1898, dans des coupes de tissu nerveux de hibou et de chat, il découvre, à proximité du noyau et du centrosome, un « apparato reticolare interno ». En 1902, l’anatomiste Friedrich Kopsch améliore la technique de coloration de Golgi en introduisant une imprégnation à l’acide osmique (coloration mixte à l’osmium et au nitrate d’argent). L’appareil réticulaire interne est rebaptisé « appareil de Golgi » en 1909, puis « complexe de Golgi ». Camillo Golgi et Santiago Ramon y Cajal (Université de Barcelone) partagèrent le prix Nobel de physiologie ou médecine 1906 pour avoir caractérisé le quatuor de cellules de la neuroglie : astrocytes, oligodendrocytes, cellules microgliales et cellules épendymaires. La découverte d’un nouvel organite, le complexe de Golgi, passa inaperçue.
Références : Von La Valette-Saint George AJHF Ueber die Genese der Samenkörper (1865)
Golgi C Sulla struttura delle cellule nervose dei gangli spinali (1898)
Dans la citation citée en exergue, William G. Whaley rappelle que peu d’organites ont fait l’objet d’autant de controverses. J’y vois plusieurs raisons : (i) la technique d’imprégnation par les sels métalliques donnait des résultats difficilement reproductibles ; (ii) la structure du Golgi est complexe, associant saccules, vésicules, tubules ; ses limites avec les organites voisins sont difficiles à définir : où finit le reticulum endoplasmique ? où commence le Golgi ? Les débats entourant son existence et la terminologie à employer pour le désigner n’empêchèrent pas cet organite d’être l’objet d’un réel engouement. De l’abondante littérature qui lui fut consacrée dans les années suivant sa découverte, il ne subsiste à peu près rien qui soit digne d’intérêt. Au milieu du XXesiècle, un demi-siècle après sa découverte, des microscopistes aussi expérimentés que George Palade et Albert Claude (The Rockefeller Institute for Medical Research) soutenaient que l’appareil réticulaire était un artefact de coloration consistant en formations myéliniques. Dans une communication faite en 1954 à la Royal Society, Claude mettait en garde contre « some artefacts such as the Golgi apparatus » ! L’avènement du microscope électronique mit fin à la controverse : l’examen de coupes ultra-fines de cellules d’épididyme de rat imprégnées de sels métalliques, par Albert Dalton et Marie D. Felix (National Cancer Institute, National Institutes of Health), ou celles de pancréas de souris par Fritiof S. Sjöstrand et V. Hanzon (Department of Anatomy, Karolinska Institutet, Stockholm) révélèrent l’architecture caractéristique de l’appareil de Golgi: un empilement de sacs membranaires aplatis (appelés selon les auteurs : saccules, citernes, lamelles) entourés de vésicules. En hommage au travail de pionnier accompli par Albert Dalton, l’organite fut baptisé en 1956 « The Dalton complex ».
Références : Whaley WG The Golgi Apparatus (1975)
Palade GE, Claude A The nature of the Golgi apparatus; identification of the Golgi apparatus with a complex of myelin figures (1949)
Palade GE, Claude A The nature of the Golgi apparatus; parallelism between intercellular myelin figures and Golgi apparatus in somatic cells (1949)
Claude A Cell Morphology and the Organization of Enzymic Systems in the Cytoplasm (1954)
Farquhar MG, Palade GE The Golgi apparatus (complex)-(1954–1981)-from artifact to center stage (1981)
Dalton AJ, Felix MD Studies on the Golgi substance of the epithelial cells of the epididymis and duodenum of the mouse (1953)
Dalton AJ, Felix MD Cytologic and cytochemical characteristics of the Golgi substance of epithelial cells of the epididymis in situ, in homogenates and after isolation (1954)
Sjöstrand FS, Hanzon V Ultrastructure of Golgi apparatus of exocrine cells of mouse pancreas (1954)
Dalton AJ, Felix MD A comparative study of the Golgi complex (1956)
Le complexe de Golgi est présent dans toutes les cellules eucaryotes, animales et végétales ; il est particulièrement développé dans les cellules à forte activité sécrétoire comme les cellules de l’épididyme ou du pancréas exocrine. Si la morphologie microscopique d’organites comme le noyau ou les mitochondries est bien définie et reconnaissable, ce n’est que partiellement le cas pour le Golgi. Les premières observations ont établi (i) que le Golgi est généralement situé à proximité du noyau et du centrosome, entre le reticulum endoplasmique et la membrane plasmique ; cela est particulièrement le cas dans les cellules des glandes du tube digestif, dont la sécrétion est concentrée à un pôle de la cellule ; (ii) que le Golgi possède une polarité cis-trans, décrite en 1957 chez les flagellés par Pierre-Paul Grassé (Université de Paris) et, en 1963, chez les végétaux par Hilton H. Mollenhauer et Gordon Whaley (The Plant Research Institute, The University of Texas, Austin). La structure golgienne la plus facilement reconnaissable est l’empilement de citernes appelé « dictyosome » ; sa forme varie avec le type cellulaire : des citernes de forme ovale agencées en panier (cellules de l’épididyme) ; un réseau de rubans allongés (cellules des acini pancréatiques) ; une cage sphérique (cellules de l’hypophyse antérieure). Au sein du dictyosome, l’examen au microscope électronique et l’usage de réactifs cytochimiques ont conduit à distinguer des saccules cis, médianes et trans. Les autres structures golgiennes identifiées sont des tubules, des vésicules (50 à 100 nm) et des microvésicules (5 à 10 nm).
Références : Gatenby JB The Golgi apparatus of the living sympathetic ganglion cell of the mouse, photographed by phase-contrast microscopy (1953)
Whaley WG, Mollenhauer HH, Kephart JE The Endoplasmic Reticulum and the Golgi Structures in Maize Root Cells (1959)
Mollenhauer HH, Zebrun W Permanganate fixation of the Golgi complex and other cytoplasmic structures of mammalian tests (1960)
Mollenhauer HH, Whaley WG An observation on the functioning of the Golgi apparatus (1963)
Friend DS, Murray M Osmium impregnation of the Golgi apparatus (1965)
Cunningham WP, Morré DJ, Mollenhauer HH Structure of isolated plant Golgi apparatus revealed by negative staining (1966)
La première tentative de reconstruction tridimensionnelle du Golgi fut entreprise par Albert Claude (Institut Bordet, Bruxelles) dans les années 1970. Il examina au microscope électronique à transmission des coupes sériées – 200 coupes de 50 à 100 nanomètres d’épaisseur par cellule mais il ne disposait pas, à l’époque de logiciels d’imagerie informatiques pour intégrer les données en une reconstitution fiable. L’examen au microscope électronique à balayage (Scannig Electron Microscopy) a permis d’obtenir, à partir de coupes en série imprégnées à l’acide osmique, des images à haute résolution du Golgi de cellules d’épididyme de rat, d’acini pancréatiques, de cellules gonadotropes du lobe antérieur de l’hypophyse. Des progrès significatifs ont été accomplis dans la préservation de l’architecture délicate de cet organite ; les techniques de fixation bannissent l’utilisation de produits chimiques agressifs. L’échantillon biologique est congelé dans l’azote liquide (-150°C) sous haute pression (plus de 2000 bars) pour éviter la formation de cristaux aqueux ; l’eau est ensuite remplacée par de la résine, infiltrée à basse température(-90°C) ; après durcissement de la résine, les coupes sont préparées par cryo-ultra microtomie. Elles peuvent être examinées en microscopie photonique à super-résolution (qui permet de franchir la limite de résolution de 200 nm des microscopes optiques conventionnels) ; ou par microscopie électronique à transmission. Des images tridimensionnelles jusqu’à une résolution nanométrique, ont été obtenues par l’usage (i) de techniques stéréoscopiques sur coupes ultra-fines (100 nanomètres), ou sur coupes épaisses sous très hautes tensions, jusqu’à 3.000.000 de volts (Alain Rambourg, CEA, Saclay) ; (ii) de la tomographie électronique associée à la microscopie électronique (dual-axis electron microscope tomography). Kathryn Howell (Department of Cellular and Structural Biology, The University of Colorado School of Medicine Denver) et Richard McIntosh (Laboratory of Three-Dimensional Fine Structure, University of Colorado) ont obtenu par tomographie tridimensionnelle une reconstruction très détaillée de cellules épithéliales de rein de rat (cellules NRK).
Références : Claude A Interrelation of cytoplasmic membranes in mammalian liver cells : Endoplasmic reticulum and Golgi complex (1968)
Rambourg A, Clermont Y, Chrétien M Tridimensional analysis of the formation of secretory vesicles in the Golgi apparatus of absorptive columnar cells of the mouse colon (1989)
Rambourg A, Clermont Y Three-dimensional electron microscopy: structure of the Golgi apparatus (1990)
Ladinsky MS, Mastronarde DN, McIntosh JR, Howell KE, Staehelin LA Golgi structure in three dimensions: functional insights from the normal rat kidney cell (1999)
L’attention s’est particulièrement portée sur les deux réseaux membranaires encadrant les citernes médianes du dictyosome : la citerne cis est associée à une structure appelée « réseau cis-golgien » (Cis Golgi Network), formée par l’agrégation de vésicules issues par bourgeonnement du reticulum endoplasmique. La citerne trans fait partie d’une structure complexe : le « réseau trans-golgien » (Trans Golgi Network). Autre point qui a mobilisé l’attention des chercheurs : le dictyosome est-il une structure unique dont les citernes sont reliées entre elles par des connexions tubulaires ? De telles connexions ont été décrite de façon convaincante : (i) dans les cellules b de souris secrétant de l’insuline après stimulation par du glucose (Kathryn Howell). (ii) dans les spermatides de rat (Alain Rambourg). L’existence de connexions permanentes entre citernes pose le problème de savoir comment, dans ces conditions, les citernes parviennent à conserver leur individualité biochimique et enzymatique.
Références : Clermont Y, Rambourg A, Hermo L Connections between the various elements of the cis- and mid-compartments of the Golgi apparatus of early rat spermatids (1994)
Clermont Y, Rambourg A, Hermo L Trans-Golgi network (TGN) of different cell types: three-dimensional structural characteristics and variability (1995)
Marsh BJ, Volkmann N, McIntosh JR, Howell KE Direct continuities between cisternae at different levels of the Golgi complex in glucose-stimulated mouse islet beta cells (2004)
Trucco A, Polishchuk RS, Martella O, Di Pentima A, Fusella A, Di Giandomenico D, San Pietro E, Beznoussenko GV, Polishchuk EV, Baldassarre M, Buccione R, Geerts WJC, Koster AJ, Burger KNJ, Mironov AA, Luini A Secretory traffic triggers the formation of tubular continuities across Golgi sub-compartments (2004)
Dès les années 1960, on a établi qu’en plus d’une hétérogénéité morphologique le Golgi présente une hétérogénéité biochimique ; le cis-Golgi fixe spécifiquement le marquage par l’osmium (Daniel S. Friend et Michael J. Murray, Department of Pathology, University of California School of Medicine, San Francisco). La réaction de Gomori ayant été adaptée à la microscopie électronique, on a détecté la présence de phosphatases – thiamine pyrophosphatase, nucléoside diphosphatase et cytidine monophosphatase – dans les saccules du trans-Golgi (Alex Novikoff et Sydney Goldfisher, Albert Einstein College of Medicine), et d’adénine dinucléotide phosphatase dans les saccules médianes des améloblastes de rat – les cellules qui fabriquent l’émail dentaire – (C.F. Smith, 1986, Department of Anatomy, Faculty of Dentistry, McGill University).
Références : Friend DS, Murray M Osmium impregnation of the Golgi apparatus (1965)
Novikoff AB, Goldfisher S Nucleosidediphosphatase activity in the Golgi apparatus and its usefulness for cytological studies (1961)
Goldfisher S, Essner E, Novikoff AB The localization of phosphatase activities at the level of ultrastructures (1964)
Rambourg A, Clermont Y, Marraud A Three-dimensional structure of the osmium-impregnated Golgi apparatus as seen in the high voltage electron microscope (1974)
Complexe de Golgi et sécrétion
Les travaux de Santiago Ramon y Cajal sur les cellules caliciformes de l’intestin, et plus tard ceux de Nassonov (Laboratorium des Abteiles für algemeine Morphologie, Leningrad) sur les muqueuses des glandes d’amphibien et les cellules pancréatiques ont établi un lien entre cette structure et la sécrétion cellulaire.
Références : Ramon y Cajal S Algunas variaciones ficiologica y pathologica del apparato reticular de Golgi (1914)
Nassonov DN Das Golgische Binnennetz und seine Beziehungen zu der Sekretion. Untersuchugen über einige Amphibiendrüsen (1923)
Le pancréas est un organe à activité sécrétoire élevée. Cette glande annexe du tube digestif (duodénum) est formée de de tissu exocrine (85% de la masse de l’organe), et de tissu endocrine (3% de la masse). Deux types de cellules composent les îlots de Langherans du tissu endocrine : (i) les cellules β, majoritaires (50 à 70% des cellules de l’îlot) synthétisent et exportent l’insuline, l’amyline (Islet Amyloid Polypeptide), la protéine C… ; (ii) les cellules α synthétisent le glucagon et la somatostatine. La glande exocrine est constituée d’acinis de cinq à dix cellules qui synthétisent et exportent des enzymes, le plus souvent sous forme de précurseurs inactifs. Après activation dans l’intestin grêle, les proenzymes deviennent des enzymes actifs digérant les acides nucléiques (DNAse, RNAse), les protéines (trypsinogène, chymotrypsinogène, procaboxy peptidases, élastase), les lipides (lipase, phospholipase A2) et les hydrates de carbone (amylase). Les cellules acineuses sont polarisées : le noyau et le reticulum endoplasmique occupent la portion basale ; le Golgi et les granules de sécrétion (grains de zymogènes) occupent le pôle apical. Les sécrétions pancréatiques sont déclenchées par stimulation hormonale et sous influence nerveuse et nutritionnelle. Le contenu des granules de sécrétion se déverse au pôle apical de la membrane plasmique dans des canalicules aboutissant au canal pancréatique (canal de Wirsung) et à la portion antérieure de l’intestin grêle (duodénum). C’est dans les cellules des acini pancréatiques que George Palade (Rockefeller University), à la fin des années 1960, mit en évidence l’existence de la voie sécrétoire. Avec James Jamieson, ils pratiquèrent des expériences de radio-marquage (pulse chase experiments) : après injection d’acides aminés radioactifs à des cobayes, le pancréas était prélevé à différentes périodes de temps après injection ; sur des fragments de tissu fixés à la glutaraldéhyde et coupés au microtome, l’autoradiographie révéla le trajet des traceurs radioactifs du reticulum endoplasmique au complexe de Golgi puis aux grains de zymogène, où les proenzymes s’accumulent avant leur exportation dans le tractus digestif.
Références : Jamieson JD, Palade GE Role of the Golgi complex in the intracellular transport of secretory proteins (1966)
Jamieson JD, Palade GE Intracellular transport of secretory proteins in the pancreatic exocrine cell. I. Role of the peripheral elements of the Golgi complex (1967)
Jamieson JG, Palade GE Intracellular transport of secretory proteins in the pancreatic exocrine cell. II. Transport to Condensing Vacuoles and Zymogen Granules (1967)
Dix ans plus tard, Randy Schekman (University of California, Berkeley) et son étudiant, Peter Novick, découvrirent les mutants des gènes SEC chez la levure Saccharomyces cerevisiae. En utilisant ces mutants, dont la croissance est sensible à la température, ils disséquèrent les étapes successives de la voie sécrétoire. Ils découvrirent, par examen au microscope électronique, que chez les mutants sec 1 les produits de sécrétion (phosphatase acide, invertase) s’accumulent dans la cellule lorsque le milieu de culture passe de la température « permissive » à une température plus élevée ; des vésicules de sécrétion s’accumulent entre le Golgi et la membrane plasmique. Novick et Schekman ont caractérisé 23 gènes SEC dont les produits sont des régulateurs de la voie sécrétoire. Au cours de la seule étape de transition entre le Golgi et la membrane plasmique, ils ont mis en évidence l’intervention des produits de dix gènes SEC. Dans leur approche expérimentale, ils utilisèrent la technique des doubles mutants. En 1946, Theodosus Dobzhansky, l’un des fondateurs de la Théorie synthétique de l’évolution, a introduit la notion de « létalité synthétique » : les allèles de certains gènes, fonctionnels lorsqu’ils sont séparés, cessent de l’être lorsqu’ils sont réunis dans un double mutant. Cela peut être interprété comme indiquant que les produits de ces gènes interviennent dans la même voie métabolique et même dans la même étape de cette voie. Pour chaque mutation sec, Novick et Schekman ont sélectionné un ou des allèles sensibles à la température. C’est grâce à la technique des double-mutants qu’ils ont pu mettre en évidence des interactions entre gènes impliqués dans des étapes similaires de la voie sécrétoire et découvrir de nouvelles interactions. Novick et Schekman ont utilisé centrifugation en gradient de densité pour séparer les cellules de la souche sauvage des cellules sec mutées ; le blocage de la voie sécrétoire se traduit, chez les mutants, par une accumulation de membranes qui augmente la densité d’équilibre des cellules mutées (plus « lourdes »). Ils ont établi la séquence des étapes de la voie sécrétoire chez la levure : (i) formation de vésicules transportant du matériel cargo à partir du reticulum endoplasmique ; (ii) fusion des vésicules avec le cis-Golgi ; (iii) transport antérograde des citernes du cis-Golgi vers le trans-Golgi ; (iv) fusion des vésicules issues du trans-Golgi avec la membrane plasmique. Pour la petite histoire, il est intéressant de savoir que les National Institutes of Health ont rejeté la première demande de financement de Randy Schekman sous le prétexte qu’il n’avait pas les connaissances requises pour entreprendre des recherches sur la sécrétion.
Références : Jamieson JG, Palade GE Intracellular transport of secretory proteins in the pancreatic exocrine cell. IV. Metabolic requirement (1968)
Novick P, Schekman R Secretion and cell-surface growth are blocked in a temperature-sensitive mutant of Saccharomyces cerevisiae (1979)
Novick P, Field C, Schekman R Identification of 23 complementation groups required for post-translational events in the yeast secretory pathway (1980)
Novick P, Ferro S, Schekman R Order of events in the yeast secretory pathway (1981)
Kaiser CA, Schekman R Distinct sets of SEC genes govern transport vesicle formation and fusion early in the secretory pathway (1990)
Finger FP, Novick P Synthetic Interactions of the Post-Golgi sec Mutations of Saccharomyces cerevisiae (2000)
Dobzhansky T. Genetics of natural populations. XIII. Recombination ad variability in populations of Drosophila pseudoobscura (1946)
Le trans-Golgi est un centre de tri des protéines
En 1883, le physiologiste Rudolf Heidenhain mène des observations sur les modifications subies par les cellules pancréatiques pendant la sécrétion ; il observe la présence de granules, parfois volumineux, au sein des cellules. Nous savons aujourd’hui que les grains de sécrétion observés par Heidenhain occupent l’espace situé entre le trans-Golgi et la membrane plasmique et qu’ils accumulent de la radioactivité lorsqu’on injecte à un animal des acides aminés radioactifs, comme l’ont montré les études métaboliques de Hershey Warshawsky, Charles P. Leblond et Bernard Droz (Department of Anatomy, McGill University, Montreal) ou celles de George Palade et James Jamieson (Rockefeller Institute for Medical Research).
Références : Warshawsky H, Leblond CP, Droz B Synthesis and migration of proteins in the cells of the exocrine pancreas as revealed by specific activity determination from radioautographs (1963)
Jamieson JD, Palade GE Intracellular transport of secretory proteins in the pancreatic exocrine cell. I. Role of the peripheral elements of the Golgi complex (1967)
Jamieson JG, Palade GE Intracellular transport of secretory proteins in the pancreatic exocrine cell. II. Transport to Condensing Vacuoles and Zymogen Granules (1967)
La fonction des grains de sécrétion est de stocker le cargo avant qu’il ne soit délivré à sa destination finale. Dans le pancréas, par exemple, les enzymes digestifs (zymogènes) nouvellement synthétisés sont triés, empaquetés et compactés par le trans-Golgi dans des granules de sécrétion, qui se forment par évagination de la membrane. Ces grains sont la destination « par défaut » des protéines sécrétoires (sérum albumine, collagène) ; après un processus de maturation, leur membrane fusionne avec la membrane plasmique et le cargo est déversé à l’extérieur de la cellule. C’est le processus d’exocytose, qui se déroule par étapes : l’attache à la membrane plasmique (tethering), l’accostage sur cette membrane (docking), et la fusion de la membrane des granules avec la membrane plasmique. Dans les glandes digestives, le contenu des granules est déversé dans des canaux conduisant à l’intestin. Les glycoprotéines dont la destination finale est la membrane plasmique, voyagent dans la membrane des vésicules transportant le cargo soluble. Chez les ostéoclastes, des cellules spécialisées dans la résorption du tissu osseux, la sécrétion d’hydrolases acides dans l’espace lacunaire, est « constitutive » et non-régulée. Par contre, la sécrétion par les hépatocytes de lipoprotéines de très basse densité est déclenchée par un signal hormonal. L’exocytose régulée est la règle dans les glandes digestives et les glandes exocrines.
Référence : Salamero J, Sztul ES, Howell KE Exocytic transport vesicles generated in vitro from the trans-Golgi network carry secretory and plasma membrane proteins (1990)
Note: La préparation de fractions sub cellulaires enrichies en lysosomes est techniquement difficile. Il y a au moins deux raisons à cela : (i) les lysosomes ne représentent qu’une faible proportion des protéines cellulaires ; noyau, mitochondries et reticulum endoplasmique en représentent plus de la moitié ; (ii) si l’on prend comme critère le coefficient de sédimentation en centrifugation différentielle, les lysosomes sont des organites polydisperses. En ce qui concerne le contenu, les lysosomes renfermeraient une cinquantaine d’hydrolases « acides » différentes. En ce qui concerne la membrane, elle serait composée d’une soixantaine de glyprotéines différentes : des transporteurs pour faire pénétrer les substrats, des transporteurs pour exporter dans le cytosol les produits d’hydrolyse. Une pompe à protons fait pénétrer des ions hydronium H+ en consommant de l’ATP (le pH intra lysosomial doit être maintenu à 4,5). Un canal ionique fait pénétrer des ions Cl–. Quatre autres glycoprotéines sont majoritairement représentées : LAMP (Lysosome Associated Membrane Protein) 1, LAMP 2, CD63 (LAMP 3) et LIMP (Lysosomal Integral Membrane Protein) 2.
Référence : Leighton F,Poole B, Beaufay H, Baudhuin P, Coffey JW, Fowler S, de Duve C The Large-scale Separation of Peroxisomes, Mitochondria, and Lysosomes from the Livers of Rats Injected with Triton WR-1339. Improved Isolation Procedures, Automated Analysis, Biochemical and Morphological Properties of Fractions (1968)
A partir du reticulum endoplasmique, et à chaque étape à travers le Golgi, s’effectue un tri du cargo (protéines, glycoprotéines, lipides, phospholipides) transporté par vésicules d’une citerne à l’autre. Pour ne considérer que le cas des protéines, il y a celles qui suivent la voie antérograde et passent dans la citerne située en aval, vers leur destination finale, et celles qui empruntent la voie rétrograde et reviennent vers le reticulum endoplasmique ou vers la citerne située en amont. Ce n’est que dans le trans-Golgi que s’effectue le tri ultime du cargo vers trois destination : (i) l’extérieur de la cellule ; (ii) la membrane plasmique ; (iii) les lysosomes. Les protéines lysosomiales, qu’il s’agisse des protéines solubles (hydrolases acides), ou des protéines membranaires (Lamp II, H+ ATPase…) reçoivent une première « séquence topogénique » (peptide signal) qui dirige leur synthèse vers des polysomes liés à la membrane du reticulum endoplasmique, puis une seconde séquence topogénique sous la forme d’un résidu mannose 6-phosphate en position terminale d’une chaîne oligosaccharidique (les hydrolases lysosomiales sont des glycoprotéines). Deux enzymes interviennent : une N-acétylglucosamine-phosphotransférase, localisée dans le cis-Golgi ; elle transfert un GlcNAc-phosphate à partir d’UDP-N-Acétylgucosamine (UDP-GlcNAc) sur un ou plusieurs résidu mannose ; une phosphodiestérase, qui retire le groupe GlcNAc. Le résidu mannosyl-phosphate ainsi démasqué est reconnu par un récepteur membranaire au Man6-P (Cation dependent MPR ou Cation independent MPR), synthétisé dans le reticulum endoplasmique et situé dans le trans-Golgi. Les hydrolases acides et les enzymes lysosomiaux membranaires sont délivrés aux lysosomes par des navettes de vésicules tapissées de clathrine. Le transfert est direct, ou indirect (passage par les endosomes).
Le complexe de Golgi renferme des glycosyltransférases
La première approche expérimentale utilisée pour définir la composition biochimique du complexe de Golgi fut celle du fractionnement subcellulaire par centrifugation différentielle et en gradient de densité. L’obtention de préparations purifiées ne fut pas aisée, s’agissant d’un composant mineur de la cellule : environ 1% de la masse des protéines cellulaires dans les hépatocytes contre 10% pour le noyau, 20% pour les mitochondries. En 1954 et 1959, Edward Kuff, Walter Schneider et Albert Dalton utilisèrent la centrifugation différentielle combinée à la centrifugation en gradient de densité pour purifier l’appareil de Golgi d’épididyme de rat (très développé dans les cellules endocrines). Les auteurs se contentèrent de critères morphologiques pour caractériser la fraction purifiée, des critères d’autant moins fiables que le broyage des tissus désagrège l’organite. Ce n’est qu’en 1964 que les botanistes Hilton H. Mollenhauer et James D. Morré résolurent cette difficulté : la morphologie et la polarité cis-trans du complexe sont conservées en traitant les tissus à la glutaraldéhyde et en ajoutant un cation divalent (du calcium) au milieu d’homogénéisation (une solution de saccharose et de dextran). La même année, Sidney Goldfischer, E. Essner et Alex Novikoff (Albert Einstein College of Medicine) mirent au point un test histochimique basé sur la révélation in situ de la thiamine pyrophosphatase (nucléoside diphosphatase) pour marquer spécifiquement le Golgi.
Références : Morré DJ, Hamilton RL, Mollenhauer HH, Mahley RW, Cunningham WP, Cheetham RD, Lequire VS Isolation of a Golgi apparatus-rich fraction from rat liver. I. Method and morphology (1970)
Cunningham WP, Mollenhauer HH, Nyquist SE Isolation of Germ Cell Gogi Apparatus from Seminiferous Tubules of Rat Testes (1971)
Ehrenreich JH, Bergeron JJM, Siekevitz P, Palade GE Golgi Fractions Prepared from Rat Liver Homogenates I. Isolation Procedure and Morphological Characterization (1973)
En 1968, Mary-Jane Spiro et Robert G. Spiro (Glycoproteins and Biomembranes Research Laboratory, Joslin Diabetes Center and Harvard Medical School) isolèrent à partir de « particules » de glande thyroïde, une sialyltransférase catalysant le transfert d’acide sialique, à partir de cytidine monophosphate N-acétylneuraminique acide sur des glycopeptides et des glycoprotéines possédant un galactose en position terminale de leur chaîne glycanique. Le précurseur des hormones thyroïdiennes, la thyroglobuline, est une glycoprotéine dont la chaîne glycanique contient, entre autres sucres, du galactose et de l’acide sialique. La même année, une galactosyltransférase fut identifiée dans le lait ; le nucléotide donneur de galactose était l’UDP-galactose ; l’accepteur de galactose était la N-acétyl glucosamine. En 1969, Rebecca Fleischer, Sidney Fleisher et Hidehiro Ozawa (Department of Molecular Biology, Vanderbilt University) purifièrent le complexe de Golgi de foie de bœuf par centrifugation zonale. Cet organe volumineux fournissait suffisamment de matériel pour effectuer des analyses biochimiques sur la préparation purifiée (le Golgi ne représente qu’une faible proportion des protéines de la cellule). La préparation purifiée ne contenait que 0,2% de l’activité galactosyltransférase de l’homogénat – elle n’était que très faiblement représentative du Golgi – mais l’activité enzymatique était enrichie 40 fois par rapport à l’homogénat. Dans l’article publié dans le Journal of Cell Biology Rebecca Fleisher conclut que l’UDP galactose :N-acétyl glucosamine galactosyltransférase est localisée dans le complexe de Golgi. La présence de glycosyltransférases dans cet organite fut confirmée par différents groupes de chercheurs.
Références : Spiro MJ, Spiro RG Glycoprotein Biosynthesis: Studies on Thyroglobulin (1968)
Fleisher B, Fleisher S, Ozawa H Isolation and characterization of Golgi membranes from bovine liver (1969)
Le pathologiste et pionnier de l’histochimie, Joseph F.A. McManus, a mis au point, au début des années 1940, la méthode de coloration à l’acide périodique et au réactif de Schiff qui révèle la présence de groupes aldéhydiques ; en 1948, il mit en évidence la présence de glycoprotéines dans le tissu rénal. Charles P. Leblond (Department of Anatomy, McGill University, Montréal ) et ses collaborateurs entreprirent une série d’observations dont les résultats permirent de préciser la fonction du Golgi : (i) en 1950, Leblond observa un marquage de cet organite sur des coupes d’épithélium intestinal colorées par la technique de McManus, révélant ainsi la présence de sucres. Des observations similaires furent faites dans l’hypophyse, le rein et la thyroïde. (ii) En 1964, avec Marian Peterson, ils avancèrent l’hypothèse que le Golgi est le site de glycosylation des protéines. (iii) Avec Alain Rambourg et William Hernandez, ils adaptèrent la coloration à l’acide périodique et au réactif de Schiff à la microscopie électronique, sur des coupes de tissus préalablement soumises à une digestion par l’α-amylase pour éliminer le glycogène présent dans les cellules ; ils observèrent un gradient de coloration allant du cis-Golgi au trans-Golgi. (iv) Leblond et Marian Neutra formulèrent l’hypothèse que les glycoprotéines subissent une maturation dans le Golgi, avec addition séquentielle de sucres d’une citerne à la suivante.
Références : Leblond CP Distribution of periodic acid reactive carbohydrates in the adult rat (1950)
Peterson M, Leblond CP Synthesis of complex carbohydrates in the Golgi region, as shown by radioautography after injection of labeled glucose (1964)
Neutra M, Leblond CP Synthesis of the carbohydrate of mucus in the Golgi complex, as shown by electron microscope radioautography of goblet cells from rats injected with 3H-glucose (1966)
Neutra M, Leblond CP Radioautographic comparison of the uptake of 3H-galactose and 3H glucose in the Golgi region of various cells secreting glycoproteins or mucopolysaccarides (1966)
Rambourg A, Hernandez W, Leblond CP Detection of Complex Carbohydrates in the Golgi Apparatus of Rat Cells (1969)
Rambourg A, Hernandez W, Leblond CP Detection of periodic acid reactive carbohydrate in Golgi saccules (1969)
Les recherches sur l’incorporation de résidus glycosylés dans les polypeptides reçurent une impulsion décisive avec la mise à la disposition des chercheurs d’un nouvel outil : l’autoradiographie combinée à la microscopie électronique. Après la découverte de la radioactivité artificielle par les physiciens Irène Curie et Frédéric Joliot (tous deux prix Nobel de chimie en 1935), les isotopes radioactifs firent leur apparition dans les laboratoires. Frédéric Joliot prédit l’intérêt de ces isotopes en biologie expérimentale. En 1934, le bombardement d’iode avec les rayons α du polonium émis dans le cyclotron du Collège de France permit d’obtenir l’isotope 123I. Les premières tentatives de marquage d’une hormone thyroïdienne, la thyroxine, furent entreprises sous l’égide de Joliot. Antoine Lacassagne (Laboratoire de Synthèse Atomique, Paris) essaya d’incorporer du polonium 210Po dans la paroi intestinale d’un animal. En 1937, Charles Leblond essaya de marquer les hormones thyroïdiennes en injectant de l’iode radioactif (128I) à des animaux. La révélation se faisait par contact de coupes de tissu thyroïdien avec une émulsion photographique. Les résultats furent décevants en grande partie à cause de la brièveté de la demi-vie des radio-isotopes utilisés.
La production de radioéléments artificiels atteignit sa vitesse de croisière sous l’égide d’Enrico Fermi (Los Alamos National Laboratory, prix Nobel de physique en 1938). Le bombardement de molécules cibles par des neutrons produisit des isotopes du carbone (14C), du phosphore (32P) et du soufre (35S). Charles Leblond (McGill University, Montréal) reprit ses expériences de marquage, commencées au début des années 1940, avec un isotope de l’131I (demi-vie de 8 jours). Pour révéler le marquage, il disposait de plaques photographiques sensibles. Il parvint ainsi à montrer la présence des grains d’argent de l’émulsion photographique dans la zone des follicules thyroïdiens. La résolution étant faible (100 micromètres), le physicien Pierre Demers suggéra d’appliquer directement sur la coupe histologique l’émulsion photographique liquéfiée de la firme Eastman Kodak. La « coating technique » fut mise au point par Leblond, Léonard Bélanger, Rita Bogoroch et Beatrix Kopriwa. D’améliorations en perfectionnements on parvint, dans les années 1960, à l’autoradiographie semi-quantitative à haute résolution, permettant de localiser avec précision la position des grains d’argent et de les compter sur une émulsion d’épaisseur calibrée.
Références : Leblond CP, Sue P Passage de l’iode radioactif (I128) dans la thyroïde stimulée par l’hormone thyréotrope de l’hypophyse (1940)
Leblond CP Localization of newly administered iodine in the thyroid gland as indicated by radioiodine (1943)
Leblond CP, Bélanger LF A method for locating radioactive elements in tissues by covering histological sections with a photographic emulsion (1946)
Kopriwa BM A semiautomatic instrument for the radioautographic coating technique (1966)
Dans les cellules eucaryotes, la moitié des protéines sont des glycoprotéines portant au moins une chaîne oligosaccharidique (glycane) liée par une liaison covalente à un résidu d’acide aminé. La taille du glycane est limitée et sa séquence est non-répétitive. On distingue des protéines N-glycosylées, où le glycane est lié par une liaison β-N-osidique à un résidu asparagine (Asn) ; et des protéines O-glycosylées ou le glycane est lié par une liaison α-O-osidique à un acide aminé hydroxylé (sérine, thréonine, tyrosine, hydroxyproline, hydroxylysine). Dans les cellules, il existe des N-glycanes de type oligomannoside et des N-glycanes de type complexe. La portion interne du N-glycane est un pentasaccharide lié par une de ses extrémités à une Asn ; à l’autre extrémité sont branchées des ramifications périphériques variables en nombre et en longueur. Il existe une grande variété de glycoprotéines.
Grâce à leur maîtrise des techniques microscopiques et de l’autoradiographie quantitative, les chercheurs du groupe de Charles Leblond (Department of Anatomy and Cell Biology, McGill University, Montréal) ont apporté une contribution significative dans la mise en évidence du rôle du Golgi dans la glycosylation des protéines. Les expériences consistaient à injecter à des rats ou des souris des sucres marqués au tritium (3H-glucose, 3H-galactose, 3H-fucose, 3H-N-acetylmannosamine) ; en fonction du temps de prélèvement après l’injection, ils observèrent que la radioactivité s’accumule d’abord dans le Golgi. Ils étudièrent différents types de cellules sécrétrices : de la muqueuse de l’intestin grêle, du thymus, du rein. Gary C. Bennett et Leblond s’intéressèrent aux glycosyltransférases actives sur les protéines intégrales de la membrane plasmique des cellules des tubules rénaux : le marquage radioactif, après injection de 3H-fucose, migre du Golgi à la surface de la cellule.
Note: Les cellules caliciformes de la muqueuse intestinale fabriquent les « mucines », des glycoprotéines à longues chaînes d’hydrate de carbones, découvertes en 1914 par Santiago Ramon y Cajal (Université de Madrid). Les mucines forment une couche protectrice (cell coat) à la surface de la paroi intestinale et sont responsables du pouvoir lubrifiant du mucus.
Références : Bennett G, Leblond CP Formation of cell coat material for the whole surface of columnar cells in the rat small intestine, as visualized by radioautography with L-fucose-3H (1970)
Bennett GC Synthesis and migration of glycoproteins in cells of the rat thymic medulla, as shown by radioautography after 3H-fucose injection (1975)
Bennett GC, Kan WK Incorporation of sialic acid into glycoproteins in various rat tissues as shown by radioautography after injection of 3H-N-acetylmannosamine (1976)
Haddad A, Bennett G, Leblond CP Formation and turnover of plasma membrane glycoproteins in kidney tubules of young rats and adult mice, as shown by radioautography after an injection of 3H-fucose (1977)
Chez les mammifères, les glycoprotéines sont présentes dans tous les tissus : récepteurs hormonaux, canaux ioniques, transporteurs, molécules d’adhérence de la membrane plasmique, chaperonnes, enzymes, furines, récepteur du mannose–6–phosphate, etc… Les cellules des muqueuses et des épithéliums sont protégées et lubrifiées par les muco-protéines (muco-polysaccharides) qu’elles sécrètent. Les glycoprotéines abondent dans la matrice extracellulaire, le plasma sanguin, les membranes des cellules eucaryotes et les compartiments intracellulaires délimités par une membrane : réticulum endoplasmique ou complexe de Golgi. Elles sont rares dans le cytosol et leur glycane ne comporte qu’une molécule de N-acétylglucosamine (GlcNAc) liée à un résidu sérine ou thréonine.
La membrane plasmique des bactéries est une bicouche phospholipidique, comme dans la plupart des cellules. Chez les eubactéries, la membrane plasmique est doublée sur sa face externe d’une structure macromoléculaire continue, pseudo-cristalline, formée de peptidoglycanes (muréines) ; ce sont des glycanes linéaires formés par l’association de deux sucres (N-acétyl glucosamine et acide N-acétylemuramique) et interconnectés par de courts peptides de trois à cinq résidus d’acides aminés. Les chaînes polysaccharidiques des protéoglycanes (ou peptidoglycanes) sont longues et leur séquence est répétitive. Les peptidoglycanes forment un réseau tridimensionnel servant de filet de protection à la cellule bactérienne. A la différence des cellules animale ou végétale, la cellule bactérienne est directement soumise aux variations de pression osmotique générées par le milieu environnant.
En 1964, Edward J. Sarcione (Roswell Park Memorial Institute, Buffalo) incorpora in vivo de la N-acétylglucosamine dans des protéines. L’année suivante, Janos Molnar, G.B. Robinson et Richard J. Winzler (Department of Biological Chemistry, University of Illinois College of Medicine) montrèrent que les protéines qui incorporent la N-acétylglucosamine sont liées à des polysomes ou à des microsomes. En 1968, Colvin M. Redman (New York Blood Center) établit que les protéines du sérum (dont la plupart sont des glycoprotéines) sont synthétisées sur des polysomes liés au reticulum endoplasmique des cellules hépatiques. En 1972, Redman et George Cherian montrèrent que l’incorporation de N-acétylglucosamine et de mannose dans les protéines se fait dans les microsomes rugueux et l’incorporation de galactose, dans les microsomes lisses. Les sucres sont ajoutés après décharge vectorielle complète du polypeptide à l’intérieur des vésicules microsomiales c’est-à-dire après que la chaîne polypeptidique fixée au ribosome et en cours d’allongement a franchi la barrière membranaire. Les résultats de Redman et Cherian seront confirmés par d’autres observations : les premières étapes de l’assemblage de l’oligosaccharide se déroulent à la face interne de la membrane du reticulum endoplasmique. La participation du complexe de Golgi dans la glycosylation des protéines fut mise en évidence en 1969 : Ronald R. Wagner et Morris A. Cynkin (Tufts University School of Medicine) observèrent le transfert de glucosamine 14C à partir d’UDP N-acétyl 14C glucosamine et James Morré (Department of Biological Sciences, Purdue University) puis H. Schachter décrivirent la présence de glycosyl transférases dans des préparations de Golgi de foie de rat.
Luis Leloir reçut une solide formation de biochimiste : à Cambridge, dans le laboratoire de Frederick Gowland Hopkins (prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1929), à Saint Louis, chez Carl F. Cori (prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1947) et à Columbia University dans le laboratoire de David E. Green. De retour à Buenos Aires, où Leloir (Instituto de Investigaciones Bioquímicas de la Fundacion Campomar) étudia le mode d’assemblage du tréhalose (un disaccharide formé de deux glucoses), du saccharose (un disaccharide formé d’un glucose et d’un fructose) et du glycogène (un polysaccharide de glucoses). Le glycogène est la forme de stockage du glucose dans les cellules animales, chez certains mycètes et certaines bactéries. En 1948, leloir constata que pour être transféré sur un autre sucre, le glucose doit être sous forme « activée », c’est-à-dire lié à un nucléotide sous forme d’uridine diphospho-glucose : UDP-O-Glc. A la suite de cette découverte, la recherche d’autres nucléotides donneurs de sucres conduisit, dans les années 1950, à la caractérisation d’uridine diphospho-N-acétylglucosamine (UDP-GlcNac), de guanosine diphospho-mannose (GDP-Man) ; d’adénosine diphosphoglucose (donneur de glucose pour la synthèse de l’amidon, la forme de stockage du glucose chez les végétaux chlorophylliens). Ces nucléotides-sucres sont présents dans le cytosol des cellules. Leloir reçut en 1970 le prix Nobel de chimie pour avoir décrit avec Carlos E. Cardini la voie biosynthétique du glycogène (Uridine-diphosphoglucose Pathway).
J’ai mentionné dans un paragraphe précédent l’existence des peptidoglycanes de l’enveloppe doublant la membrane plasmique des bactéries. Dans les années 1965-1966, différents groupes, parmi lesquels ceux d’A.N. Chatterjee (Indian Institute of Chemical Biology, Calcutta) et de Jack L. Strominger (Molecular and Cellular Biology, Harvard University) découvrirent que chez Staphylococcus micrococcus et chez Salmonella le franchissement de la membrane plasmique par les sucres met en jeu des intermédiaires lipidiques phosphorylés et formés d’une longue chaîne hydrocarbonée (55 atomes de carbone pour le bactoprénol : C55H92O). Le rôle d’intermédiaires lipidiques ne se limite pas à l’assemblage des peptidoglycanes et des liposaccharides de la paroi bactérienne. Ils interviennent aussi dans l’assemblage des glycoprotéines membranaires des cellules eucaryotes et des glycoprotéines sécrétoires. Après les premières étapes de la synthèse d’une chaîne oligosaccharidique, qui se déroulent dans le cytosol des cellules, l’oligosaccharide en cours d’assemblage doit franchir la barrière de la bi-couche lipidique. C’est là qu’interviennent des dérivés phosphorylés d’alcools à longues chaînes appelés poly-isoprénols. Dans les cellules eucaryotes, Luis Leloir et Nicolas H. Behrens ont découvert le dolichol, le plus long lipide membranaire connu (jusqu’à 105 atomes de carbone), formé par l’association de 17 à 21 unités isoprène. Dans la membrane du reticulum endoplasmique, où il est présent sous forme d’ester phosphorique, il sert d’ancre lipidique pour l’assemblage des N-glycanes avant leur transfert sur un résidu Asn de la protéine naissante. L’assemblage est un processus complexe appelé « cycle du dolichol». La première étape est le transfert de N-acétylglycosmine phosphorylée (P-GlcNAc) à partir d’un nucléotide-sucre :
Il se forme une liaison ester diphosphate riche en énergie ; c’est la phase d’« activation » du monosaccharide (ou de l’oligosaccharide).
Pour reconstituer les différentes étapes de la synthèse des oligosaccharides de type complexe – l’ordre d’assemblage des sucres et d’intervention des enzymes impliqués – il fallait disposer d’un système expérimental simple. Sondra Schlesinger, spécialiste de la génétique des bactéries et de la réplication des virus enveloppés à ARN comme le virus Sindbis, suggéra à Stuart Kornfeld (Washington University School of Medicine, St. Louis) d’utiliser le virus de la stomatite vésiculaire (VSV). Ce virus appartient à la famille des Rhaboviridae et provoque chez certains mammifères une forme d’influenza. Son génome à ARN code cinq protéines majeures parmi lesquelles la glycoprotéine G de l’enveloppe virale (VSV-G). Le virus peut être cultivé sur cellules ovariennes de hamster chinois et dans des cellules de mammifère en culture, infectées par le virus ou transfectées avec le gène (qui s’insère dans le génome de la cellule). Dans les cellules infectées ou transfectées, la synthèse des protéines cellulaires est détournée au profit de la production de protéines virales. VSV-G porte une chaîne oligosaccharidique de type N-glycane ; elle est synthétisée dans le reticulum endoplasmique et exportée. Il existe un gène VSV-G mutant, sensible à la température. Lorsque les cellules sont cultivées à 40°C la protéine synthétisée est mal conformée et ne franchit pas le « contrôle de qualité » dans le reticulum endoplasmique. Si l’on revient à 32°C (température permissive), la protéine mal repliée adopte la conformation normale, franchit le contrôle de qualité et passe du reticulum endoplasmique au complexe de Golgi. Le passage de la température permissive à la température restrictive bloque une étape de la voie sécrétoire ; on peut alors déterminer la composition de la chaîne glycanique à cette étape.
Les anticorps spécifiques anti VSV-G sont employés pour l’immunolocalisation au microscope. Le degré de résolution peut être augmenté en utilisant le gène hybride VSV-G – GFP (Green Fluorescent Protein). Les protéines vertes fluorescentes furent découvertes dans les cellules de la méduse Aequoria victoria par Martin Chalfie (Columbia University), Osamu Shimomura (Boston University School of Medicine) et Roger Y. Tsien (University of California, San Diego) dans les années 1960. Ils reçurent le prix Nobel de chimie en 2008. Tsien a élargi la gamme des longueurs d’onde d’émission utilisables en construisant des protéines fluorescentes modifiées émettant après excitation une lumière jaune, bleue ou violette. Le gène hybride VSV-G (normale ou mutée) – GFP est construit en fusionnant les deux gènes. On l’introduit par transfection dans le génome d’une cellule ; il devient alors possible de suivre par microscopie à fluorescence le déplacement de la protéine G d’un compartiment à l’autre. Le volume de la protéine hybride aurait pu perturber son cheminement le long de la voie sécrétoire ; à l’heureuse surprise des expérimentateurs, il n’en a rien été.
Le modèle expérimental basé sur l’utilisation du VSV a été largement utilisé en biologie cellulaire : en 1973, Harvey Lodish et David Baltimore (Department of Biology, Massachusetts Institute of Technology) ont étudié la biogenèse des glycoprotéines sécrétoires et des glycoprotéines de la membrane plasmique , du reticulum endoplasmique au complexe de Golgi et à la membrane plasmique. En 1978, Stuart Kornfeld l’utilisa pour reconstituer les étapes de la synthèse des oligosaccharides de type complexe. Deux outils se révélèrent d’une grande utilité : (i) les glycosidases qui effectuent des coupures spécifiques dans la chaîne oligisaccharidique en fonction de sa composition en sucres (la composition varie dans les différents compartiments de la voie sécrétoire) ; (ii) la tunicamycine, un antibiotique nucléosidique qui inhibe la première étape de la biosynthèse des chaînes glycaniques : le transfert de GlcNAc-1-P de l’UDP-GlcNAc au dolichol phosphate, par la GlcNAc-phosphotransférase.
La biosynthèse des oligosaccharides de type complexe se déroule dans les deux premiers compartiments de la voie sécrétoire, le reticulum endoplasmique et le complexe de Golgi. Les premières étapes se déroulent sur la face cytosolique de la membrane du reticulum endoplasmique. Les donneurs de sucres sont des nucléotides ; l’accepteur est le dolichol phosphate, une ancre lipidique insérée dans la membrane. Les réactions de transglycosylation sont catalysées par des glycosyltransférases membranaires qui agissent séquentiellement : (i) la N-acétyl-glucosaminyl phospho-transférase transfert un GlcNAc-P sur le dolichol phosphate (il se forme une liaison ester pyrophosphate « riche en énergie ») ; (ii) la N-acétyl-glucosaminyltransférase et la mannosyltransférase transfèrent du GlcNAc et du Man sur le résidu GlcNac lié au dolichol pyrophosphate. L’oligosaccharide assemblé sur le dolichol phosphate subit une translocation dans le réticuloplasme ou d’autres enzymes (mannosyl-transférases et glucosyl transférases) achèvent la synthèse de l’oligosaccharide qui comporte 14 sucres : 2 GlcNAc, 9 Man et 3 glucoses (Glc).
Chaîne oligomannosidique liée au dolichol pyrophosphate. Ce type de chaîne est présent dans le reticulum endoplasmique. |
A la face luminale du reticulum endoplasmique, un complexe enzymatique membranaire, l’oligosaccharyltransférase, transfert l’oligosaccharide du dolichol-phosphate sur un résidu asparagine d’un polypeptide en cours d’élongation. Ce transfert « cotraductionnel » se fait à proximité du site où le polypeptide émerge du ribosome lié à la membrane. Le résidu Asn sur lequel se fait le transfert occupe la position centrale d’un tripeptide (séquence « consensus »).
Avant de quitter le reticulum endoplasmique les protéines subissent un contrôle de qualité
L’oligosaccharide transféré sur le polypeptide naissant subit une phase d’élagage. Des sucres sont retranchés de la chaîne à 14 sucres : des glycosidases retirent successivement un glucose (glucosidase I) puis deux glucoses (glucosidase II) et un mannose (mannosidase). La nécessité de cette phase d’élagage suivant immédiatement l’assemblage des oligosaccharides a intrigué les biochimistes. La logique de ce processus de démolition de ce qui vient juste d’être assemblé n’apparut pas de prime abord. Par la suite, on établit que la présence de l’oligosaccharide à 14 sucres est indispensable à la reconnaissance des glycoprotéines par des lectines localisées dans le réticuloplasme. Les lectines (calnexine liée à la membrane, calréticuline dans l’espace luminal) reconnaissent le Glc périphérique ou d’autres motifs saccharidiques. Les lectines agissent en fixant les glycoprotéines ce qui prolonge leur séjour dans le réticuloplasme et laisse le temps aux « chaperonnes » d’assister le processus de « repliement » correct des polypeptides et d’acquisition des structures secondaires (hélice α, feuillet plissé β) et tertiaires. Le mécanisme de repliement et d’oligomérisation des protéines néo-synthétisées dans le reticulum endoplasmique, est une étape indispensable avant que les protéines sécrétoires puissent quitter cet organite et migrer dans le compartiment suivant. Cette étape et son mécanisme furent élucidés par le groupe d’Harvey Lodish (Department of Biology, Massachusetts Institute of Technology).
Les chaperonnes BIP (Binding Immunoglobulin Protein, la plus abondante) et GRP94 (94K Glucose-regulated Protein) appartiennent à la famille des protéines de choc thermique ; elles sont produites en grande quantité lorsque la cellule est soumise à une élévation de température du milieu. Selon la nature du sucre périphérique, des chaperonnes différentes agissent de façon séquentielle dans l’espace luminal. Un élément important de l’acquisition de la structure tertiaire est l’établissement de pont disulfure entre résidus. Cette étape est catalysée par la protéine disulfure isomérase, les ERp57 et ERp72 (Endoplasmic Reticulum Protein 57 et 72), des oxydoréductases de la famille de la thiorédoxine. Lectines et chaperonnes sont les acteurs indispensables du « contrôle de qualité » des glycoprotéines avant leur sortie du reticulum endoplasmique. Seules les glycoprotéines ayant acquis leur structure tridimensionnelle peuvent, soit devenir des résidentes permanentes du reticulum, soit accéder au compartiment suivant. Celles qui sont recalées à ce contrôle de qualité sont partiellement déglycosylées et dirigées à l’extérieur du reticulum endoplasmique, vers le cytosol, pour y être dégradées par le complexe protéolytique du protéasome. Il convient de souligner l’importance de ce contrôle de qualité. L’apparition à la surface des cellules d’une glycoprotéine de conformation anormale peut provoquer le déclenchement d’une réaction immunitaire dévastatrice. Près de la moitié des glycoprotéines des cellules eucaryotes sont glycosylées dans le réticulum endoplasmique et subissent le contrôle de qualité. Une noria de vésicules assure le transport des glycoprotéines ayant subi avec succès le contrôle de qualité du réticulum endoplasmique au complexe de Golgi où se déroule une deuxième phase d’élagage.
Le complexe de Golgi est un organite atypique
Les organites subcellulaires comme le noyau, les mitochondries, les lysosomes, les peroxysomes, les chloroplastes sont dotés d’un équippement enzymatique qui leur permet d’accomplir leur fonction. Dans un hépatocyte, toutes les mitochondries possèdent les protéines nécessaires au fonctionnement du cycle de Krebs. C’est ce que Christian de Duve et Jacques Berthet ont appelé le postulat d’homogénéité, et qui leur a permis d’interpréter les résultats du fractionnement subcellulaire. Dans le cadre général de la relation entre structure et fonction, le complexe de Golgi est un cas particulier : (i) il est composé de saccules et de vésicules morphologiquement individualisées; (ii) il possède un riche équippement enzymatique : la N-glycosylation et l’O-glycosylation des protéines et des lipides, font intervenir à elles seules plus de cent glycosyltransférases différentes. Le nombre élevé d’enzymes golgiens s’explique en partie par le fait que les enzymes sont spécifiques des formes stéréoisomériques des sucres, notamment des formes anomériques α ou β (par référence à la position du groupe OH par rapport au plan de la molécule) : il y a, par exemple, une GlcNAc β-1,4 galactosyl-transférase, une Gal α-1,3 galactosyl-transférase, une GlcNAc α-1,3 fucosyl-tranférase, une Gal α-1,2 fucosyl-tranférase. L’acide sialique en périphérie de la chaîne oligosaccharidique est lié à un galactose par une liaison α−2,6 entre le C2 en conformation α de l’acide sialique et le C6 du galactose. La multiplicité des liaisons présentes dans les oligosaccharides est en partie responsable de la multiplicité des transférases. Aux nombreuses tranférases, il faut ajouter les enzymes catalysant l’élagage des sucres : mannosidases et autres glycosydases qui sont soumises aux mêmes contraintes d’isomérie.
D’emblée, la notion d’une distribution non uniforme des enzymes dans le complexe de Golgi s’est imposée. Pour mettre en parallèle le caractère séquentiel de l’addition (ou du retrait) des sucres de la chaîne saccharidique et la migration des protéines et des lipides, synthétisés dans le reticulum endoplasmique, de la face cis vers la face trans, les chercheurs envisagèrent une spécificité enzymatique différente pour les citernes cis, médiane ou trans. L’aspect dynamique de l’organite étant mis en parallèle avec la spécificité biochimique des citernes un certain nombre de questions se posaient: comment s’effectue le passage d’une citerne à la suivante ? Quel est le rôle joué par les nombreuses vésicules qui entourent les citernes ? Deux approches expérimentales ont été suivies pour tenter d’établir la localisation intra-golgienne des enzymes. John Bergeron et Kathryn Howell (The Rockefeller University) utilisèrent l’approche “classique” du sous-fractionnement par centrifugation en gradient de densité d’une préparation de Golgi de rats ayant reçu une injection d’ethanol. Ce traitement provoque une surcharge du complexe en lipoprotéines de type Very Low Density Lipoproteins (VLDL). Leur faible densité d’équilibre était censée provoquer la séparation des structures contenant des VLDL dans la zone de faible densité du gradient. Les résultats de ces travaux furent décevants; la comparaison de la composition enzymatique des sous-fractions légères et lourdes n’a pas permis d’associer une transférase particulière à une sous-fraction golgienne.
L’approche morphologique faisant appel à l’immunolocalisation en microscopie électronique a fourni des indications qualitatives: les glycosidases qui retirent les résidus Man de l’oligosaccharide central :
avec formation de :
ont été localisées dans le cis-Golgi. De même, cette approche a permis de préciser le site d’action des mannosidases (citernes cis et médiane), des N-acétylglucosaminyl-transférases (citernes médianes), des galactosyl-transférases et des sialyl-transférases (citernes trans), de la sulfotransférase qui catalyse l’estérification par un groupe sulfate de la fonction phénol des résidus tyrosine du fibrinogène (trans-Golgi).
Dans les polyholosides comme les glycosaminoglycanes de la matrice extracellulaire, le groupe sulfate estérifie une fonction alcool d’un sucre. Le donneur de groupes sulfate est le phospho-adénosine phosphosulfate (PAPS). Des enzymes associés au complexe de Golgi catalysent la synthèse d’une variété de polysaccharides et dans les cellules végétales, des pectines, ainsi que l’acylation des protéines virales.
Voie sécrétoire
Le complexe de Golgi est le compartiment central de la voie sécrétoire et de l’intense trafic de vésicules transportant des protéines, des lipides et des phospholipides de leur lieu de synthèse – le reticulum endoplasmique –- vers le compartiment où ils exerceront leur fonction : membrane plasmique (récepteurs hormonaux, transporteurs, canaux ioniques), endosomes, lysosomes (pompe à protons, transporteurs, hydrolases), compartiment extracellulaire (où aboutissent la majorité des protéines synthétisées dans le reticulum). La sécrétion extracellulaire est un phénomène vital chez les êtres vivants des bactéries à l’homme. La plupart des cellules de mammifères synthétisent en permanence et libèrent dans le milieu extracellulaire des peptides et des protéines nécessaires à la croissance (hormones), à la digestion (zymogènes), à la transmission de l’influx nerveux (neurotransmetteurs et autres messagers chimiques établissant la communication de cellule à cellule), à la régulation de la glycémie (insuline) et à la défense immunitaire (antigènes). La voie sécrétoire a aussi pour fonction d’ajuster en permanence la composition de la membrane plasmique par addition et retrait de lipides et de récepteurs protéiques membranaires.
Le pancréas figure parmi les organes à activité sécrétoire élevée. Cette glande annexe du tube digestif (duodénum) est formée de tissu exocrine représentant 85% de la masse de l’organe et de tissu endocrine : les îlots de Langherans, sécrètant une variété d’hormones. Les îlots de Langherans (environ 3% de la masse du pancréas) sont composés de cellules β (synthèse et exportation d’insuline, de protéine C, d’amyline ou Islet Amyloid Polypeptide) et de cellules α (glucagon et somatostatine). La glande exocrine est constituée d’acinis de cinq à dix cellules qui synthétisent et exportent des enzymes, le plus souvent sous forme de précurseurs inactifs. Après activation dans l’intestin grêle, les pro-enzymes deviennent des enzymes actifs digérant les acides nucléiques (DNAse, RNAse), les protéines (trypsinogène, chymotrypsinogène, procaboxypeptidases, élastase), les lipides (lipase, phospholipase A2) et les hydrates de carbone (amylase). Les cellules acineuses sont polarisées : le noyau et le reticulum endoplasmique occupent la portion basale ; le complexe de Golgi et les granules de sécrétion (granules de zymogènes) occupent le pôle apical. Les sécrétions pancréatiques sont déclenchées par stimulation hormonale et sous influence nerveuse et nutritionnelle. Le contenu des granules de sécrétion se déverse au pôle apical de la membrane plasmique dans des canalicules aboutissant au canal pancréatique (canal de Wirsung) et à la portion antérieure de l’intestin grêle (duodénum).
Des biologistes ont remis en cause le caractère obligé du passage par la voie sécrétoire ; des protéines transiteraient du réticulum endoplasmique vers la membrane plasmique en court-circuitant le complexe de Golgi. Les protéines de choc thermique HSP 150 de la levure Saccharomyces cerevisiae, le Voltage-gated K+ channel et la protéine régulatrice Kv Channel Interacting Protein de l’extrémité dendritique des neurones se déplacent du réticulum endoplasmique vers leur destination finale en l’absence de vésicules COP fonctionnelles.
Traffic intracellulaire: exocytose, endocytose
Le cytoplasme des cellules eucaryotes renferme un système membranaire complexe impliqué dans les mécanismes d’exocytose et d’endocytose et, d’une façon plus générale, dans le trafic intracellulaire mettant en connexion les uns avec les autres tous les organites délimités par une membrane. L’exocytose est le mécanisme d’exportation des protéines sécrétoires ; il met en jeu le reticulum endoplasmique, le complexe de Golgi, les granules de sécrétion et la membrane plasmique. Dans les années 1960, l’autoradiographie fut utilisée par George Palade, Philipp Siekevitz, Lucien Caro et James Jamieson (Rockefeller University) pour étudier la voie sécrétoire. Les cellules des acini du pancréas (de cobaye), synthétisent les enzymes pour la digestion des aliments. Des expériences de radio-marquage (pulse chase experiments) mirent en évidence le parcours de ces protéines de leur lieu de synthèse jusqu’à l’extérieur de la cellule acineuse. Après injection d’acides aminés radioactifs à des cobayes, le pancréas était prélevé à différentes périodes de temps après injection. Des fragments de tissu furent fixées à la glutaraldéhyde et coupés au microtome. L’autoradiographie révéla le trajet du traceur radioactif le long de la voie sécrétoire : reticulum endoplasmique – complexe de Golgi – grains de zymogène, où les proenzymes s’accumulent avant leur exportation dans le tractus digestif. La sécrétion pancréatique étant une sécrétion régulée, l’expulsion est déclenchée par un messager hormonal.
Le reticulum endoplasmique est le premier compartiment de la voie sécrétoire (voir paragraphe précédent). C’est le compartiment où sont synthétisés les protéines et les lipides. Ce matériel est transporté vers des compartiments situés en aval par des vésicules qui naissent par bourgeonnement de la membrane du reticulum. Le matériel transporté est sélectionné; cela a été démontré avec un cargo suffisament volumineux pour être visible à l’examen au microscope électronique. Le sort du cargo a pu être suivi chronologiquement. Comment s’opère la sélection ? Grace à des protéines de la face externe des vésicules qui remplissent une double fonction : (i) recruter dans l’espace luminal les protéines solubles ou membranaires qui vont transiter vers le compartiment suivant ; (ii) faciliter le phénomène de bourgeonnement en provoquant la curvature de la membrane. Le recrutement implique des interactions protéine-protéine du type ligand-récepteur. Ces protéines portent le nom de COP (COat Protein complex) accompagné d’un chiffre romain : I ou II. COP I est un heptamère. Le fonctionnement des cotamères COP est régulé par les protéines ARF (ADP Ribosylation Factor), une famille de protéines de la superfamille des protéines régulatrices RAS (Rat Sarcoma). ARF existe sous deux formes : ARF-GDP (inactive) ou ARF-GTP (active), ce qui implique l’intervention de GTPases dans la régulation du phénomène de recrutement du cargo. Le transport antérograde du reticulum endoplasmique rugueux vers le cis-Golgi et du cis-Golgi vers le trans-Golgi est assuré par des vésicules tapissées de COPII. Le transport rétrograde du cis-Golgi vers le reticulum endoplasmique est assuré par les vésicules à COPI dont le rôle a été découvert en 1996 par Randy W. Schekman (University of California at Berkeley) et par les groupes de Lelio Orci (Département de Morphologie) et de Pierre Cosson (Faculté de Médecine, Université de Genève).
La question s’est posée d’emblée de savoir comment une vésicule issue d’un compartiment « donneur » trouve sa voie vers le compartiment « accepteur » auquel elle est destinée. Quel est le mécanisme assurant l’accostage spécifique de la vésicule au compartiment accepteur ? Par quel mécanisme une vésicule issue du reticulum endoplasmique accoste-t-elle à la membrane d’une citerne golgienne plutôt qu’à une autre (mitochondriale, lysosomiale, peroxysomiale) ? En 1993, James E. Rothman et ses collaborateurs (Rockefeller Research Laboratory, Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, New York) mirent en évidence le rôle de facteurs sensibles à la N-éthylmaléimide, un réactif des groupes thiol. Ces facteurs sont des protéines SNARE (Soluble N-éthylmaleimide-sensitive-factor Attachment protein REceptor). Ces protéines transmembranaires appartiennent à une superfamille ; leur séquence et leur structure tridimensionnelle sont très conservées. La reconnaissance s’effectue entre v-SNARE (vesicular-SNARE), des protéines riches en arginine de la membrane des vésicules et t-SNARE (target-SNARE), des protéines riches en glutamine de la membrane du compartiment accepteur. L’interaction entre protéines complémentaires v-SNARE et t-SNARE permet de vaincre la barrière énergétique empêchant la fusion spontanée des membranes. Le matériel cargo contenu dans les vésicules est déversé dans l’espace luminal ou dans la membrane du compartiment accepteur.
Quel est le mécanisme, à l’échelle moléculaire, qui permet au compartiment donneur de conserver son intégrité biochimique alors qu’il en émerge continuellement des vésicules destinées au compartiment accepteur ? Si le compartiment donneur n’est pas rapidement vidé de sa substance, c‘est grâce au transport rétrograde par les vésicules COPI. En outre, le transport rétrograde renvoie vers le reticulum endoplasmique les protéines mal formées ayant échappé à la sanction du contrôle de qualité dans le reticulum endoplasmique. Ces protéines constituent un tel risque potentiel pour la cellule qu’il existe un second contrôle de qualité dans le complexe de Golgi. Les protéines mal formées sont ainsi efficacement éliminées par le double contrôle. L’étude à l’échelle moléculaire du mécanisme de transport intracellulaire bénéficie de l’apport de la nouvelle technique d’imagerie à haute résolution et de la génomique, qui permettent de détecter une molécule et de suivre son parcours du reticulum endoplasmique jusqu’à l’exocytose.
L’endocytose est le mécanisme par lequel les cellules de mammifères ou les êtres unicellulaires intériorisent les molécules nutritives capturées dans le milieu environnant et nécessaires à leur développement. On distingue trois types d’endocytose (voir plus loin). Les vésicules d’endocytose tapissées de clathrine se forment à partir de la membrane plasmique ; elles s’en détachent et fusionnent entre elles dans le cytosol pour former des endosomes précoces dont le contenu est voisin de la neutralité (pH 7,4). Il s’acidifie progressivement par le jeu de pompes à protons transportées par vésicules depuis le complexe de Golgi et insérées dans la membrane endosomale. Les molécules internalisées par endocytose sont triées dans les endosomes et dirigées vers diverses destinations, dont les lysosomes pour les protéines et les petites molécules (où elles sont dégradées).
La voie endocytaire permet de faire pénétrer dans la cellule les complexes trop volumineux pour emprunter la voie des transporteurs de la membrane plasmique. C’est ainsi que les lipoprotéines (Low Density Lipoproteins) chargées en cholestérol ou la transferrine, une β-globuline chargée de deux atomes de fer à l’état ferrique, sont intériorisées par endocytose à récepteurs. Ce type d’endocytose permet aux cellules de maintenir une forme d’homéostasie en récupérant des protéines et des lipides sécrétés dans le milieu extracellulaire. Ces molécules sont captées par des récepteurs spécialisés de la surface cellulaire. L’endocytose se déroule ensuite selon le processus décrit plus haut : internalisation dans des vésicules formées par invagination de la membrane plasmique, tri, groupement en « pools » dans les endosomes tardifs (pH 6,5), dégradation dans les lysosomes. A la fin du processus, les récepteurs sont renvoyés à la membrane plasmique (recyclage). Les deux autres types d’endocytose sont la phagocytose et la pinocytose. Le terme phagocytose désignait à l’origine le processus de destruction des bactéries par les phagocytes, découvert en 1882 par Ilya Ilitch (Elie) Metchnikov (prix Nobel de médecine ou physiologie en 1908). D’abord appliqué aux seuls phagocytes (une catégorie de leucocytes), le terme a été appliqué au phénomène de capture de particules solides par les cellules. La pinocytose est le processus non spécifique d’internalisation de liquide extracellulaire dans des vésicules de petite taille.
Un modèle de structure pour le complexe de Golgi
« Chaque fois que nous entendrons dire : de deux choses l’une, empressons-nous de penser que, de deux choses, c’est vraisemblablement une troisième. »
Jean Rostand
Dans la voie sécrétoire, le complexe de Golgi occupe la position centrale. Pour rendre compte des données expérimentales sur le transit à travers cet organite, deux modèles furent envisagés. Premier modèle : le cis-Golgi se forme par agrégation et fusion de vésicules COP-II issues du reticulum endoplasmique rugueux et transportant du matériel nouvellement synthétisé (cargo). Cette citerne et son cargo se déplaceraient en bloc jusqu’au trans-Golgi perdant au passage certains enzymes et en gagnant d’autres. Des vésicules COP-I prennent en charge le recyclage des protéines et des enzymes golgiens vers la citerne placée en amont de la citerne en cours de migration. La composition enzymatique de celle-ci se modifie au fur et à mesure de sa progression. Elle atteint sa pleine maturation et devient le trans-Golgi qui disparaît en donnant naissance aux vésicules sécrétoires. L’idée de ce modèle remonte à l’hypothèse de la maturation, proposée dans les années 1960 par Hilton Mollenhauer et James D. Morré. Le second modèle apparut dans les années 1980 : les citernes seraient des structures permanentes et stables conservant leur équipement enzymatique spécifique. Seul le cargo se déplace, véhiculé d’un compartiment golgien au suivant par des navettes de vésicules COP-I. Les vésicules transportant des protéines sécrétoires se meuvent en direction antérograde, vers le trans-golgi ; d’autres vésicules COP-I se déplacent dans le sens rétrograde pour ramener à leur saccule d’origine les protéines golgiennes impliquées dans le trafic à travers le Golgi.
Bien que le premier modèle soit celui qui rallie la préférence, aucun des deux modèles n’est en mesure de rendre compte de la totalité des faits. Chaque modèle est en accord avec un certain nombre d’observations et en contradiction avec d’autres. Il faut d’ailleurs souligner que les deux modèles ne s’excluent pas totalement l’un l’autre ; on pourrait imaginer une coexistence des deux mécanismes, le transport antérograde se faisant par migration des citernes et le transport rétrograde, par vésicules. Une façon de trancher entre les deux options eut été de dissocier et de séparer les composants d’une préparation purifiée de Golgi et d’en faire l’analyse biochimique. Comme je l’ai déjà mentionné à propos des travaux effectués dans le laboratoire de George Palade (Rockefeller Institute), toutes les tentatives en ce sens ont échoué. La technique du fractionnement subcellulaire quantitatif, qui a fourni de si bons résultats avec les organites « classiques », est inapplicable au Golgi. Elle atteint ici sa limite. Seules les approches morphologique (microscopie confocale tridimensionnelle sur cellules vivantes, immuno-microscopie à fluorescence) et génétique ont fourni des informations. Très vite, il s’avéra qu’aucun des deux modèles proposés ne pouvait rendre compte de toutes les observations. Il fallut donc en imaginer d’autres.
Dans une variante du modèle de progression et maturation des citernes un rôle est attribué aux connections tubulaires entre citernes – visibles dans les structures tridimensionnelles les plus récentes. Ces connections joueraient un rôle dans le trafic bidirectionnel mentionné plus haut. Un autre modèle, basé sur des données cinétiques de sortie du cargo, envisage le Golgi comme une structure unique formée de compartiments distincts (identifiés par microscopie à fluorescence) fonctionnant indépendamment l’un de l’autre. Un modèle récent fait intervenir des protéines monomériques G (Rab). Les Rab sont des GTPases appartenant à la super famille des proto-oncogènes Ras. Ces molécules régulatrices et ubiquitaires interviennent (avec d’autres facteurs) dans tous les trafics intracellulaires entre compartiments membranaires : sélection du cargo, formation des vésicules à partir du compartiment donneur, fusion avec la membrane du compartiment receveur.
Avec le problème du choix d’un modèle de structure on se retrouve dans la situation que la recherche golgienne a connu à ses débuts : une très abondante littérature dont il risque de ne subsister in fine que peu de choses. Aucune des hypothèses avancées ne parvient à rendre compte de tous les faits : polarité morphologique et enzymatique, recyclage des enzymes résidents du Golgi, rôle des vésicules COPI, COPII et des tubules dans les migrations antérograde et rétrograde etc… Les approches expérimentales mises en œuvre étant le plus souvent non-quantitatives et, au mieux, semi-quantitatives, il sera difficile de trancher entre les différents modèles et d’arriver à une conclusion définitive.
Peptide signal : « Lost in translation »
Dans les années 1960, George Palade, Colin M. Redman, David D. Sabatini, Lewis Greene et Yutaka Tashiro (The Rockefeller University) étudièrent la synthèse des protéines sécrétoires dans les microsomes rugueux, commencée au milieu des années 1950 avec Philip Siekevitz. Ils incorporaient un acide aminé marqué au 14C dans la séquence d’enzymes digestifs (ou de leurs précurseurs), fractionnaient le tissu et examinaient les fractions au microscope électronique. Lucien Caro et James Jamieson utilisèrent l’autoradiographie de coupes de tissu pancréatique. Ils montrèrent que l’α–chymotrypsinogène (proenzyme de la chymotrypsine sécrétée dans le tractus digestif) est synthétisé dans les microsomes pancréatiques rugueux; que l’amylase (un enzyme sécrété par le pancréas et les glandes salivaires) est synthétisée par les ribosomes liés à la membrane et déchargée “vectoriellement” dans le lumen du reticulum endoplasmique. Ces résultats soulevèrent un certain nombre d’interrogations : Quelle est la signification de l’existence de deux pools de ribosomes ? Quels sont les rôles respectifs des ribosomes libres dans le cytosol et des ribosomes liés à la membrane du reticulum endoplasmique ? Quel est le facteur qui oriente la synthèse protéique vers les ribosomes liés plutot que vers les ribosomes cytosoliques ? Quelle est la nature de la liaison du ribosome à la membrane ? Comment un polypeptide formé majoritairement de l’assemblage d’acides aminés hydrophiles traverse-t-il la bicouche phospholipidique hydrophobe de la membrane ?
En 1966, David Sabatini, Colin Redman et Gunter Blobel (The Rockefeller University) comparèrent l’efficacité de solutions de chlorure de potassium, de pyrophosphate de sodium ou d’éthylène diamine tétra-acétate (EDTA) pour détacher les ribosomes par lavage de microsomes rugueux. Ces solutés ont tous pour effet de déplacer ou de chélater le Mg2+, un cation dont la présence est nécessaire à l’ancrage du ribosome à la membrane. Après centrifugation, les ribosomes, dont un certain nombre sont dissociés en grosse et petite sous-unités, sont recueillis dans le surnageant. Sabatini découvrit l’effet de la puromycine ajoutée aux solutions salines: la structure de cet antibiotique rappelle celle de l’extrémité 3’ d’un aminoacyl ARNt ; il se fixe sur le site P du ribosome. La chaîne peptidique naissante est transférée sur le site P où elle se lie à la puromycine. La phase d’élongation avorte et le polypeptide lié à la puromycine se détache prématurément du ribosome pour être déchargé dans la lumière du reticulum endoplasmique. Un traitement combiné à la puromycine – chlorure de potassium détachait la quasi totalité des ribosomes liés. Ces travaux aboutirent à d’intéressantes conclusions : (i) les ribosomes ont la même composition, qu’ils soient libres dans le cytosol ou liés à la membrane ; (ii) le traitement à l’EDTA détache d’abord les petites sous-unités puis une certaine proportion de grosses sous-unités. C’est donc la grosse sous-unité qui est en contact avec la membrane du réticulum endoplasmique. La chaîne polypeptidique naissante et le magnésium jouent un rôle dans la liaison du ribosome à la membrane ; (iii) la décharge vectorielle du polypeptide dans le lumen se fait probablement par un canal transmembranaire. Ce canal pourrait être en continuité avec celui qui traverse la grosse sous-unité et qui fut observé en 1966 au microscopie électronique après coloration négative par David Sabatini, Yutaka Tashiro et George Palade.
A la suite de ces observations, David Sabatini et Günter Blobel posèrent en 1971 l’hypothèse que la liaison du ribosome à la membrane du reticulum endopasmique dépend de la présence d’un “signal” porté par la protéine en cours de synthèse (hypothèse du signal, Signal Hypothesis). Plusieurs groupes, travaillant indépendamment les uns des autres, montrèrent que dans un système acellulaire de synthèse protéique, les protéines sécrétoires sont synthétisées sous forme d’un précurseur plus long que la protéine mature. En 1972, Cesar Milstein (Department of Biochemistry, Cambrige University) – l’inventeur avec Georges Köhler des anticorps monoclonaux – fit l’observation que la chaîne légère d’immunoglobuline[1] IgG synthétisée in vitro dans un système acellulaire était plus longue que la chaîne « normale »; la différence de taille correspondait à un peptide de 2,3 kilodaltons. En présence de microsomes ajoutés au système acellulaire la protéine avait la taille normale. Milstein formula l’hypothèse que l’immunoglobuline était synthétisée sous forme d’un précurseur plus long que la chaîne légère et qu’avant d’être sécrétée par le plasmocyte, la séquence additionnelle était excisée par une peptidase présente dans les microsomes. Cette interprétation fit l’objet de critiques: le peptide additionnel était un artefact des systèmes de synthèse protéique en milieu acellulaire (lysat de réticulocytes de lapin, extrait de germes de blé). Les résultats de Milstein furent confirmés par ceux de Philip Leder (Laboratory for Molecular Genetics, National Institute of Health), de Susumi Tonegawa et Maria Irene Baldi (Basel Institute for Immunology) et d’Israel Schechter.
Pour démontrer de manière irréfutable la validité de l’hypothèse du signal et couper court à toutes les critiques, il fallait parvenir à mettre au point un système acellulaire combinant synthèse protéique et translocation. Le premier terme de l’équation ne posait pas de problème: dans un système de synthèse protéique in vitro (des réticulocytes de lapin programmés par de l’ARNm de myélome de la souris) on obtenait un produit de traduction plus long que la chaîne légère d’immunglobuline sécrétée. Le second terme était plus difficile à résoudre. Le franchissement par le polypeptide de la membrane du reticulum endoplasmique (translocation) se fait pendant la synthèse protéique (translocation cotraductionnelle[2]). Or, l’addition de microsomes dans le milieu de traduction inhibait la synthèse protéique. Gunter Blobel et Bernhard Dobberstein (The Rockefeller University) unirent leurs efforts pour résoudre ce problème. Ils découvrirent après des années de tatonnements que les microsomes de pancréas de chien n’exercent pas d’effet inhibiteur. Le produit synthétisé in vitro en présence de microsomes avait la taille de l’immunoglobuline sécrétée. Il était déchargé à l’intérieur des vésicules comme le montrait son inaccessibilité aux protéases ajoutées dans le milieu. La différence de taille entre les immunoglobulines synthétisées en absence ou en présence de microsomes correspondait à un peptide d’une vingtaine d’acides aminés situé à l’extrémité amino-terminale[3]. Les résultats du séquençage indiquèrent que la partie centrale du peptide contenait une majorité d’acides aminés hydrophobes.
Des données d’ordre génétique vinrent étayer l’hypothèse du signal. L’invertase, un enzyme de la muqueuse intestinale qui catalyse l’hydrolyse du saccharose, existe sous deux isoformes : une forme cytoplasmique et une forme sécrétée. Les deux ont la même séquence primaire, mais le gène codant pour la forme sécrétée possède un exon supplémentaire spécifiant un peptide amino-terminal. L’immunoglobine M possède une isoforme membranaire et une isoforme sécrétée portant un peptide signal aminoterminal. Le gène codant l’isoforme membranaire possède une séquence codant un peptide signal et un exon additionnel spécifiant la séquence hydrophobe d’un peptide transmembranaire à l’extrémité carboxy-terminale de l’immunoglobine M.
Particule de reconnaissance du signal
Dans les cellules eucaryotes, environ un tiers des protéines sont synthétisées dans le reticulum endoplasmique ; elles en deviennent des résidents permanents ou sont dirigées vers d’autres destinations. Pour atteindre l’organite auquel elles sont destinées, les polypeptides portent une étiquette, un signal d’adressage, un code postal en quelque sorte. Lorsqu’ils formulèrent l’hypothèse du signal, Blobel et Sabatini avaient prédit que le signal localisé à l’extrémité 5’-terminale de l’ARNm (qui code l’extrémité N-terminale du polypeptide) serait reconnue par un facteur soluble présent dans le cytosol, lui-même reconnu par un récepteur membranaire favorisant l’accostage du ribosome sur la membrane.
Dans un système in vitro couplant synthèse protéique et décharge cotraductionnelle du polypeptide, la capacité de translocation des microsomes est abolie par deux types de traitement: le lavage par une solution saline ou une attaque protéolytique. En 1978, Graham Warren et Bernhard Dobberstein (European Molecular Biology Laboratory) restorèrent la capacité de translocation de microsomes lavés par addition de l’extrait salin. Le facteur présent dans l’extrait fut identifié en 1980 par Peter Walter et Gunter Blobel (The Rockefeller Institute) et baptisé « Particule de reconnaissance du signal » (Signal Recognition Particle, SRP). Chez les eucaryotes, cette machine moléculaire de forme allongée contient 6 polypeptides (72, 68, 54, 19, 14 et 9 kDa) avec un site de fixation du GTP, et un ARN de 300 nucléotides (coefficient de sédimentation 7S). La SRP est abondante dans le cytoplasme et son importance physiologique est attestée par le degré de conservation élevé de l’ARN 7S, des Archéobactéries à l’homme. Ce petit acide ribonucléique contient en effet une information essentielle au fonctionnement de la ribonucléoprotéine. Chez les bactéries, dépourvues de reticulum endoplasmique, la particule se compose d’un ARN 4,5S et d’une protéine homologue de la protéine de 54 kDa. Peter Walter montra que le rôle de la SRP est de reconnaître le peptide signal dès qu’il émerge de la grosse sous-unité ribosomiale. Le peptide en cours de synthèse est alors formé d’environ 70 résidus d’acides aminés, dont 40 sont séquestrés dans le ribosome. In vitro, l’addition de SRP ralentit significativement la vitesse d’élogation d’un peptide sécrétoire mais pas de protéines cytosoliques, comme les chaînes a et b de la globine. L’inhibition est levée par addition de microsomes lavés par une solution saline mais n’est pas levée par des microsomes ayant subi une attaque protéolytique. On a montré que la SRP ralentit la vitesse de synthèse en bloquant le site ribosomial de fixation des facteurs d’élongation eF1 et eF2.
Le facteur présent dans l’extrait protéolytique fut caractérisé en 1982 par David Meyer et Bernhard Dobberstein (European Molecular Biology Laboratory). C’est un hétérodimère constitué d’une sous-unité α, à la face cytosolique du reticulum, et d’une sous-unité β insérée dans la membrane. La sous-unité α est une GTPase. Le mode d’interaction entre les facteurs de l’extrait protéolytique et de l’extrait salin fut élucidée par Reid Gilmore et Günter Blobel (The Rockefeller University). Le premier, baptisé docking protein, est le récepteur de la SRP. L’interaction SRP – récepteur de la SRP permet l’accostage sélectif sur le reticulum endoplasmique du complexe ribosome – peptide signal – SRP. C’est l’étape cruciale de la translocation des protéines à travers la membrane du reticulum; elle est sous la dépendance de l’hydrolyse de molécules de GTP liées à la sous-unité α du récepteur et à la SRP:
L’hydrolyse de GTP provoque un changement de conformation qui entraîne le détachement de la SRP du peptide signal et du ribosome. La séquence signal traverse la membrane ce qui la met à l’abri d’une attaque par des protéases cytosoliques. Le blocage de l’élongation cesse et la synthèse du polypeptide reprend sur le ribosome lié à la membrane.
Translocon
L’étape cruciale de la translocation des proteins à travers la membrane du reticulum est le déplacement du qui permet à la cellule de séparer les polypeptides en cours de synthèse en deux lots – ceux qui sont destinés aux systèmes membranaires de la cellule et à l’exportation hors de la cellule, et ceux qui sont destinés au cytosol, au noyau et au nucléole – se déroule au niveau d’un pore traversant la bi-couche hydrophobe de la membrane du reticulum endoplasmique: le translocon (Sec61, SecYEG chez les bactéries). Observé au microscope électronique en 1971 par David Sabatini sur des coupes colorées négativement, le complexe protéique (un hétérotrimère) fut isolé et caratérisé vingt ans plus tard par le groupe de Gunther Blobel. Après la phase d’accostage sur le récepteur de la SRP du ribosome portant le peptide naissant, le complexe ribonucléoprotéique migre sur le translocon. Ce transfert est facilité par l’interaction du récepteur de la SRP avec Sec61. L’élongation du peptide force le clapet fermant le pore. Le transfert est vectoriel (l’extrémité N-terminale en premier) et unidirectionnel, du cytosol vers la lumière du reticulum. Le peptide “signal” à l’extrémité amino-terminale est excisé à la face luminale de la membrane par la peptidase du signal, un complexe de cinq polypeptides isolé en 1986 par Emily A. Evans (The Rockefeller University). Lorsque la translocation est achevée, le ribosome se détache du translocon et se dissocie en sous-unités.
Pendant deux décennies, l’existence et la nature du canal furent l’objet d’âpres débats. Les propositions les plus fantaisistes virent le jour : il n’y avait pas de pore : les peptides en cours de synthèse avaient la capacité de franchir la bicouche phospholipidique ; le pore était formé par un anneau de molécules de cytochrome P450 (E. Ohlson et Bengt Jergil, 1977), etc… En 1975, Gunter Blobel (Rockefeller University) chercha l’approche expérimentale adéquate pour prouver l’existence du Protein Conduction Channel SEC 61 ou translocon. Il fut mis en évidence en 1995 à la suite d’élégantes expériences d’électrophysiologie de Sanford Simon et Joshua Zimmerberg. Chez les eucaryotes pluricellulaires, il porte le nom de Sec61 (Sec pour sécrétion). Il porte d’autres noms chez les bactéries, les Archées et les différents types de levures. Chez les eucaryotes pluricellulaires, c’est un hétérotrimère Sec61α, Sec61β et Sec61γ. Son ouverture et sa fermeture sont régulées par des séquences dites « topogéniques » comme le peptide signal. Après complétion de la décharge vectorielle du polypeptide, le canal se referme. Pour les protéines membranaires, le peptide signal joue le rôle de séquence d’insertion dans la membrane. L’apparition d’une séquence hydrophobe (stop transfert) provoque la fermeture du pore au niveau du segment transmembranaire. Le ribosome se détache de la membrane et poursuit la synthèse de la portion cytosolique du polypeptide.
L’excision du peptide aminoterminal par la peptidase du signal est suivie du transfert d’une chaîne glycanique sur un résidu asparagine du polypeptide en cours de synthèse. Cet évènement co-traductionnel est catalysé par l’oligosaccharyl transférase, caractérisée en 1992 dans le laboratoire de Reid Gilmore (University of Massachusetts Medical School). Ce complexe enzymatique est localisé à la face luminale de la membrane, à proximité immédiate du canal d’où émerge le polypeptide naissant. C’est un hétéro-octamère dont deux des sous-unités avaient été isolées en 1978 par Gert Kreibich et David Sabatini. Après désintégration de microsomes rugueux par des détergents, deux glycoprotéines restaient associées aux ribosomes. Pensant être en présence du site de liaison du ribosome à la membrane, Kreibich et Sabatini les avaient baptisées « ribophorines I et II ». Avant son transfert par l’oligosaccharyle transférase, la chaîne glycanique est portée par un lipide membranaire, le dolichol pyrophosphate. Plus de deux décennies auront été nécessaires pour identifier les partenaires de la machinerie d’adressage et de translocation des polypeptides : petide signal, SRP, docking protein, SEC61, peptidase du signal, oligosaccharyl transférase. Le travail de pionnier effectué par Günter Blobel fut récompensé par l’attribution du prix Nobel de physiologie ou médecine en 2010.
L’adressage des protéines mitochondriales et chloroplastiques codées par le génome nucléaire et des protéines peroxisomiales est sous le contrôle de signaux d’adressage spécifiques à chacun de ces compartiments.
- Les immunoglobulines – les anticorps – sont sécrétées par les plasmocytes, une variété de lymphocytes présents dans la circulation sanguine. Chaque clone de plasmocytes fabrique une immunoglobuline spécifique dressée contre un antigène. L’immunoglobuline est formée de deux chaînes polypeptidiques, une chaîne « légère » et une chaîne « lourde ».
- Certaines protéines des mitochondries, des peroxysomes et des chloroplastes sont synthétisées dans le cytosol puis traversent par translocation post-traductionnelle une ou deux membranes pour accéder au compartiment auquel elles sont destinées.
- La séquence signal n’est pas toujours située à l’extrémité amino-teminale. Certains polypeptides ont plus d’une séquence signal.